Nouvelle-Calédonie : L’Autorité de la concurrence de la Nouvelle-Calédonie sanctionne plusieurs opérateurs pour des pratiques d’importations exclusives (Médi-Services / Medline / Thermo Fisher Diagnostics / Medicrea International / Sebia / Baxter)

Bis repetita placent”. On pourrait même dire que plus elles sont reprises et affinées, plus les choses répétées plaisent. Avec une nouvelle décision de sanction, l’Autorité de la concurrence de la Nouvelle-Calédonie [ci-après “l’ACNC”] précise et consolide sa pratique décisionnelle concernant les pratiques d’importations exclusives.

Aux termes de la décision n° 2022-PAC-06 du 29 août 2022, l’ACNC a ainsi prononcé des amendes à l’égard des fournisseurs et d’un distributeur pour des pratiques d’importations exclusives mises en œuvre dans le secteur des dispositifs médicaux. Cinquième et avant-dernière décision relative à ce type de pratiques, il s’agit aussi de la sanction pécuniaire la plus importante infligée par l’ACNC jusqu’à présent à l’égard d’un importateur exclusif (Voir les décisions n° 2019-PAC-04, du 11 décembre 2019, n°2019-PAC-05 du 26 décembre 2019, les décisions n°2020-PAC-02 et n°2020-PAC-03 du 7 septembre 2020 et la décision n° 2023-PAC-01 du 1er mars 2023).

Une nouvelle application du dispositif d’interdiction des accords exclusifs d’importation par l’ACNC

Pour rappel, à l’instar de l’article L. 420-2-1 du code de commerce métropolitain, l’article Lp. 421-2-1 du Code de commerce applicable en Nouvelle-Calédonie [ci-après “Code de commerce”] prohibe les exclusivités d’importation depuis le 21 mars 2014.

L’ACNC a été amenée, depuis sa création en 2018, à sanctionner des pratiques d’importation exclusive dans des secteurs très hétérogènes comme les ascenseurs ou bien encore les glaces industrielles. Loin de se limiter aux seuls produits de grande consommation, le dispositif a vocation à s’appliquer à l’ensemble des secteurs d’activité comme en témoigne la présente décision.

La caractérisation de l’infraction via des preuves documentaires directes

En l’espèce, l’ACNC a appréhendé cinq accords exclusifs d’importation entre la société Médi-Services et ses fournisseurs (Medline, Thermo Fisher Diagnostics, Medicrea International, Sebia et Baxter) conférant à la société Médi-Services une position monopolistique sur les marques des produits concernés.

La caractérisation des exclusivités d’importation n’a pas soulevé de difficultés dans la mesure où celles-ci étaient formalisées contractuellement entre Médi-Services et les cinq fournisseurs.

Or, conformément à une pratique décisionnelle constante, la seule existence des stipulations contractuelles prévoyant une exclusivité d’importation suffit à la qualification de l’infraction, dont le caractère anticoncurrentiel est irréfragablement présumé (Voir notamment Décision n° 21-D-23 du 7 octobre 2021 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur de la commercialisation du champagne et de spiritueux à La Réunion (Cattier)).

La décision commentée est relativement classique d’un point de vue substantiel. Elle fait d’ailleurs fortement écho à la décision de l’Autorité de la concurrence métropolitaine [ci-après “l’ADLC”] qui a sanctionné en 2019 un accord exclusif d’importation dans le secteur des dispositifs médicaux distribués en Guyane (Voir notamment Décision n° 19-D-11 du 29 mai 2019 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur de la commercialisation de réactifs et consommables pour laboratoires hospitaliers sur le territoire de la Guyane.)

