Les parlementaires français sont particulièrement attentifs à l’évolution du secteur national et européen de l’énergie. Cette mobilisation traduit une prise de conscience de l’enjeu politique et économique que constituent l’indépendance et la sécurité énergétiques. Le rapport présenté par MM. les députés André Schneider et Philippe Tourtelier s’inscrit dans cette problématique générale et porte sur la “deuxième analyse stratégique de la politique énergétique” de l’Union européenne conçue par la Commission européenne - à la demande du Conseil européen de mars 2007 - dans une communication du 13 novembre 2008. Cette stratégie a été approuvée par les chefs d’État et de gouvernement lors du Conseil européen des 19 et 20 mars 2009 et doit servir de base à un plan d’action dans le domaine de l’énergie pour l’après-2010. La Commission propose en effet de lancer un vaste “plan d’action européen en matière de sécurité et de solidarité énergétiques”. Les auteurs du rapport soulignent le mérite de ce plan, qui rassemble en un seul document les axes d’action de l’Union européenne tendant vers un objectif unique ultime : la sécurité énergétique.
Le rapport d’information est structuré en trois parties. Les auteurs établissent, dans les deux premières parties, une distinction entre les actions qui relèvent, d’une part, du volet “extérieur” de la sécurité énergétique qui passent par la diversification des sources et des voies d’approvisionnement, et, d’autre part, les actions qui contribuent à la sécurité énergétique à l’intérieur des frontières de l’Union européenne, lesquelles passent par l’utilisation de toutes les ressources en énergie dont l’organisation dispose sur son territoire et par une amélioration de l’efficacité énergétique. Ces deux volets sont en réalité indissociables. Enfin, la troisième partie soulève le problème du financement des investissements indispensables à la réalisation de la “deuxième analyse stratégique” en pointant fort justement les insuffisances de la communication de la commission européenne sur ce point.
De manière plus précise, la première partie est centrée sur la situation complexe de la situation énergétique actuelle de l’Union européenne, caractérisée par une dépendance énergétique et par des disparités considérables d’un État membre à un autre. Les auteurs reviennent ensuite sur la crise gazière russo-ukrainienne, qui a révélé, selon eux, l’ampleur des vulnérabilités européennes et l’urgence à organiser l’interdépendance avec les pays fournisseurs (Russie) et de transit (Ukraine), le besoin de stabilité juridique, la rénovation du réseau de transit ukrainien, la diversification des sources et des routes, le renforcement de la solidarité et de la transparence. Après avoir fait un bref rappel sur les précédentes crises mettant en cause la Russie et l’Ukraine, les auteurs retracent le déroulement de la crise fin 2008-début 2009, résument les termes de l’accord conclu les 18 et 19 janvier 2009 et pointent les incertitudes et les faiblesses en résultant. Ils notent que la suspension des livraisons restent possible ; qu’au vue de la situation économique de l’Ukraine, particulièrement dégradée, il y a des risques de défaut de paiement de la part de la société Naftogaz ; que la question du “gaz technique” demeure un point de litige potentiel pour 2010 et au-delà ; qu’aucun règlement n’est officiellement intervenu sur la question des arriérés de paiement. À ces risques liés à l’accord lui-même, les auteurs soulignent les inquiétudes exprimées par la Russie vis-à-vis d’une éventuelle adhésion de l’Ukraine à la Communauté européenne de l’énergie, actuellement en cours de négociation. Si la crise gazière a mis en lumière les faiblesses de l’Union européenne dans son ensemble, les auteurs font toutefois observer que, parallèlement, des initiatives de solidarités ont été prises du fait des entreprises du secteur gazier et des décisions d’États membres. Ils notent avec satisfaction la capacité qu’à eu l’Union européenne à parler d’une seule voix durant cette crise. Le rapport s’interroge aussi sur les leçons que l’Union européenne devrait tirer de cette crise. Les auteurs préconisent, à court terme, que l’Union prenne part à la modernisation du réseau ukrainien, définisse les termes de son nouveau partenariat avec la Russie, et perfectionne ses propres mécanismes de gestion des crises d’approvisionnement, c’est-à-dire améliore les interconnexions, permette l’inversion des flux de gaz, se dote d’une politique de stockage plus transparente et plus efficace et de renforce les ressources en gaz naturel liquéfié (GNL). Les rapporteurs appellent les autorités nationales et communautaires à mettre en œuvre ces mesures de très court terme sans le moindre délai. Ils insistent sur le fait que, malgré l’accord passé à la fin du mois de janvier entre la Russie et l’Ukraine, une nouvelle crise reste possible. Cette perspective reste inquiétante pour l’ensemble de l’Union européenne qui ne dispose actuellement pas des instruments pour s’en prémunir. Le rapport préconise également, à moyen et long terme, que l’Union européenne, dès à présent, commence à diversifier ses voies et sources d’approvisionnement. Le rapport revient sur les projets très lourds allant dans ce sens : North Stream, South Stream et Nabucco, tout en soulignant leur état d’avancement très inégal, puis présente les autres voies possibles d’approvisionnement en gaz, que ce soit à partir du Moyen-Orient ou de l’Afrique. Il recommande enfin la construction d’une véritable politique énergétique externe, en utilisant tous les instruments dont dispose l’Union européenne, qu’il s’agisse de la politique de voisinage, de la politique d’aide au développement ou de la politique commerciale.
