Global Antitrust Economics. Current issues in Antitrust Law and Economics, Douglas H. GINSBURGH et Joshua D. WRIGHT (dir.)

Douglas Ginsburg, Joshua Wright, Nicolas Charbit, Duy Pham

Cette rubrique recense et commente les ouvrages et autres publications en droit de la concurrence, droit & économie de la concurrence et en droit de la régulation. Une telle recension ne peut par nature être exhaustive et se limite donc à présenter quelques publications récentes dans ces matières. Auteurs et éditeurs peuvent envoyer les ouvrages à l’intention du responsable de cette rubrique : stephane.rodrigues-domingues@univ-paris1.fr

L'accès à cet ouvrage est réservé aux abonnés

Déjà abonné ? Identifiez-vous

Le présent ouvrage présente les actes d’une conférence qui s’est tenue à Arlington en Virginie le 29 mai 2015 grâce à la coopération de la revue Concurrences et du Law & Economics Center de George Mason University School of Law. Son propos général est orienté vers l’efficacité des agences et des juridictions non seulement dans la détection du pouvoir de marché par la détermination des marchés pertinents, l’utilisation de la preuve économique pour la collusion et l’impact sur les structures de marchés, mais encore dans les modes de correction spontanée et les sanctions.

En premier lieu, le recours à l’analyse économique est envisagé dans deux contributions importantes. Dans leur article “Use and Abuse : The Myth of Divided Antitrust Economics”, Pierre-Yves Crémieux et Aaron Yeater, en tant que consultants économiques, constatent une indéniable convergence sur les principes de “antitrust economics”. Comment alors expliquer les positions aussi conflictuelles des experts économiques sur le traitement de la preuve économique ? L’explication apportée tient au choix du critère pertinent dans un cas d’espèce. C’est ainsi que peut advenir, par exemple, une variation de plus de 20 % entre celui qui établit un surcoût et celui qui dénie toute existence de surcoût. Quant à Francine Lafontaine, à l’époque directrice du Bureau of Economics à la FTC, elle intitule sa contribution “On the Use of Economics in Support of the Competition Mission at the FTC”. Cette vue introspective, à travers plusieurs affaires, est évidemment très précieuse pour apprécier l’utilisation de l’analyse économique en droit de la concurrence.

Il convient ensuite de relever trois contributions consacrées à la définition du marché pertinent, alors même que cette notion a fait l’objet ces dernières années d’une vive contestation sur son utilité dans l’analyse économique. Ainsi, Gregory J. Werden, Senior Economic Counsel at the Antitrust Division, prétend, dans “The Relevant Market Concept in Antitrust Law”, que cette technique d’analyse ne doit pas être considérée comme un vestige d’une époque révolue. Face aux techniques plus récentes pour appréhender directement les effets anticoncurrentiels, il défend son importance en tant qu’opération préalable, notamment pour les effets coordonnés et pour les effets unilatéraux dans le contrôle des concentrations ainsi que pour les pratiques visées par le Sherman Act. Lawrence J. White, professeur d’économie à l’Université de New York, considère lui aussi que doit être maintenue cette première étape de l’analyse. Dans “The Merger Guidelines and Market Definition : A Powerful Tool for Merger Analysis”, il défend le test SSNIP, tout en admettant qu’il soit moins utile pour les effets unilatéraux et pour les affaires de monopolisation. Un éclairage pratique est donné par Loren Smith, vice-présidente senior de Compass Lexecon et ancienne économiste de la FTC, sur une utilisation différenciée. Dans “The Prominence of Market Definition in Antitrust Evaluation and Litigation”, xxx Cet article n’est-il pas coécrit avec Maria Stoyadinova ? xxx elle constate que les praticiens et les agences s’attachent directement à apprécier les effets de la concentration. Mais, quand il s’agit de préparer une argumentation devant le juge, ils reviennent à la détermination du marché pertinent. Cela laisse à penser que la force des habitudes l’emporte sur l’évolution des techniques d’analyse.