Les exclusivités d’importations appréhendées jusqu’à présent par l’ADLC et l’ACNC ont été caractérisées dans la grande majorité via des preuves documentaires directes i.e des contrats (Voir notamment Décision n° 19-D-20 du 8 octobre 2019 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur de la distribution de produits de parfumerie et cosmétiques aux Antilles, en Guyane et à La Réunion.) et, plus résiduellement, par le recours à la méthode du faisceau d’indices (Voir notamment Décision n° 18-D-21 du 8 octobre 2018 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur des produits de grande consommation sur les îles du territoire de Wallis-et-Futuna et décision n°2020-PAC-03 du 7 septembre 2020 relative à des pratiques mises en œuvre par la société Serdis SAS dans le secteur des glaces en Nouvelle-Calédonie.). Même plus de dix ans après l’adoption de la loi “Lurel”, certaines têtes de réseaux n’ont pas – à dessein ou par négligence – pris en considération les spécificités inhérentes à la commercialisation de leurs produits dans les territoires ultramarins.

Ici, au-delà des seules stipulations contractuelles, la mise en œuvre effective de l’exclusivité est attestée par les déclarations des fournisseurs, le positionnement de distributeur exclusif revendiqué par la société Médi-Services ainsi que les refus de vente opposés par certains fournisseurs notamment au centre hospitalier territorial [CHT], le principal acheteur en dispositifs médicaux du territoire.

À noter également la combinaison dans certains contrats à la fois d’une clause d’exclusivité d’importation et d’une clause de non-concurrence ce qui a obéré non seulement la concurrence intra-marque mais également la concurrence intermarques.

Le rejet de l’exemption invoquée par le grossiste-importateur

La décision commentée permet de revenir sur le mécanisme d’exemption en matière d’exclusivité d’importation – prévu en application du 2 du I de l’article Lp. 421-4 du Code de commerce – dès lors qu’il était invoqué pour la première fois devant l’ACNC.

À l’instar du dispositif métropolitain, le fardeau probatoire est supporté par les auteurs des pratiques à rebours d’ailleurs du mécanisme prévu initialement dans le projet de loi “Lurel” lequel faisait peser la charge de la preuve de l’absence de justification économique liée à l’exclusivité sur l’autorité répressive.

Néanmoins, la comparaison s’arrête là, car les critères d’exemption ne sont pas exactement identiques à ceux figurant dans le code de commerce métropolitain.

En effet, l’exemption pour les exclusivités d’importation prévue au III de l’article L. 420-4 du Code de commerce métropolitain est distincte de celle applicable aux pratiques anticoncurrentielles. Deux conditions positives sont requises. Les sociétés mises en cause doivent démontrer que l’accord exclusif est fondé sur des motifs objectifs tirés de l’efficacité économique et prouver ou, à tout le moins estimer, le bénéfice – qualitatif ou financier – que le consommateur peut retirer d’une telle exclusivité d’importation.

En revanche, en Nouvelle-Calédonie, l’exemption des pratiques d’exclusivités d’importation et des ententes anticoncurrentielles fait l’objet de l’article Lp. 421-4 du Code de commerce, dont les critères sont communs aux deux infractions. Cumulatifs, ils sont au nombre de trois :

  • 1ère critère : L’exclusivité d’importation doit contribuer directement au progrès économique ;
  • 2ème critère : L’exclusivité d’importation doit réserver aux utilisateurs – et non pas aux seuls consommateurs - une part équitable du profit qui en résulte.

À ce titre, l’ACNC a précisé que “la notion d’utilisateur” englobe tous les acteurs, directs ou indirects, des produits couverts par l’exclusivité : fournisseur, distributeur concerné, distributeurs concurrents, utilisateurs finals et in fine les consommateurs, i.e. les patients et les contribuables en l’occurrence. La notion de “partie équitable” suppose que les avantages obtenus par les utilisateurs compensent les inconvénients qui en résultent.

  • 3ème critère : L’exclusivité d’importation ne doit pas permettre aux parties d’éliminer la concurrence pour une partie substantielle des produits concernés.

La déclinaison de ce 3ème critère est délicate à manier. En effet, dans la mesure où l’exclusivité d’importation élimine par essence la concurrence au niveau du commerce de gros concernant les produits concernés, les entreprises qui se prévalent de l’exemption sont contraintes de démontrer qu’il existe une vive concurrence intermarques sur les produits concernés.

