La thèse “Innovation et droit de la concurrence” a été soutenue le 8 décembre 2017 par Marie Cartapanis, sous la direction de David Bosco à l’université d’Aix-Marseille. Cette thèse a par ailleurs reçu le prix de l’Institut Universitaire Varenne pour la Fondation Varenne en “droit privé des activités économiques et des coopératives financières”.
Dans cette étude, l’auteure propose une analyse du traitement juridique de l’innovation par le droit européen de la concurrence, entendu comme le droit européen des ententes, des abus de position dominante, des concentrations et des aides d’État. Droit et innovation ont vocation à interagir en raison du fait que l’innovation est un phénomène systémique, autrement dit qui s’insère dans un environnement économique dans lequel le droit à tout son rôle à jouer.
L’introduction de l’étude retient une définition économique de l’innovation, proposée par l’OCDE, au sein de laquelle l’auteure décèle deux éléments caractéristiques de l’innovation. D’une part, l’innovation est un résultat marchand : elle se matérialise à des degrés variables. Il peut s’agir d’un produit, d’un procédé ou d’ une méthode de commercialisation. D’autre part, l’innovation est un processus marchand. En ce sens, l’innovation suppose la mise en œuvre d’actions multiples de la part d’acteurs divers, avant d’être introduite sur le marché.
En outre, la rencontre de l’innovation et du droit de la concurrence induit un paradoxe : l’innovation est perçue à la fois comme le facteur et le résultat d’un marché concurrentiel ; mais également comme une arme potentiellement anticoncurrentielle parce qu’elle peut conduire à l’éviction des concurrents sur un marché. Dans le même temps, l’Union européenne fait de l’innovation l’un de ses objectifs majeurs. La thèse a donc pour ambition de confronter les outils juridiques du droit de la concurrence à cet objectif des pouvoirs publics. À cette fin, l’étude est centrée sur la dialectique suivante : la singularité de l’innovation pour le droit de la concurrence (partie 1) et la promotion de l’innovation par le droit de la concurrence (partie 2).
À l’occasion de la première partie – et particulièrement du premier chapitre –, l’auteure analyse la notion et les méthodes de délimitation du marché pertinent. Après avoir mis en avant les lacunes des méthodes traditionnelles de délimitation de ce marché, l’auteure s’intéresse à la doctrine nord-américaine, et particulièrement à la question de l’existence d’un marché de l’innovation. Sceptique sur cette notion, qu’elle considère comme trop imprécise, elle propose alors de se tourner vers une typologie de marchés innovants et accorde une place particulière aux marchés multifaces.
Le pouvoir de marché est également au cœur de cette étude. L’auteure apporte à cet égard une analyse critique des critères transversaux des parts de marché et de seuils de chiffres d’affaires. De ce fait, les parts de marché sont trop “volatiles” et toute analyse figée peut rapidement devenir obsolète. En réponse, la présente étude propose d’offrir une place plus importante à la théorie des marchés contestables en estimant qu’il faut ajouter au raisonnement les difficultés rencontrées par les concurrents actuels ou potentiels pour entrer sur le marché.
Ainsi, au-delà du pouvoir de marché, l’auteure confronte les règles du droit de la concurrence aux modèles économiques innovants tels que le modèle du prix zéro ou la discrimination reposant sur les données personnelles.
Dans une seconde partie, l’auteure évalue dans un premier temps la possibilité pour le droit de la concurrence de poursuivre un objectif de stimulation de l’innovation. En substance, les difficultés résident dans une analyse considérée trop statique des comportements concurrentiels : promouvoir l’innovation nécessite un arbitrage entre la concurrence statique et dynamique. À cette fin, l’étude met en cause le critère du bien-être du consommateur, dont les limites sont observées. Afin d’y remédier, l’auteure confronte ce critère avec celui du bien-être total et celui du choix du consommateur. Il ressort alors de cet arbitrage que le dernier apparaît comme le plus opportun.
Dans un second temps, l’auteure poursuit sa réflexion en mettant en exergue l’intégration de l’innovation au sein du raisonnement juridique qui s’intéresse particulièrement à la circulation de l’innovation. À cet égard, le droit de la concurrence semble s’ouvrir à la souplesse requise par les spécificités des marchés innovants, notamment par une étude approfondie des innovation commons.
L’auteure observe une convergence timide entre la politique de concurrence et la politique d’innovation qu’elle souhaiterait voir se développer. Des instruments qui permettent ce rapprochement sont proposés. Le premier consiste à orienter ex ante le comportement des entreprises sur les marchés innovants (publications informelles, soft law) pour prévenir les restrictions à l’innovation. Le deuxième outil consiste à adopter une approche négociée avec les entreprises (avec la procédure d’engagement). Selon l’auteure, le droit de la concurrence est désormais de plus en plus a priori non pour sanctionner les restrictions, mais pour les éviter. On peut regretter à cet égard que le traitement des aides d’État ne fasse pas l’objet d’une analyse plus approfondie.
L’auteure conclut que le rôle du droit de la concurrence ne doit cependant pas être surestimé. Selon elle, il n’est pas de la compétence des autorités de concurrence de pallier les imperfections des droits de propriété intellectuelle, ni même de statuer sur leur validité. Cela révèle que les domaines sont vastes, et que le droit de la concurrence n’est qu’un élément parmi d’autres de la politique d’innovation.