S’agissant du cœur de l’analyse des effets anticoncurrentiels, deux contributions sont à signaler. Maureen K. Ohlhausen, commissaire de la FTC, traite d’un problème aigu : les barrières à l’entrée du marché au profit des opérateurs historiques. Inspirée par le jeu bien connu des enfants “Mother May I ?”, elle intitule sa contribution “Brother, May I ? : The Challenge of Competitor Control over Market Entry”. Demander la permission d’entrer en concurrence est totalement incompatible avec l’économie de marché et avec la liberté fondamentale de chaque individu. Se présentant comme libertarienne, elle ne pouvait manquer d’adresser ses premières vues critiques sur les législations qui protègent les opérateurs historiques dans leurs rentes. À cet égard, elle présente deux affaires qui montrent les limites de la State Action doctrine lorsqu’il convient de remettre en cause une réglementation d’origine étatique. Ce n’est que dans une troisième affaire qu’elle envisage un opérateur privé en situation de quasi-monopole et son comportement d’éviction à travers une pratique de rabais. Son propos se termine par un soutien ferme aux entrants qui bouleversent des marchés rigidifiés. Tel est le cas d’Uber ou encore de Lyft et Sidecar. Par ailleurs, William H. Page, professeur à l’Université de Floride, délivre une grille d’analyse dans “Signaling and Agreement under Section 1 of the Sherman Act”. Il s’agit de faire le départ entre les échanges d’information licites et illicites. Selon lui, les échanges préarrangés sont clairement illicites, tandis que les échanges entre concurrents suscitent les plus grands doutes. En revanche, les informations implicites, comme les déclarations dans la presse qui peuvent agir comme de signaux, devraient être considérées comme licites.

Quant à la mise en œuvre des correctifs, trois contributions y sont consacrées. Carlos Mena-Labarthe, dirigeant l’Autorité mexicaine de la concurrence, témoigne dans “Negotiation of Settlements and Remedies by Young Competition Agencies : The Mexican Experience” des difficultés pour vérifier l’effectivité des remèdes. Il expose les critères en lice pour élaborer une politique en la matière : légitimité, crédibilité, dissuasion, prévisibilité. Deux autres contributions portent sur la sanction au regard de sa nature et de son efficacité. Le débat est focalisé sur les cartels et le perfectionnement des politiques de dissuasion en la matière. Daniel L. Rubinfeld, dans “Improving Antitrust Sanctions”, d’une part, et Keith N. Hylton, dans “Should Antitrust Fines Target Firms or Agents ?”, d’autre part, discutent l’argument selon lequel il faudrait déplacer la pression sur les personnes physiques tant l’augmentation des amendes s’avère finalement non dissuasive. Keith N. Hylton considère qu’il est difficile de se passer des amendes pour tout miser sur la sanction des personnes physiques. En s’appuyant sur la théorie de l’agence et de ses coûts, il y a tout lieu de considérer que l’entreprise récompensera son agent condamné. Selon lui, l’élimination radicale de toute incitation à la fixation de prix demeure la meilleure politique de dissuasion. Par contraste, Daniel L.Rubinfeld s’avère plus sensible à la perspective d’une plus grande pression sur les personnes physiques. En vue de renforcer la dissuasion, il préconise d’améliorer à la fois le private et le public enforcement en exploitant des peines de prison appropriées et des récompenses pour les donneurs d’alerte.

Pour conclure, il faut signaler la contribution de John D. Harkrider, avocat, qui revient sur la frontière assez ténue entre la mise en œuvre du droit de l’antitrust et la régulation. Une stricte mise en œuvre porte sur des comportements passés, prescrit une cessation et applique des sanctions, tandis que la régulation appréhende des comportements futurs, recherche des remèdes et applique des règles autoproclamées. Dans sa contribution intitulée “Betwixt and Between : The FTC and DOJ as Regulators and Law Enforcers”, John D. Harkrider fait valoir que les deux institutions penchent dangereusement vers la régulation. C’est la raison pour laquelle il recommande d’accentuer la transparence et la consultation des parties prenantes lors de l’élaboration des lignes directrices. Nous pouvons convenir que c’est déjà largement le cas en Europe.

[Les opinions exprimées dans cette recension sont personnelles et n’engagent pas l’institution à laquelle appartient son auteur.]