En l’espèce, la société Médi-Services a sollicité le bénéfice de l’exemption en invoquant notamment la plus-value liée à l’exclusivité pour ses clients, le CHT et la clinique Kuindo-Magnin, à travers son expertise et sa connaissance des produits importés, la délivrance de formations, les facilités de paiement par rapport à des achats directs ou bien encore le stockage.

En vain. L’ACNC a estimé que cette dernière n’avait, par exemple, fourni aucun élément susceptible d’établir que le recours à un seul grossiste-importateur serait plus efficace pour permettre aux utilisateurs finaux de bénéficier de prix de vente au détail plus compétitifs par rapport à un schéma d’importation non-exclusif.

Sans y faire explicitement référence dans la décision, l’ACNC semble considérer en filigrane, à l’instar de l’ADLC, que lorsqu’une entreprise entend justifier une pratique en invoquant une forme de “progrès économique”, il lui appartient d’en démontrer la réalité et l’importance, notamment en versant au dossier des éléments probants et vérifiables (Voir notamment Décision n° 18-D-03 du 20 février 2018 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur de la commercialisation de pièges à termites à base de biocides à La Réunion, aux Antilles et en Guyane et Décision n° 21-D-23 du 7 octobre 2021 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur de la commercialisation du champagne et de spiritueux à La Réunion (Cattier)) ce qui n’était manifestement pas le cas en l’espèce.

Dès lors, si le bénéfice de l’exemption est régulièrement revendiqué par les entreprises pour ce type de pratiques (Voir notamment Décision n° 18-D-03 du 20 février 2018 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur de la commercialisation de pièges à termites à base de biocides à La Réunion, aux Antilles et en Guyane.), il n’a jamais été accordé jusqu’à présent ni par l’ADLC ni par les juridictions de contrôle. La présente décision de l’ACNC ne déroge pas à la règle.

Une nouvelle illustration de la plus-value de la procédure de non-contestation des griefs

En droit calédonien de la concurrence, la procédure de non-contestation des griefs, semblable au régime qui prévalait en métropole avant l’adoption de la procédure de transaction, permet aux entreprises mises en cause de réduire de moitié le plafond maximal de l’amende encourue.

En l’espèce et à l’instar des décisions n° 2020-PAC-02 et n° 2020-PAC-03 rendues le 7 septembre 2020 par l’ACNC, fournisseurs et grossiste-importateur ont suivi deux stratégies procédurales sensiblement différentes.

En effet, aucun des fournisseurs mis en cause n’a contesté les griefs notifiés. Certains fournisseurs ont revu substantiellement l’organisation de l’approvisionnement des dispositifs médicaux en s’engageant même à supprimer les clauses d’approvisionnement exclusif et de non-concurrence imposées à la société Médi-Services – qui, rappelons-le, ne sont pas prohibées par l’article Lp. 421-2-1 du Code de commerce (Voir également Décision n° 2019-PAC-05 du 26 décembre 2019 relative à des pratiques mises en œuvre par les sociétés Kone Elevators Ltd, Otis SCS, Socometra SAS et Pacific Ascenseurs SARL dans le secteur des ascenseurs en Nouvelle-Calédonie §189.) – et ce, afin de dynamiser la concurrence intermarques.

En définitive, la mise en œuvre de la procédure simplifiée ainsi que la renonciation à contester les griefs assortie d’engagements ont permis à 4 fournisseurs sur 5 d’obtenir une réfaction conséquente de la sanction pécuniaire (1 123 154 F.CFP à la société Medline International France qui n’a pas présenté d’engagements soit 9412 euros, 517 251 F.CFP à la société Thermo Fisher Diagnostic soit 4334.5 euros, 359 391 F.CFP à la société Medicrea International SAS soit 3011.70 euros, 584 631 F.CFP à la société Sebia SA soit 4899 euros et une sanction de 4 718 661 F.CFP à la société Baxter SAS soit 39 542 euros.) A contrario, le grossiste-importateur, la société Médi-Services, a choisi de contester les cinq griefs qui lui ont été notifiés. À ses dépens.

