Les Entreprises hyperpuissantes : Géants et Titans, la fin du modèle global ?, François LÉVÊQUE

François Lévêque

Cette rubrique Livres recense et commente les ouvrages et autres publications en droit de la concurrence, droit & économie de la concurrence et en droit de la régulation. Une telle recension ne peut par nature être exhaustive et se limite donc à présenter quelques publications récentes dans ces matières. Auteurs et éditeurs peuvent envoyer les ouvrages à l’intention du responsable de cette rubrique : catherine.prieto@univ-paris1.fr.

Enfants de Gaïa et d’Ouranos, les six titans dominèrent le monde avant que Cronos ne soit détrôné par Zeus, son propre fils. Après la victoire des dieux, l’ensemble des titans a été relégué dans le Tartare. François Lévêque brosse brillamment d’une plume aussi alerte que rigoureuse en termes de raisonnement économique, l’émergence et la consolidation du pouvoir économique de très grandes firmes, lesquelles à l’instar des titans de la mythologie gréco-romaine, peuvent sembler immortelles mais qui peuvent se heurter non plus aux dieux mais au choc des Etats et aux forces telluriques de la géopolitique. Les Etats-Unis, la Chine mais également l’Union Européenne ne sont pas seulement des marchés mais des acteurs politiques pour lesquels la fin de l’histoire n’est pas encore advenue.

Cette recension vise à mettre en relief quelques-unes des facettes du passionnant essai de François Lévêque, professeur d’économie du droit à l’Ecole des Mines, l’un des meilleurs spécialistes français en économie industrielle et en économie de la concurrence.

En premier lieu, François Lévêque met en évidence les facteurs qui conduisent à une concentration croissante des marchés et à l’établissement de situations d’ultra-dominance sur les marchés numériques. La question déterminante n’est pas alors celle de l’efficacité des grandes entreprises de plateforme mais celle de la contestabilité de leurs positions de marché. Leur position de force est indubitablement la résultante de cette efficacité mais leur dominance peut-elle toujours être remise en cause par les seules forces du marché ? Ces acteurs n’ont-ils pas acquis un pouvoir de marché leur permettant de faire obstacle à une concurrence par les mérites ?

En deuxième lieu, François Lévêque resitue ces très grandes entreprises dans un cadre territorialisé et nous invite à relier leurs dynamiques concurrentielles futures aux frictions interétatiques. Il dresse des perspectives d’évolution en regard de deux phénomènes qui peuvent dessiner pour ces titans une véritable tempête parfaite. D’un côté, il s’agit d’une possible reprise en main par les Etats, du fait de leur caractère systémique. Ce retour peut se faire au travers de d’une régulation spécifique et par une application plus résolue des règles de concurrence. D’un autre côté, il s’agit du retour de l’histoire. Même en matière de numérique, les activités économiques se caractérisent par un encastrement institutionnel et un encastrement géopolitique. Les deux Etats d’origine de ces géants, les Etats-Unis et la République Populaire de Chine, mais également l’Union européenne, pourraient potentiellement endosser le rôle que jouèrent jadis les dieux de l’Olympe vis-à-vis des titans.

Nous nous attachons, en suivant en ceci le plan adopté par l’auteur, à considérer successivement les facteurs qui ont conduit à l’apparition des titans et aux forces de rappel qui sont exercées par les Etats dans le cadre de la réaffirmation de leur souveraineté et par les tensions géopolitiques.

La fabrique des titans

François Lévêque présente, avec clarté et un talent pédagogique certain, les principaux paramètres économiques qui ont conduit à un accroissement spectaculaire de la concentration des marchés et à l’émergence de très grandes firmes, notamment dans le domaine du numérique, les titans, dans lesquels on retrouve principalement les GAFAM américains et les BATX chinois. Les caractéristiques des titans sont distinctes de celles des géants de l’économie traditionnelle.

S’appuyant notamment sur les travaux de Thomas Philippon (2020), François Lévêque met en exergue quelques-uns des principaux facteurs expliquant cette croissance. L’un des points les plus importants à prendre à considération est le lien à la mondialisation des marchés et à l’existence de rendements croissants dans certaines activités. Plus la taille des marchés s’accroît pour des industries caractérisées par des coûts fixes élevés et des coûts marginaux faibles, plus les firmes qui s’imposeront dans le jeu concurrentiel seront de très grandes firmes.