La seconde partie du rapport étudie les moyens par lesquels l’Union européenne pourrait accroitre sa sécurité énergétique à l’intérieur de ses frontières. Les auteurs proposent un engagement renforcé et préconisent de rendre contraignant l’objectif que l’Union européenne s’est engagée à atteindre en termes d’efficacité énergétique. Ils évoquent ensuite l’accord intervenu entre le Conseil et le Parlement européen sur le troisième paquet de libéralisation du marché de l’énergie. Le compromis renonce à la séparation patrimoniale sur le marché de l’électricité tout en renforçant les garanties d’indépendance des gestionnaires de réseaux de transport dans le cadre de l’option dite ITO (“Independent Transmission Operator”), en matière d’investissement et de gouvernance. Le compromis prévoit également de renforcer les droits des consommateurs (par exemple avec la possibilité de changer de fournisseur d’énergie dans un délai maximum de trois semaines), de lutter contre la pauvreté énergétique et de rendre obligatoire le déploiement de compteurs “intelligents”, distinguant les heures pleines et les heures creuses.
La question n’est pas étrangère aux problèmes de concurrence sur les marchés de l’énergie, que le troisième paquet de libéralisation visait précisément à corriger. Dans le cas de la France, la Commission européenne considère que les tarifs réglementés peuvent constituer des barrières à l’entrée de nouveaux fournisseurs et des effets dissuasifs concernant le changement de fournisseur, empêcher l’émission de signaux de prix corrects, propres à encourager les investissements et l’efficacité énergétique. Elle se prononce en faveur d’une réglementation des prix ciblée pour protéger certains consommateurs dans des conditions particulières.
Les auteurs insistent enfin sur la nécessité du développement substantiel des interconnexions au niveau européen, point que la “deuxième analyse stratégique” met en exergue. Le rapport s’interroge sur la place de l’électricité en Europe en soulignant que le débat sur cette question reste très sensible dans l’Union européenne, mais que les perspectives de développement du nucléaire sont importantes. Il note que plusieurs États membres ont récemment fait savoir qu’ils souhaitaient avoir recours - davantage ou à nouveau - à la production d’électricité nucléaire sur leur territoire (c’est le cas de la Finlande, de la Grande-Bretagne, de la Slovaquie, de la Bulgarie, de la Pologne, de la Suède, de l’Italie, et de la France). Cette “relance” du nucléaire civil est une tendance qui s’observe aussi à l’échelle mondiale. Le rapport mentionne la proposition de directive de la Commission européenne établissant un cadre communautaire pour la sûreté nucléaire qui vise à définir des obligations fondamentales et des principes généraux en matière de sûreté des installations nucléaires, les États demeurant libres d’appliquer des règles plus strictes s’ils le souhaitent. Le rapport souligne toutefois que le dispositif proposé est clairement insuffisant : il faut impérativement qu’il soit complété par des règles strictes sur la gestion et le transport des déchets.