De manière générale, l’examen de la pratique décisionnelle calédonienne montre que les importateurs exclusifs font jusqu’à présent le choix de contester les griefs – contrairement aux fournisseurs – et se voient infliger les amendes les plus importantes alors même qu’ils ne sont pas nécessairement à l’initiative de la rédaction des clauses illicites. En l’espèce, la société Médi-Services soutient d’ailleurs qu’elle “n’a jamais négocié ou demandé une exclusivité mais a simplement signé les contrats qui lui étaient proposés” (Voir le point 277 de la décision.) Ainsi, la non-contestation des griefs substitue, mutatis mutandis, la procédure de clémence qui demeure exclusivement réservée aux ententes. Les entreprises, même lorsqu’elles sont à l’origine de l’exclusivité litigieuse, peuvent bénéficier d’une exonération, sinon totale, du moins substantielle, en renonçant à contester les griefs et en présentant concomitamment des engagements.

Une amende record prononcée par l’ACNC concernant des importations exclusives

La société Médi-Services a écopé d’une amende de 47 425 000 F CFP soit environ 396 000 euros (En Nouvelle-Calédonie, une entreprise mise en cause pour une infraction d’exclusivité d’importation encourt une sanction pécuniaire maximale égale à 5 % de son chiffre d’affaires réalisé en Nouvelle-Calédonie.) Cette sanction pécuniaire est la plus conséquente infligée par l’ACNC à l’égard d’un importateur exclusif à ce jour et la deuxième sanction pécuniaire la plus élevée prononcée à l’égard d’une entreprise en matière d’exclusivité d’importation en tenant compte de la pratique décisionnelle métropolitaine.

En effet, aux termes de la décision n°20-D-16 relative aux droits exclusifs d’importation sur les champagnes Nicolas Feuillatte et Palmes d’Or, la Distillerie Dillon avait écopé en 2020 d’une amende de 421 000 euros (solidairement avec ses sociétés mères). Cette sanction pécuniaire a toutefois été réduite en appel et ramenée à 300 000 euros, la juridiction de contrôle ayant considéré que le dommage à l’économie était “très” limité, en raison de la subsistance d’une forte concurrence intermarques dans le cas des champagnes (Voir l’arrêt de la CA de Paris, 9 juin 2022, RG n°20/16288, pt. 203.)

En l’espèce, l’ACNC a considéré que le dommage à l’économie était “avéré”, car la plupart des fournisseurs n’a procédé à aucune vente en direct pendant la période d’exclusivité, empêchant de facto toute concurrence intra-marque. Néanmoins, le dommage est resté “contenu” car l’approvisionnement en direct demeurait possible pour certains produits, comme les consommables. Dans les faits, cette possibilité n’était souvent qu’apparente car certains fournisseurs préféraient s’enfermer dans le mutisme ou rediriger les commandes vers le distributeur exclusif plutôt que de les traiter eux-mêmes (Voir les points 320 à 323 de la décision.)

En outre, la concurrence intermarques, contrairement à l’affaire “Nicolas Feuillatte”, est restée très limitée du fait des clauses de non-concurrence et d’approvisionnement exclusif conclues entre Médi-Services et plusieurs de ses fournisseurs et de l’existence de réseaux parallèles d’exclusivités d’importation. La configuration est proche de celle rencontrée dans la décision n°19-D-11, par laquelle l’ADLC a sanctionné un accord exclusif sur des produits de biologie médicale. Outre l’élimination de la concurrence intra-marque, la concurrence intermarques était également fortement atténuée dès lors que les automates de biologie médicale ne pouvaient fonctionner qu’avec les réactifs qui faisaient l’objet de l’exclusivité ce qui a contribué à caractériser le dommage à l’économie. (Voir la décision n° 19-D-11 du 29 mai 2019 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur de la commercialisation de réactifs et consommables pour laboratoires hospitaliers sur le territoire de la Guyane §42 à §46.)