Comme le montre François Lévêque, la globalisation des marchés est un puissant facteur de concentration : elle accroît l’échelle de production et renforce la concurrence. Le phénomène du winner takes all est d’autant plus fort que les activités sont intensives en recherche-développement. A cette aune, la croissance de la taille des firmes et une forte concentration ne sont pas mauvaises en soi. Contrairement à ce que pourrait conduire à conclure une logique structuraliste ou néo-brandeisienne, cette concentration n’est pas un problème appelant une réponse des pouvoirs publics. Elle résulte d’une efficacité supérieure et bénéficie aux consommateurs. Toutes les positions dominantes ne sont pas mal-acquises et la concentration ne fausse pas à elle seule la concurrence.

Cependant, plusieurs dimensions sont à prendre en considération tant en matière de dynamique concurrentielle qu’en matière d’inégalités. En matière dynamique, la question est celle de la contestabilité de ces positions : celles-ci sont-elles durables ? Peuvent-elles être remises en cause par le jeu des forces du marché, une entreprise plus efficace pouvant supplanter la firme dominante du jour ? En matière d’inégalités, quelles sont les conséquences de l’effet Matthieu (Merton, 1968) faisant que la richesse appelle la richesse et que de petites différences initiales conduisent à des écarts significatifs entre firmes et de l’effet Pavarotti (Rosen, 1981), faisant que les revenus se concentrent de façon croissante sur un faible nombre d’acteurs du marché ? Les grandes plateformes ont été indubitablement initialement les meilleures mais elles pourraient rester dominantes quelque soient leurs mérites futurs en polarisant l’essentiel des ressources. Ce phénomène de dominance auto-renforçante n’est pas propre au numérique mais y est exacerbé du fait de ses spécificités structurelles.

Les taux de marge (mark-ups tels que définis par Lerner) s’accroissent globalement dans notre économie (De Loecker et al., 2020). Ils ne traduisent cependant pas obligatoirement un exercice d’un pouvoir de marché (i.e. une extraction de tout ou partie du surplus du consommateur). Ils sont également la conséquence d’une transformation de la composition de la production : la part des coûts fixes est de plus en plus élevée. L’élévation des taux de marge n’en traduit pas moins une position de force des entreprises. Cette hausse est en outre concentrée sur certaines entreprises… inexorablement les plus grandes. L’élévation des marges est également à mettre en parallèle avec la concentration des gains de productivité qui concerne plus particulièrement les entreprises les plus importantes.

En soi, la situation n’est pas néfaste : le degré de concentration d’un marché n’est pas un bon indicateur du niveau de concurrence qui y prévaut. Un duopole peut se caractériser par une vive concurrence et une situation de monopole peut, loin de garantir une vie paisible, se traduire par des nuits sans sommeil, si la menace d’une disruption persiste. La question de la contestabilité des positions acquises est déterminante. Ce n’est pas la concentration des marchés qui est préjudiciable, c’est le fait que les positions acquises ne puissent plus être remises en cause. Dès lors, l’entreprise dominante n’a plus guère d’incitations à reverser ses gains de productivité aux consommateurs, n’a que peu de raisons d’innover et peut, sans crainte, abuser de son pouvoir de marché.

La question de la durabilité est donc déterminante. Elle était posée dans les années 1970 aux Etats-Unis dans les débats autour de la monopolisation sans faute (McKinney, 1980). Elle l’était également dans l’étude préliminaire d’impact qu’avait présentée en juin 2020 la Commission européenne. Le « nouvel instrument concurrentiel » visait de telles situations, caractérisées par des risques concurrentiels liés aux structures de marché [1].

Une crainte concurrentielle légitime peut donc tenir à une moindre contestabilité de la position des titans du numérique par rapport à celles des grandes firmes traditionnelles. Les modèles économiques des différentes firmes qui composent les GAFAM sont très différents. Microsoft, Apple et Amazon doivent notamment être distingués de Google et Facebook. Les seconds opérant essentiellement sur les marchés de l’attention. Cependant, malgré ces spécificités, les titans du numériques se distinguent des autres grandes firmes par les effets d’échelle, les externalités de réseau et surtout par leur capacité à collecter, à traiter et à utiliser les données en temps réel. Cette capacité leur permet de réduire le risque de se voir supplanter par un concurrent « passant sous les radars », par une rupture technologique ou par une évolution non anticipée des besoins des consommateurs comme cela a pu être le cas pour les firmes dominantes par le passé (y compris dans le domaine numérique).

La montée en puissance des titans dans nos économies globalisées a d’autres effets, notamment sur les inégalités. Premièrement les inégalités salariales s’accroissent significativement entre les firmes. Les firmes les plus puissantes sur le marché réalisent de forts gains de productivité, versent des salaires élevés, attirent les meilleurs profils… et ont une structure d’effectifs dans laquelle les catégories les plus qualifiées sont surreprésentées. L’effet Matthieu joue à plein. Deuxièmement, cet effet sur les inégalités est exacerbé par les mécanismes incitatifs basés sur la distribution d’actions gratuites ou à prix préférentiels.

