Le choix du thème retenu par les organisateurs du colloque qui s’est tenu le 4 mars 2004, dans l’enceinte de l’Université Jean-Moulin (Lyon 3) et qui donne son nom à l’ouvrage présenté ne manque ni d’audace ni d’intérêt. Audace tout d’abord de traiter « à chaud », selon l’expression de Mme Hagelsteen qui signe la préface, les implications juridictionnelles du règlement 1/2003 relatif à la mise en œuvre des règles de concurrence prévues aux articles 81 et 82, alors même que ce texte n’était pas encore entré en vigueur et que les précieuses communications et lignes directrices du paquet « modernisation » étaient encore à l’état de projet ; cette phase de transition a cependant offert aux contributeurs la liberté d’exprimer sur un mode comparatif et prospectif leurs espoirs et leurs doutes quant à l’efficacité du nouveau système de contrôle des pratiques anticoncurrentielles. Intérêt ensuite de la perspective choisie qui permet aux auteurs d’engager des réflexions souvent très spécialisées à destination d’un lectorat de praticiens et de chercheurs. Dans le cadre de la réforme d’ensemble des procédures et notamment de la mise en place du réseau européen de concurrence, les contributions insistent sur le renforcement du rôle du juge national en tant qu’acteur du droit de la concurrence. Les analyses développées en ce sens portent ainsi tant sur l’étendue de cette compétence que sur les moyens juridiques et matériels nécessaires pour en assurer l’exercice effectif. Demeure néanmoins la difficulté de travailler sur un sujet dont la richesse des perspectives d’étude ne peut longtemps masquer l’imprécision actuelle des textes. Cela permet peut-être d’expliquer que la plupart des développements soient élargis à l’ensemble des institutions en charge du droit de la concurrence et étudient tout autant voire davantage que les défis adressés aux juridictions nationales ceux visant les autorités de concurrence.
Les contributions sont regroupées en trois parties d’inégale longueur, la troisième occupant à elle seule plus de la moitié du volume. La première partie procède à une présentation générale de « la réforme opérée par le règlement 1/2003 ». Partant du constat que le nouveau système d’application des règles de concurrence accroît le rôle et les compétences des institutions nationales, les auteurs s’interrogent sur la possibilité de concilier l’efficacité de la décentralisation et la cohérence des décisions adoptées. Selon eux, il convient notamment d’assurer l’adéquation de la formation des magistrats aux compétences économiques requises pour le traitement des plaintes qui devraient dorénavant leur être adressées en priorité. Soulignons également l’inquiétude exprimée par l’un d’eux (M. Wathelet) de voir à nouveau cette juridiction assaillie de questions préjudicielles et le rappel par cet auteur de la solution consistant à transférer la compétence de traitement de ces questions au Tribunal de première instance. La deuxième partie met quant à elle l’accent sur « les points laissés en suspens par le règlement ». Une analyse très stimulante de « la place de l’arbitrage dans le nouveau paysage communautaire du droit de la concurrence » (C. Nourissat) examine d’abord la compétence de l’arbitre pour appliquer l’intégralité de l’article 81 du traité CE puis montre, eu égard aux spécificités procédurales de l’arbitrage, les intérêts et les inconvénients d’une coopération des arbitres avec le réseau des autorités de concurrence ou d’une qualification comme juridictions pour l’application du règlement 1/2003. La sanction civile de nullité des contrats conclus en violation du droit de la concurrence est identifiée comme un autre oubli de la réforme. Un autre auteur (M. Chagny) explique à ce sujet que la décentralisation prévue à l’égard des juridictions nationales fournirait pourtant l’occasion d’une réflexion générale sur les instruments de sanction dont ces dernières sont dotées, en visant une double exigence de souplesse et d’efficacité. Enfin, la troisième partie développe la question des « droits de la défense des entreprises dans le règlement (CE) 1/2003 ». Les auteurs montrent au travers d’analyses riches et précises combien cette problématique désormais classique voit ses objets complexifiés et renouvelés par la réforme. Une première contribution (B. Cheynel) évoque le risque de nivellement par le bas des droits des entreprises et de leurs garanties judiciaires auquel expose le fonctionnement du réseau des autorités de concurrence. Ce risque provient surtout de l’hétérogénéité des droits nationaux consacrée par le principe de l’autonomie procédurale. Les incertitudes liées à la circulation et à l’utilisation des preuves ou aux conséquences de l’usage de programmes de clémence en cas de ré-attribution de l’affaire en sont des exemples. Mais cette diversité procédurale est également présentée (C. Brunet) comme une contrainte pour le plaignant dont l’évolution du statut dans la réforme se révèle en demi-teinte. Dans ce contexte, un dernier auteur (G. Grisel) insiste enfin sur l’obligation qu’a le juge national collaborant aux procédures de concurrence de faire respecter les garanties procédurales dont bénéficient les entreprises poursuivies face aux enquêtes conduites par les autorités de concurrence. Il revient ainsi sur l’invocabilité des droits fondamentaux consacrés par la Convention européenne des droits de l’homme et par la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne.
Finalement, malgré la prédominance persistante du rôle des autorités de concurrence, le juge national apparaît bien comme une figure essentielle du nouveau système de même qu’il sera nécessairement, ainsi que le suggère l’ensemble des interventions, au centre des efforts de précision et de clarification auxquels seront confrontées la pratique décisionnelle et la jurisprudence. Le juge exerce en effet deux fonctions fondamentales qui consistent à appliquer le droit de la concurrence mais également à veiller au respect des garanties procédurales dont jouissent les entreprises poursuivies. Les actes du colloque de Lyon ouvrent ainsi la perspective de recherches et travaux encore nombreux pour l’amélioration du système juridictionnel de contrôle des pratiques anticoncurrentielles dont le règlement 1/2003 constituera la base.