Enfin, l’ACNC justifie également l’importance de l’amende infligée eu égard à la gravité de la pratique, le surcoût supporté par le CHT, acheteur public, sur les dispositifs médicaux pesant in fine sur l’équilibre de l’assurance maladie et donc sur l’ensemble des contribuables calédoniens.

Un dispositif régulièrement actionné depuis sa création mais dont l’efficacité sur la concurrence intra-marque reste mesurée

La pratique décisionnelle en matière d’accords exclusifs d’importation dans les territoires ultramarins – y compris en Nouvelle-Calédonie – est de plus en plus étoffée, ce qui permet de dresser un bilan de ce dispositif et d’identifier certaines limites.

Une efficacité mesurée sur l’animation concurrentielle

En Nouvelle-Calédonie, les entreprises mises en cause semblent faire preuve d’une certaine réactivité pour se mettre en conformité à la suite des procédures initiées par l’ACNC. Dans la présente affaire, quatre des cinq fournisseurs mis en cause ont proposé des engagements visant notamment, outre la dénonciation des contrats prévoyant des exclusivités conclus avec la société Médi-Services, à transmettre à tous leurs clients un message selon lequel tout professionnel dans le secteur de la commercialisation de dispositifs médicaux pouvait devenir distributeur de leurs produits, à condition de réunir les critères de référencement nécessaires.

Une réactivité semblable a été constatée dans une affaire postérieure par laquelle l’ACNC a sanctionné un accord exclusif d’importation dans le secteur des cigarettes électroniques. (Décision n° 2023-PAC-01 du 1er mars 2023 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur de l’importation et de la distribution de cigarettes électroniques en Nouvelle-Calédonie). En l’espèce, le deuxième grief, visant à sanctionner une exclusivité d’importation pour la période postérieure à la notification des griefs, a été écarté par l’ACNC, constatant que l’entreprise importatrice s’était publiquement distanciée de la pratique en cause dès la réception de la notification de griefs. (Décision n° 2023-PAC-01 du 1er mars 2023 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur de l’importation et de la distribution de cigarettes électroniques en Nouvelle-Calédonie, §154.)

En dépit de ce volontarisme contractuel, il semble que les effets des accords exclusifs d’importation se maintiennent dans le temps, notamment sous la forme d’exclusivités de fait.

Dix décisions concernant des exclusivités d’importation ont été prononcées par l’ADLC depuis l’entrée en vigueur en 2012 de la loi “Lurel” (Aucune décision n’a fait l’objet d’une censure totale par les juridictions de contrôle. Seules deux décisions ont fait l’objet d’une réformation partielle par la Cour d’appel de Paris concernant le montant de la sanction pécuniaire.)

À cet égard, dans son avis n°19-A-12 du 4 juillet 2019, l’ADLC dresse un premier bilan de l’application de cette infraction. (Aucune décision n’a fait l’objet d’une censure totale par les juridictions de contrôle. Seules deux décisions ont fait l’objet d’une réformation partielle par la Cour d’appel de Paris concernant le montant de la sanction pécuniaire.) Elle souligne que la concurrence intra-marque entre grossistes au sein d’un même DROM est restée relativement faible. Ceci pourrait s’expliquer par l’étroitesse des marchés ultramarins, ne rendant pas économiquement viable la commercialisation d’une même marque par un nombre important d’acteurs différents, ou bien encore par la difficulté pour certains fournisseurs à trouver des grossistes répondant à l’ensemble des critères de choix. (Avis n° 19-A-12 du 4 juillet 2019 concernant le fonctionnement de la concurrence en Outre-Mer, §249 et s.)

Un constat similaire pourrait, selon toute vraisemblance, être fait en Nouvelle-Calédonie après l’adoption de six décisions et aucun recours devant les juridictions de contrôle à ce jour.