A ces inégalités inter-firmes et inter-salariés s’ajoutent des situations extrêmement privilégiées pour quelques très hauts cadres et particulièrement pour les créateurs des entreprises au travers notamment d’actions à droits de vote privilégiées. De façon croissante, le contrôle n’est plus remis en cause par la dilution des fondateurs dans le capital des sociétés. C’est une garantie de plus contre des stratégies court-termistes (qui est de surcroît renforcée par la patience des investisseurs). Cependant cela constitue un facteur de faiblesse à terme, si les dirigeants initiaux perdent leur business acumen (i.e. l’intuition de l’entrepreneur) ou cèdent à l’hubris.

Cette personnalisation est également source de vulnérabilité du fait de l’exposition croissante de ces dirigeants. La personnification éloigne les titans du modèle de la firme de l’après-guerre dans laquelle contrôle et propriété étaient séparés. Elle expose les firmes au travers de leurs dirigeants à des retours de bâton politiques (backlash). L’image des robber barons de la fin du 19ème siècle et du début du 20ème est très aisée à réactiver. A ces risques populistes s’ajoute le fait que les pouvoirs publics eux-mêmes peuvent avoir quelques raisons à réagir à l’influence de firmes dont la puissance peut rivaliser avec celle des Etats.

En effet, le pouvoir économique ne peut, comme le montre François Lévêque, être tenu comme sans influence en termes politiques ne serait-ce que par leur influence sur la formation de l’opinion publique. Les algorithmes des entreprises dominantes sur les marchés de l’attention au travers de la personnalisation enferment les usagers dans des bulles de filtre, fragmentant ainsi les informations auxquelles leurs utilisateurs accèdent (les nouvelles de notre monde nous apparaissent comme les nouvelles du monde). Cet effet est renforcé par le jeu des chambres d’écho. Nous sommes de moins en moins exposés à des informations contradictoires. Ce phénomène nous rend d’autant plus vulnérables à des nouvelles trompeuses et est susceptible de biaiser notre vision du monde.

A l’influence des firmes sur le marché des idées s’ajoute une capacité à peser sur les choix politiques des Etats et notamment sur la régulation. La capture de la régulation peut prendre différentes formes, souvent une forme informationnelle. Les firmes dominantes ont tout intérêt à investir dans le marché des idées et dans les activités de lobbying. François Lévêque montre que les firmes dominantes surinvestissent en lobbying par rapport à leurs concurrentes. Cet investissement n’est pas réprouvable en lui-même. Il permet dans une certaine mesure d’éclairer les choix du décideur public. Il peut cependant contribuer à les biaiser et figer les positions acquises (Cowgill et al., 2021). La littérature dans le champ de l’économie politique montre que la capture du pouvoir politique est la meilleure des protections contre le risque de remise en cause du pouvoir économique (Zingales, 2017). Comme indiquait Stigler, il y a de cela plus de cinquante ans, les barrières à l’entrée les plus solides sont les barrières réglementaires.

Si les investissements en lobbying ne représentent que des montants symboliques par rapport aux investissements publicitaires, ils permettent d’influer sur le marché des idées et encore d’avoir une influence sur l’air du temps, en l’espèce les positions partagées par les différentes parties prenantes sur la situation des marchés… Cette influence est particulièrement importante en matière de concurrence. Si les textes sont quasi-immuables, leurs priorités de mise en œuvre sont évolutives et leur application met en jeu une marge d’interprétation réelle.

L’application du droit de la concurrence est inséparable d’une dimension conventionnelle au sens de Robert Salais (2015) : elle repose sur des périodes de « consensus » dans lesquelles les qualifications et les standards vont de soi. Les années 2020-2021 représentent à ce titre une période de fragilisation extrême d’un consensus (ou du moins d’une opinion dominante) vieux quasiment d’un demi-siècle, conduisant à considérer la dominance comme la résultante de l’efficacité et non comme un obstacle au processus de concurrence. La mise en œuvre des règles de concurrence aurait favorisé une tendance à la concentration en élevant excessivement le standard de preuve à la charge du plaignant dans les procédures liées aux pratiques unilatérales et laissant une trop large place à la revendication de gains d’efficience en matière de contrôle des opérations de fusions-acquisitions. Renoncer à des gains d’efficience sur l’autel de la préservation d’une structure de concurrence plus dispersée était considéré comme une capture du droit de la concurrence, une protection des concurrents au détriment des consommateurs. Comme le montre à très juste escient François Lévêque, la Standard Oil démantelée en 1911 ne l’aurait jamais été en 2011.

