Politiques de la concurrence, Rapport du Conseil d’analyse économique, n° 60, La Documentation Française, Paris, 2006, 303 p.

Politiques de la concurrence,
D. ENCAOUA - R. GUESNERIE

Les politiques de concurrence. Quel vaste sujet ! L’étendue du sujet n’est pas seulement spatiale mais également matérielle. Remis au Premier ministre en septembre 2005, ce rapport relève en effet d’une démarche pluridisciplinaire concrétisée par la consultation en amont de plusieurs experts, mais aussi par la publication de commentaires généraux et de compléments sur des thèmes particuliers.

Sans grande surprise, le rapport débute par un rappel de la genèse et de l’évolution des politiques de concurrence américaine et allemande avant de constater le rôle croissant - mais non dénué d’ambiguïté quant à ses effets - de l’analyse économique comme fondement des politiques de concurrence (première partie). Une analyse détaillée de la politique communautaire de concurrence figure ensuite au cœur de l’étude (deuxième partie), situation centrale qui invite à se demander si le rapport examiné n’aurait pas mérité un intitulé plus précis. La troisième et dernière partie du rapport accueille enfin des constats généraux suivis de recommandations.

Dans leur grande majorité, les économistes s’accordent sur les mérites de la concurrence et sur la possibilité d’une intervention publique afin d’en préserver les mécanismes. Là s’arrête semble-t-il le consensus puisque la variété domine lorsqu’il s’agit de définir la concurrence, son intensité et sa forme, mais aussi les objectifs de la politique de concurrence et ses modes d’intervention. La politique communautaire est à cet égard illustrative. Face à ce constat, le rapport formule un message et des recommandations mesurées se traduisant dans les deux leviers envisagés pour promouvoir l’innovation et la compétitivité. Il s’agit, d’une part, d’envisager la politique de concurrence dans ses rapports avec d’autres politiques de l’innovation et, d’autre part, de s’intéresser aux registres et instruments propres aux politiques de concurrence après avoir retenu la proposition suivante : “la concurrence optimale n’est pas la concurrence maximale”.

Le rapport met donc l’accent sur la complémentarité des politiques de concurrence avec d’autres politiques de l’innovation (question qui fait l’objet d’un chapitre complété par la contribution de Rachel Griffith). Ce faisant, les auteurs ne semblent pas hostiles à un certain volontarisme des politiques d’innovation. (voir cpdt. le commentaire nuancé du professeur Michel Mougeot sur les motivations des politiques industrielles). Observant les traités et la pratique, les auteurs sont néanmoins contraints de constater la prééminence de la politique de concurrence sur les politiques industrielle et de recherche. Les recommandations sur ce point s’avèrent par conséquent limitées et consistent à affecter les ressources tirées des amendes infligées par l’autorité communautaire de concurrence à la recherche et à l’innovation en Europe. D’une portée plus limitée, la seconde proposition visant en substance à favoriser la coopération industrielle entre les États membres a pu être qualifiée d’assez “floue” (voir le commentaire globalement approbateur de Jean-Hervé Lorenzi).

La seconde dimension des propositions émises par le rapport ambitionne la promotion de la compétitivité et l’innovation au sein de la politique de concurrence. Au niveau communautaire, il s’agit tout d’abord de limiter les interférences entre le contrôle des concentrations, intervention qualifiée de “préventive”, et d’autres politiques de l’innovation en instaurant une “coopération renforcée” entre les services de la DG concurrence et d’autres Directions Générales (Industrie, Recherche). Un recours plus fréquent aux engagements comportementaux est également préconisé. Au niveau français, le rapport porte son attention sur la dualité des autorités de contrôle. Sans remettre en cause la compétence décisionnelle du Ministre de l’économie en matière de concentrations, le rapport formule des propositions allant dans deux directions différentes : prévoir la notification de toutes les opérations de concentration au Conseil de la concurrence ou bien conserver le système actuel sous une forme rénovée (comp. avec le complément de François Brunet). Enfin, le rapport dresse un tableau assez critique des critères employés dans le cadre du contrôle communautaire des aides étatiques et suggère qu’une plus grande latitude soit laissée aux États membres pour l’attribution d’aides aux entreprises en difficulté, latitude encadrée par un contrôle a posteriori.

De manière transversale, l’étude insiste sur la nécessité d’accorder une plus grande place aux efficacités dans le traitement des concentrations ou des pratiques relevant des articles 81 CE et 82 CE. L’efficacité est aussi un principe qui doit guider la pratique des autorités de contrôle. Dans ce contexte, les programmes de clémence apparaissent comme des instruments appropriés de détection des cartels mais présentent l’inconvénient de favoriser la création d’ententes. Des études économiques ont suggéré d’accroître l’efficacité des programmes de clémence en rétribuant le premier délateur (voir le complément de Laurent Flochel).

Le rapport insiste à maintes reprises sur les instruments employés pour mettre en œuvre la politique de concurrence et invite à s’abstraire des règles per se (voir sur ce point le complément d’Anne Perrot consacré à l’abus de position dominante). Il n’est toutefois pas inutile de rappeler que cette tâche sera difficile si, comme le laisse entendre un passage du rapport, les règles per se sont définies largement, au point de considérer que le Sherman Act énonce “des règles de prohibition per se” (p. 23). Il est en revanche raisonnable, comme le fait le rapport, de promouvoir l’emploi d’une règle de raison structurée. Les fondements d’une telle proposition sont d’ailleurs explicités dans le complément rédigé par David Spector. L’approche retenue par les auteurs justifie également la proposition formulée dans le rapport d’abandonner en France l’interdiction per se de la revente à perte dont le contrôle devrait revenir aux autorités de concurrence.

Il convient enfin de remarquer que le rapport se prononce succinctement sur cette catégorie spécifique que représente la régulation sectorielle (voir néanmoins le complément de Philippe Choné sur l’articulation des politiques de concurrence et de régulation sectorielle).

À la lecture de cette étude, les juristes les plus rigoristes pourront émettre quelques regrets. Fruit de nombreuses consultations, ce rapport multidisciplinaire, à l’instar de certains de ses compléments, souffre de quelques approximations voire de rares erreurs qui sans remettre en cause les constats et les recommandations formulées traduisent la délicate interpénétration de l’analyse économique et de l’analyse juridique.

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Auteur

  • General Court of the European Union (Luxembourg)

Citation

Jérôme Gstalter, Politiques de la concurrence,
D. ENCAOUA - R. GUESNERIE
, décembre 2006, Concurrences N° 4-2006, Art. N° 12592, p. 174

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