UNE NOTION TOUJOURS ACTUELLE AUX ENJEUX RENOUVELÉS
Pierre de Montalembert (Avocat associé, Hogan Lovells)
La théorie des infrastructures essentielles est souvent utilisée pour faciliter la libre concurrence en présence d’anciens monopoles publics. La notion fait référence à un ensemble d’installations détenues par une entreprise en position dominante, qui s’avèrent non aisément reproductibles et dont l’accès est indispensable aux tiers pour exercer leur activité. Elle trouve son origine dans l’arrêt Terminal Railroad (1912) de la Cour suprême américaine, qui conditionna son utilisation à quatre critères : le caractère indispensable de l’utilisation de l’infrastructure, l’impossibilité ou pour le moins la difficulté de la dupliquer, le contrôle fonctionnel du détenteur et, moins nettement, la nécessité d’assurer le maintien d’une concurrence. Son introduction en Europe est plus récente. Apparue avec l’affaire Sealink (décision de la Commission de 1993), elle a été consacrée par la CJCE en 1998 dans son arrêt Brönner. Celle-ci retient le caractère abusif du refus de contracter lorsqu’il porte sur un bien ou un service indispensable impossible à reproduire par des moyens raisonnables, de nature à éliminer la concurrence sans justification objective. Des divergences transatlantiques existent toutefois : sous l’influence de l’École de Chicago notamment, s’est développée aux États-Unis une crainte de faire la part belle à des concurrents non méritants qui se refusent à réaliser des investissements, alors que la théorie a connu un grand succès en Europe où l’inquiétude dominante était plutôt celle du maintien de rentes de monopoles.