Les titans à l’épreuve des Etats, mondialisation et démondialisation

Cependant, si la croissance des titans a été le fruit de la convergence entre les rendements croissants de l’économie numérique et de la globalisation, elle risque d’être remise en cause par un double phénomène de reprise en main par les pouvoirs publics et de fracturation des échanges internationaux. Comme le montre François Lévêque, certains titans ont mené des stratégies pouvant heurter les Etats eux-mêmes. Les entreprises dominantes ne sont pas sans réaction vis-à-vis des décisions publiques qui peuvent affecter leurs intérêts. Elles peuvent comme cela a été noté supra exercer un pouvoir d’influence. Elles peuvent également mener des stratégies autonomes vis-à-vis des Etats eux-mêmes et mettre en œuvre une realpolitik visant à concilier leur développement sur les marchés internationaux avec telle ou telle contrainte locale. Dans ces frictions entre titans du numérique et autorités étatiques, François Lévêque cite le cas de Facebook dans son projet, annoncé depuis plus de deux ans, de développement d’une cryptomonnaie, le Libra ; nous pourrions également mentionner le cas de sa « cour suprême ». Des plateformes de plus en plus importantes, pour le meilleur et le pour le pire, dans la constitution de l’opinion publique peuvent mettre en œuvre une régulation privée. Or, comme a pu récemment l’affirmer le juge à la Cour Suprême américaine dans une opinion convergente dans un arrêt portant sur la suspension du compte de l’ancien Président Trump par Twitter, les plateformes apparaissent comme des vecteurs essentiels du débat public et devraient donc faire l’objet d’une supervision publique [2] .

Les points de friction entre titans et Etats portent également comme le montre François Lévêque sur la dimension fiscale. Les stratégies d’évitement posent un double défi. Le premier tient en une distorsion de concurrence entre firmes. Si une moindre contribution fiscale permet aux entreprises les plus puissantes de dégager, en termes relatifs, plus de capacités financières pour leurs investissements que peuvent le faire leurs compétiteurs, la concurrence par les mérites est compromise. De surcroît, les stratégies fiscales peuvent, notamment si elles s’appuient sur des rescrits fiscaux, aggraver les risques de concurrence fiscale entre Etats. Ces derniers induisent de réels risques pour la viabilité des espaces économiques régionaux… dont ont bénéficié grandement les grandes firmes dont les titans du numérique. Or, la globalisation est de plus en plus remise en cause par le développement de politiques commerciales de plus en plus conflictuelles sur la base d’arguments de dumping ou de risques en termes de souveraineté.

Ces développements conduisent François Lévêque à interroger les tensions qui peuvent prévaloir entre mondialisation, démocratie et souveraineté. S’appuyant sur Rodrik (2000), il fournit une explication au retour des Etats. Celui-ci remet en cause de plus en plus sensiblement la dynamique de mondialisation. Si les firmes du numérique sont moins exposées au risque de fragmentation de l’espace économique que les firmes traditionnelles, elles n’en demeurent pas moins vulnérables. Au-delà même des risques de balkanisation de l’Internet, l’impact des tensions sino-américaines dans le secteur des écosystèmes mobiles a témoigné des risques induits. La fermeture des marchés nationaux, l’application extraterritoriale du droit d’un côté et le contrôle de la stratégie des firmes par l’Etat de l’autre, peuvent induire une rupture majeure dans la dynamique de développement des titans.

Opérer sur un marché plus étroit est particulièrement préjudiciable pour ces firmes : l’accès aux données, les économies d’échelles ne peuvent plus être les mêmes. L’absence de titans « européens » est comme le montre François Lévêque, en partie liée, à la fragmentation de notre marché intérieur, notamment du fait de la diversité culturelle et linguistique des Etats Membres. Cependant, ces facteurs ne sont pas les seuls à prendre en considération pour expliquer un plus fort décrochage de l’U.E. que des Etats-Unis dans les classements des très grandes entreprises vis-à-vis de la Chine. Une plus forte présence sur les secteurs traditionnels par rapport au numérique est un premier facteur. Un deuxième facteur est lié à un moindre investissement en recherche-développement. Un troisième facteur tient aux difficultés d’accès aux financements. Celles-ci s’avèrent un frein majeur au développement des entreprises innovantes. L’absence de titans européens est d’autant plus préjudiciable que les retombées économiques d’une entreprise dans son pays d’origine sont supérieures à celles dont bénéficient ses différents pays hôtes.

