Figures désormais incontournables du système institutionnel communautaire, les agences de régulation n’ont paradoxalement fait l’objet que de rares études académiques approfondies. Aussi est-ce avec un vif intérêt que l’on accueille la publication des actes d’un séminaire qui s’est tenu sur le sujet à Rome le 26 juin 2003 sous la présidence de M. Giacinto della Cananea, professeur de droit public de l’université d’Urbino. On soulignera que tant l’organisation du séminaire que la publication de ces actes sont le fait de trois organismes, à savoir l’Initiative pour les Services d’Utilité Publique en Europe (ISUPE), le Groupe d’Etudes Politiques européennes (SEP-GEPE), ainsi que l’Instituto Affari Internazionali (IAI), ces deux derniers étant les membres respectivement belge et italien du réseau TEPSA (« Trans European Policy Studies Association »). Ces travaux, reproduits en anglais exclusivement, s’inscrivent dans la continuité d’une précédente étude menée en 2002 par l’ISUPE sur les services économiques d’intérêt général (SIEG). Pour autant, l’approche retenue par le séminaire ne s’arrête pas à la seule question de la régulation des services publics en réseau. Dans son avant-propos, Christian Stoffaës (président de l’ISUPE et directeur à EDF) retient en effet une définition particulièrement large de la "régulation des marchés" en ce que, selon lui, cette forme d’intervention publique vise à « assurer un équilibre entre des objectifs économiques pour la sauvegarde d’une concurrence pérenne - par exemple imposer aux tiers un accès aux infrastructures essentielles - et des objectifs sociaux - comme assurer l’accès de tous les citoyens aux services essentiels - ou encore des objectifs stratégiques - comme assurer l’approvisionnement énergétique ». Mais c’est surtout le volet institutionnel de la régulation qui retient toute notre attention car celle-ci n’est plus l’apanage des seuls gouvernements mais désormais le fait d’agences selon un schéma bien connu : au gouvernement revient la décision politique ; aux agences est déléguée la gestion administrative. L’approche du séminaire est dès lors moins celle du droit de la concurrence ou de la régulation que celle davantage du droit institutionnel, de la science politique et de la science administrative. Dans cette démarche, la réflexion s’articule classiquement en deux temps.
La première partie est d’essence historique et théorique. Dans sa contribution, Christian Stoffaës revient ainsi sur l’origine même de la régulation, aboutissement d’un processus dialectique débutant par une organisation publique et monopolistique des services en réseau ensuite engagés dans un mouvement de dérégulation. L’intérêt de cette étude réside surtout dans l’analyse des liens étroits existant entre l’avancement du marché intérieur et l’affirmation de la régulation. Deux autres chapitres, œuvres d’universitaires spécialistes reconnus de la question (Giandomenico Majone, professeur à l’Institut universitaire de Florence et Edoardo Chiti, professeur à Lecce), soulignent l’inadéquation du cadre institutionnel communautaire à la délégation de pouvoirs aux agences de régulation. Cette délégation est limitée par la doctrine dite « Meroni », issue d’un arrêt de la CJCE de 1958, dont les auteurs soulignent le caractère suranné. Dès lors, créées sur la base de l’article 308 CE, les agences souffrent d’autant plus de troubles identitaires dans le système institutionnel. La Commission a certes proposé à la Convention que le projet de traité établissant une Constitution pour l’Europe fixe un cadre juridique général pour les agences. Ce ne fut cependant qu’une occasion ratée comme le souligne la contribution de Massimo Gaudino, membre de la Commission européenne ayant participé aux travaux de la Convention sur les agences de régulation, en ce que le texte arrêté n’évoque qu’à titre incident les agences.
Cette constitutionnalisation avortée peut se révéler une chance cependant. Telle est l’idée qui ressort de la seconde partie de l’ouvrage consacrée à une réflexion comparée sur les expériences d’agences de régulation en Europe et aux Etats-Unis. Ainsi, Loïc Grard, professeur à Bordeaux IV, étudie parallèlement l’agence européenne de sécurité maritime et l’agence européenne de sécurité aérienne. Alors même que ces deux agences poursuivent les mêmes buts, à savoir essentiellement assurer la sécurité dans les transports ouverts à la concurrence, les différences sont légion. C’est qu’en réalité la régulation est avant tout une pratique. A travers l’exemple italien, Giulio Napolitano, professeur à Tuscia, étudie le processus de communautarisation progressive que connaît la régulation des services publics à mesure que le marché intérieur s’approfondit. François van der Mensbrugghe, professeur à Liège, met quant à lui en garde contre la tentation de déléguer trop de responsabilités aux agences de régulation comme le montrent quelques avatars américains. Enfin Christian Stoffaës parachève cette seconde partie en insistant sur l’émergence d’un réseau européen de régulation dans une approche fédérale qui n’est pas sans rappeler celle des Etats Unis. De la lecture de l’ensemble de ces contributions, et c’est là ce qui fait le succès de l’entreprise, la réflexion semble avoir avancé sur les agences de régulation. A mesure que leur nombre s’accroît (l’ouvrage s’arrête sur le chiffre, non actualisé, de 15 agences), ne voit pas le jour un idéal-type de l’agence, au contraire : chaque agence est unique car adaptée au secteur qu’elle régule. Seule certitude pour l’instant, tous les auteurs s’accordent à reprendre la summa divisio proposée par la Commission européenne entre les agences d’exécution et les agences de régulation (« executive and regulatory agencies »). Les agences d’exécution ne sont en charge que de simples missions de gestion et sont à ce titre étroitement "supervisées" par la Commission. Les agences de régulation proprement dites exercent quant à elle une fonction réellement exécutive en édictant des actes destinés à réguler un secteur spécifique. Ce n’est qu’à mesure que la régulation se communautarise et que le réseau de régulateurs européen se densifie qu’un modèle de régulation européen apparaît de facto.