En revanche, l’ADLC dans l’avis précité a observé, depuis l’introduction de la loi “Lurel”, un développement de la concurrence potentielle i.e des procédures de mise en concurrence, lancées par les fournisseurs pour sélectionner périodiquement leurs grossistes non-exclusifs, ce qui ne semble pas être le cas en Nouvelle-Calédonie à l’heure actuelle.

En tout état de cause, que ce soit dans les territoires ultramarins ou en Nouvelle-Calédonie, des exclusivités de fait continuent parfois à exister après la suppression des clauses illicites témoignant ainsi de de l’atonie structurelle de la concurrence intra-marque.

À titre d’exemple, dans sa décision n°19-D-11 précitée, l’ADLC a constaté la persistance d’une exclusivité de fait en faveur de l’importateur guyanais concernant les produits de biologie médicale de Biomérieux même après la modification du contrat de distribution exclusive et ce, en raison non pas d’un accord de volonté tacite mais du fonctionnement spécifique du secteur économique en cause. (Décision n° 19-D-11 du 29 mai 2019 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur de la commercialisation de réactifs et consommables pour laboratoires hospitaliers sur le territoire de la Guyane §63.)

Comme en Guyane, le circuit long (ou intermédié) est le circuit d’approvisionnement le plus répandu en Nouvelle-Calédonie concernant les dispositifs médicaux.

Dans la décision commentée, plusieurs exclusivités de fait ont également perduré au profit de la société Médi-Services nonobstant la suppression des clauses prohibées. L’ACNC souligne que cette situation est consécutive non pas à une pratique concertée entre les parties mais à la technicité des produits commercialisés et aux caractéristiques du marché.

La solution se trouve peut-être du côté de l’approvisionnement direct des distributeurs ultramarins, qui peuvent soit réaliser leurs achats auprès de la centrale métropolitaine de leur tête de réseau, soit passer leurs commandes directement aux fournisseurs. L’animation concurrentielle viendrait, dans ce cas, non-pas de la concurrence entre grossistes, mais de la concurrence entre les circuits d’approvisionnement. À titre d’exemple, l’ACNC a relevé que l’un des fournisseurs, la société Medline International France, avait démontré – après la fin de l’exclusivité contractuelle – le développement de la part de ses ventes directes dans son chiffre d’affaires réalisé sur le territoire calédonien et donc la possibilité pour sa clientèle de faire jouer désormais davantage la concurrence entre le circuit long et le circuit court. Cette alternative est cependant imparfaite, selon l’ADLC, puisque les importations directes supposent notamment de disposer des ressources logistiques suffisantes à la prise en charge des produits importés. (Avis n° 19-A-12 du 4 juillet 2019 concernant le fonctionnement de la concurrence en Outre-Mer, §281 et s.)

Une infraction qui se heurte aux traditions encore ancrées d’économies administrées

La sanction d’un accord exclusif d’importation n’est pas nécessairement suivie d’une restauration de la concurrence intra-marque. Il existe un effet d’hystérésis de la pratique sur le marché qui peut s’expliquer non seulement par l’étroitesse des marchés mais également en raison de l’ambivalence idéologique dans laquelle se trouvent les économies insulaires vis-à-vis de leur politique de concurrence.

En effet, en Nouvelle-Calédonie, la croyance selon laquelle le monopole est plus efficace qu’un marché concurrentiel compte tenu de l’étroitesse du marché est relativement répandue. (A titre d’exemple, dans le point 277 de la décision, la société Médi-Services précise que les exclusivités d’importation sont consécutives à des demandes formulées par les fournisseurs car le marché de la Nouvelle-Calédonie n’est pas assez large pour que chaque fournisseur s’y implante ou puisse livrer en direct.) Ce sentiment est d’ailleurs partagé par le pouvoir politique, parfois frileux à remettre en cause des monopoles publics exploités par des établissements publics industriels et commerciaux comme celui de l’OPT-NC sur le marché des télécommunications ou bien encore l’Office central de commercialisation et d’entreposage frigorifique (OCEF) lequel dispose précisément d’un monopole légal d’importation et de distribution de la viande et de la pomme de terre qui échappe de jure à toute application de l’article Lp. 421-2-1 du Code de commerce.

