Le thème des services sociaux d’intérêt général (SSIG) étant désormais bien ancré dans le débat communautaire (v. cette revue N° 3-2009, chronique Secteur public, à propos des conclusions du Conseil de l’Union européenne du 25 mai 2009 sur les services sociaux), il semblait logique que la représentation nationale française s’en empare à son tour, ne serait-ce que pour prendre position sur les derniers développements de la doctrine de la Commission européenne sur la place dans l’UE des services publics ou des services d’intérêt (économique) général, (SI(E)G), dans la terminologie appropriée du traité CE et des communications de la Commission) ; mais aussi sur les résultats de la mission interministérielle relative “à la prise en compte des spécificités des services d’intérêt général dans la transposition de la directive « Services » et l’application du droit communautaire des aides d’État” (cf. rapport de Michel Thierry, Inspection générale des affaires sociales, janvier 2009, La Documentation française, mars 2009).
Le rapport d’information élaboré sous l’égide des députés Caresche, Forgues, Lecou et Rosso-Debord se structure autour de trois parties. La première partie permet de rappeler, dans le même esprit que celui qui a inspiré les conclusions précitées du Conseil du 25 mai 2009, que les SSIG sont tout d’abord “un élément clé du modèle social européen”, compte tenu de leur place essentielle dans l’économie et dans l’emploi, soulignant au passage qu’ils jouent ainsi “un rôle d’amortisseur essentiel dans la crise actuelle”. Mais c’est aussi l’occasion pour les parlementaires d’insister sur ce qu’ils considèrent comme étant “un domaine privilégié d’expression de (la) diversité” de ce modèle social européen, compte tenu notamment d’un niveau et d’une répartition très différents entre États membres de l’effort financier en faveur du secteur social, d’une implication variable du secteur public, ainsi que du tiers secteur et du secteur privé à but lucratif (comme l’illustre par exemple le secteur des soins à long terme) ou encore de publics bénéficiaires plus ou moins larges (l’exemple du logement social étant à cet égard particulièrement significatif). De cette analyse comparée, on ne s’étonnera pas qu’il ressort que la France se singularise par une conception étendue des SSIG, avec des modalités d’organisation reposant sur une contribution majeure du tiers secteur et avec un important financement du secteur associatif en contrepartie de ses missions.
La deuxième partie du rapport d’information sort du cadre hexagonal pour se plonger dans l’état du droit communautaire positif applicable aux SSIG. C’est aussi la partie qui collectionne les regrets. Les députés déplorent tout d’abord une “reconnaissance tardive” des spécificités des SIG dans le traité CE et une “identification seulement doctrinale” des SSIG et considèrent insatisfaisant le cadre juridique d’origine essentiellement contentieuse des SSIG, au motif notamment qu’il est “partagé avec d’autres SIEG, axé sur les règles de la concurrence, très complexe” et qu’il “n’offre pas une véritable sécurité juridique”. La charge est sévère, notamment à l’encontre de la Commission. La mise en ligne de son service d’information interactif sur les SIG est présentée comme “un aveu implicite de l’insuffisance, notamment pour les SSIG, des règles actuelles”. Son paquet “Monti-Kroes”, sur la question des compensations de service public au regard des règles communautaires relatives aux aides d’État, est certes qualifié d’appréciable mais considéré comme “complexe, disproportionné et insuffisamment sécurisé”. Enfin, il est aussi reproché à la Commission de ne pas avoir pris d’initiative forte pour répondre aux demandes politiques et d’avoir fait de nombreuses annonces de clarification “restées sans suite”. Toutefois, le rapport parlementaire a l’honnêteté de ne pas couvrir de tous les maux la seule Commission. Le législateur communautaire lui-même est aussi visé, pour lui reprocher son intervention à l’occasion de l’adoption de la directive “Services” (directive 2006/123/CE du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2006 relative aux services dans le marché intérieur : v. Concurrences, n° 3-2006, chronique Secteur public, p. 157) qui s’est avérée “limitée à une exclusion ambiguë du champ d’application”. Quant aux États membres, force est de constater qu’aucun consensus ne se dégage en leur sein sur le sujet qui fait toujours débat.
Comment dès lors faire progresser ce débat ? La troisième partie du rapport d’information tente de fournir quelques éléments de réponse à cette question, tant à l’échelon national qu’à l’échelon communautaire. S’agissant du prisme national, les députés invitent, à juste titre selon nous, le législateur français à améliorer l’application des règles communautaires à l’occasion de la mise en œuvre du paquet “Monti-Kroes” et de la transposition de la directive Services. Des propositions précises sont formulées en ce sens. On en retiendra trois, parmi d’autres, qui nous paraissent devoir être suivies : choisir une approche pragmatique et large de la notion de mandat pour les SIEG ; donner un contenu à la notion d’association caritative reconnue telle que prévue pour l’exclusion des services sociaux visés par l’article 2.2 sous j) de la directive Services ; et adapter les règles actuelles de contrôle et de transparence au suivi communautaire des compensations de service public. Quant à l’approche communautaire, le rapport revendique “une exigence politique de clarification et de reconnaissance” qui pourrait justifier, à terme, une intervention du législateur européen, après toutefois en avoir soumis le principe à la vérification d’“un test concerté de subsidiarité” dans le cadre de la conférence des organes parlementaires spécialisés dans les affaires communautaires (COSAC). Cette posture n’est pas nouvelle, si l’on veut bien se rappeler des débats ayant alimenté notamment la campagne référendaire sur le traité établissant une Constitution pour l’Europe en 2005, l’opportunité d’adopter une directive-cadre en matière de SIG ayant été alors discutée amplement. Elle prend bien sûr un relief nouveau à l’aune du traité de Lisbonne avec la révision de l’article 16 CE et l’insertion d’un protocole sur les SIG (cf. Concurrences, n° 4-2007, chronique Secteur public, p. 143). Relief rehaussé par une proposition particulièrement bienvenue en cette période de renouvellement de la Commission européenne : “créer au sein du (nouveau) Parlement européen, une dynamique politique pour que les personnalités prévues pour être commissaires européens exposent, lors de leur audition préalable, leur point de vue sur les SSIG, et au-delà, sur les SIG”. À bon entendeur...