En outre, le rapport insiste particulièrement sur l’importance des énergies renouvelables, lesquelles devraient devenir un élément central de l’action communautaire. D’ailleurs, la communication de la Commission européenne sur la deuxième analyse stratégique met clairement l’accent sur l’importance du potentiel des énergies renouvelables : “Le développement des énergies renouvelables telle que l’énergie éolienne, l’énergie solaire, l’énergie hydraulique, l’énergie tirée de la biomasse et les ressources marines doit être considéré comme la source potentielle d’énergie indigène la plus importante de l’UE. Elle représente aujourd’hui quelque 9 % de la consommation énergétique de l’UE, l’objectif fixé étant une contribution de 20 % d’ici 2020.” Le Parlement européen, dans sa résolution sur cette deuxième analyse stratégique, a adopté une démarche encore plus ambitieuse, en invitant l’Union et les États membres à porter à 60 % la part des énergies renouvelables d’ici à 2050. Le rapport n’aborde pas toutes les formes existantes d’énergies renouvelables, mais évoque l’énergie éolienne et l’énergie solaire, que les auteurs considèrent comme les “deux des pistes les plus prometteuses”. Le dernier axe d’action préconisé par la “deuxième analyse stratégique” est cohérent par rapport à l’ambition précédente. Il s’agit d’une démarche à la fois quantitative et qualitative d’efficacité énergétique consistant à mieux consommer l’énergie afin de moins en consommer. Il s’agit pour les auteurs d’un enjeu, l’efficacité énergétique devant devenir un objectif contraignant pour l’UE.
La troisième partie du rapport est consacrée à la question du financement des investissements nécessaires à la réalisation de la deuxième analyse stratégique. Les auteurs regrettent que ce point n’ait été que très insuffisamment abordé par la communication de la Commission européenne, laquelle ne comporte aucune estimation chiffrée sur les investissements correspondant à chacun des axes d’action qu’elle préconise, et renvoie à une étape ultérieure (“durant la période 2009-2010”) le recensement des besoins financiers et des sources potentielles de financement. Le rapport fait observer que la contribution du budget communautaire à la réalisation de la stratégie énergétique européenne, dans le cadre financier pluriannuel actuel, ne peut être que limitée en volume. Pour la démonstration, il passe en revue les instruments budgétaires pluriannuels traditionnels : les réseaux transeuropéens d’énergie (RTE-E), les Fonds structurels, la politique européenne en faveur de la recherche. Puis, il présente le volet le plus important de la contribution du budget communautaire au plan européen de relance économique, présentée le 26 novembre 2008 : le “volet” énergie qui complète au niveau communautaire les différents plans de relance nationaux. Selon l’accord intervenu au Conseil européen des 19 et 20 mars derniers, le financement, par le budget communautaire, des projets dans le secteur de l’énergie s’élèvera au total à 3,98 milliards d’euros répartis sur 2009 et 2010. L’utilisation des marges de 2008 est exclue. Suite au Conseil européen, les négociations entre le Conseil et le Parlement européen ont permis d’aboutir à un accord politique entre les deux branches de l’autorité budgétaire communautaire sur ce volet “énergie” du plan de relance. Le compromis prévoit que si les 3,98 milliards d’euros de fonds alloués aux projets énergétiques n’ont pas été dépensés intégralement d’ici fin 2010, les fonds restants pourront être utilisés pour d’autres projets, en faveur de l’efficacité énergétique et des énergies renouvelables. Cet accord a été approuvé en séance plénière au Parlement européen le 6 mai 2009 et doit à présent être validé formellement par le Conseil. En outre, le rapport pointe fort justement le rôle clef joué par la Banque européenne d’investissement dans la politique énergétique de l’Union européenne.
Le rapport se termine sur les débats menés au sein de la commission chargée des affaires européennes sur la base de ce rapport. Une source d’information enrichie par la reproduction en annexe des auditions de M. Claude Mandil, ancien directeur exécutif de l’Agence internationale de l’énergie, sur la sécurité énergétique de l’Europe, et de M. Philippe de Ladoucette, président de la Commission de régulation de l’énergie, sur le marché intérieur de l’énergie. Suite à l’examen du rapport en commission des affaires européennes, une proposition de résolution n° 1656 a été renvoyée à la commission des affaires économiques, compétente pour son adoption. Le point 9 de la proposition de résolution élaborée sur le fondement de l’article 88-4 de la Constitution résume ainsi le message essentiel du rapport : l’Assemblée nationale “approuve la priorité élevée que la Commission européenne donne dans son analyse stratégique au développement des interconnexions électriques et gazières dans l’Union européenne, et à l’adaptation du réseau électrique européen à l’intégration de nouveaux producteurs d’électricité de source renouvelable”.
Ce rapport parlementaire est un outil à la fois politique et pédagogique qui traduit une certaine évolution des pratiques parlementaires françaises en matière d’affaires européennes. Un noyau dur de parlementaires qui lutte concrètement contre le déficit démocratique en matière européenne en développant l’information et le suivi politique de la construction de l’Europe de l’énergie. Un enjeu stratégique national et européen.