Dans un cas comme dans l’autre, la pratique a montré que l’ACNC était impuissante pour appréhender les pratiques de ces entreprises. (Voir, pour l’OPT-NC, l’arrêt de la ch. com. de la C. cass. du 22 juin 2022, pourvoi n° 20-22.438, lequel confirme l’arrêt de la Cour d’appel de Paris estimant que les saisines d’un opérateur dénonçant des pratiques destinées à l’empêcher d’entrer sur le marché des capacités de connectivité internationale haut-débit par câble sous-marin sont irrecevables ; et pour l’OCEF la décision de l’ACNC n° 2020-PAC-01 du 25 mai 2020 relative à des pratiques dans le secteur de l’importation et de la commercialisation de viande en Nouvelle-Calédonie, par laquelle l’ACNC déclare irrecevable la saisine de la société Bargibant à l’encontre de l’OCEF.)

L’ambivalence idéologique n’est pas l’apanage de la Nouvelle-Calédonie. En Polynésie française, le dispositif de sanction des accords exclusifs d’importation, adopté le 23 février 2015 par la loi du pays n° 2015-2 créant un “code de la concurrence de Polynésie Française”, a été supprimé en 2018, après un colloque sur la régulation concurrentielle organisé par l’Université de Polynésie française les 21 et 22 novembre 2017 (Voir Sarah-Marie Carbon, J. Mérot et C. Montet, Le droit de la concurrence en Polynésie française et dans les petites économies insulaires du Pacifique, bilan et perspectives : actes du colloque, Université de la Polynésie française, 21 et 22 novembre 2017, LexisNexis.) Aucune sanction ne fut prononcée sur la base de ce texte.

Dans ce contexte économique et politique, il paraît alors illusoire de penser que la seule sanction des accords exclusifs d’importation puisse permettre de restaurer la concurrence intra-marque et, plus généralement, l’animation concurrentielle entre les canaux d’approvisionnement dans les économies insulaires.

La prohibition des exclusivités d’importation n’est qu’un des vecteurs parmi d’autres pour stimuler la concurrence non seulement entre les grossistes mais également entre les canaux d’approvisionnement. Elle peut contribuer ex ante à conduire les entreprises à faire évoluer leurs relations contractuelles et leurs pratiques et ex post à décloisonner les circuits de commercialisation a fortiori lorsque certains opérateurs prennent également des engagements notamment pour supprimer les clauses de non-concurrence ou bien encore généraliser les procédures de mise en concurrence et renforcer ainsi la concurrence potentielle. (Voir décision n° 15-D-14 du 10 septembre 2015 sur les pratiques mises en œuvre par les sociétés Bolton Solitaire SAS, Danone SA, Johnson & Johnson Santé et Beauté France SAS et Pernod-Ricard SA dans le secteur de la distribution des produits de grande consommation en outremer.)

D’autres infractions per se peuvent également être mobilisées afin d’appréhender certaines pratiques régulièrement constatées. A cet égard, en Nouvelle-Calédonie, l’infraction de refus de vente prévue à l’article Lp. 442-1 du Code de commerce pourrait utilement être complétée par l’introduction d’une sanction pécuniaire imputable au fournisseur local ou extérieur qui opposerait un refus de vente injustifié à un acheteur de bonne foi. Outre le fait de suivre une recommandation déjà formulée par l’ACNC (Avis n° 2020-A-07 du 28 décembre 2020 (rect)* relatif au mécanisme de formation des prix des produits de grande consommation en Nouvelle-Calédonie §581 à §587. ) et de remédier à une anomalie consistant à prévoir une infraction sans l’assortir d’une sanction pécuniaire, la possibilité pour l’ACNC d’infliger une amende en cas de refus de vente pourrait accroître encore davantage la concurrence entre les deux canaux d’approvisionnement, i.e. le circuit long et le circuit court.