Cette faiblesse européenne est d’autant plus malvenue que d’autres états américains pèsent de plus en plus dans le contrôle des stratégies de leurs groupes nationaux. Des questions de souveraineté, liés notamment au contrôle des technologies clés et d’infrastructures économiques essentielles, se posent avec une acuité croissante. Les enjeux ne sont plus simplement concurrentiels mais géostratigiques.

Le retour des frictions interétatiques, dans un contexte qui n’est plus celui du début du siècle, et les tendances à la fragmentation des marchés ne sont pas les seuls risques qui pèsent sur les titans. Comme le note François Lévêque, la régulation économique voit son rôle très significativement renforcé. Ce retour est d’autant plus essentiel que la contestabilité des positions acquises était de plus en plus mise en doute. Si, comme nous l’avons vu supra, la taille des firmes ou leurs parts de marché ne sont pas en eux-mêmes des problèmes concurrentiels, des positions dominantes durables et dont la contestabilité serait illusoire se traduiraient par un blocage du processus de concurrence. Une concurrence libre et non faussée ne peut prévaloir si une firme peut entraver l’accès au marché de ses concurrents et réguler de façon privée son marché pertinent.

Au sein de l’Union Européenne, le volontarisme de l’application du droit des pratiques anticoncurrentielles et la proposition de Digital Markets Act de décembre 2020. Aux Etats-Unis, de nombreux contentieux ont été initié à partir de l’automne 2020 sur la base des règles de concurrence et une inflexion politique, annoncée par le rapport bipartisan de la Chambre des Représentants en octobre 2020, a été consacrée par les nominations opérées par l’Administration Biden au premier semestre 2021. Cependant plusieurs questions restent en suspens. La première question tient au traitement des concentrations. Comment faire la part des choses entre prévention des acquisitions consolidantes et prise en compte des éventuels gains d’efficience dès lors que les acquisitions en questions apparaissent au mieux comme verticales sinon comme conglomérales ? La seconde question tient à la nécessité, dans le cas américain, de voir de telles inflexions confortées par des revirements de jurisprudence… Qu’il s’agisse de la concurrence ou des enjeux géostratégique, les titans sont exposés au retour des Etats. Comme conclut François Lévêque, l’Union Européenne doit avoir une stratégie claire dans ce nouveau contexte qui n’est plus caractérisé par le doux commerce mais par le retour des jeux pouvoirs tant dans la sphère économique dans la sphère des relations interétatiques.

Références

Cowgill B., Prat A. and Valletti T., (2021), “Political Power and Market Power”, Working Paper, June. https://arxiv.org/pdf/2106.13612.pdf

De Loecker J., Eeckhout J. and Unger G., (2020), “The Rise of Market Power and the Macroeconomic Implications”, The Quarterly Journal of Economics, 135(2), pp. 561-644

European Commission, (2020), Inception Impact Assessment – New Competition Tool, Ares(2020)2877634, June.

McKinney L.C., (1980), “The Case Against No-Conduct Monopolization”, Washington and Lee University Law Review, 37(1), pp.73-82

Merton R.K., (1968), “The Matthew Effect in Science”, Science, 159(3810).

Philippon T., (2020), The Great Reversal : How America Gave Up on Free Markets, Belknap Press.

Rodrik D., (2000), “How Far will International Economic Integration Go ?”, Journal of Economic Perspectives, 14(1), pp.177-186

Rosen S., (1981), “The Economics of Superstars” », The American Economic Review, 71(5), pp. 845-858

Salais R., (2015), « Revisiter la question de l’État à la lumière de la crise de l’Europe : État extérieur, situé ou absent », Revue Française de Socio-Économie, 2, pp. 245-262.

Zingales L., (2017), “Towards a Political Theory of the Firm”, Journal of Economic Perspectives, 31(3), pp.113-130.

Notes

[1“Structural risks for competition refer to scenarios where certain market characteristics (e.g. network and scale effects, lack of multi-homing and lock-in effects) and the conduct of the companies operating in the markets concerned create a threat for competition. This applies notably to tipping markets. The ensuing risks for competition can arise through the creation of powerful market players with an entrenched market and/or gatekeeper position” (EU Commission, 2020)

[2US Supreme Court, Thomas J. concurring, Joseph Biden Jr et al. v Knight First Amendment Institute at Columbia University et al., on petition writ of certiorari to the US court of appeal of the 2nd Circuit, n°20-197, decided April 5, 2021, 593 U.S. (2021).