Francesco Martucci
La concurrence fiscale dans l’Union européenne existe indéniablement parce que les Etats membres demeurent compétents en matière de fiscalité directe. Forts de cette compétence, les Etats conduisent des politiques fiscales qui, pour certaines d’entre elles, à attirer et à stimuler les investissements, notamment étrangers. Depuis le Conseil Ecofin du 1er décembre 1997, l’Union admet qu’ « une concurrence loyale en matière fiscale peut avoir des effets bénéfiques ». En revanche, « les mesures qui faussent la localisation des entreprises dans le marché intérieur par le fait qu’elles visent uniquement les non-résidents en leur accordant un traitement fiscal plus favorable que celui normalement applicable dans l’Etat membre en cause » doivent être prohibées. C’est pourquoi l’Union préconise une lutte contre la concurrence fiscale dommageable. Ses moyens d’action sont demeurés limités puisque, outre le code de bonne conduite de 1997, on relève des travaux qui s’articulent avec ceux de l’OCDE sur les pratiques fiscales dommageables. L’Union se heurte à la souveraineté fiscale de l’Etat membre ; si elle dispose d’une compétence d’harmonisation fiscale, la condition de l’unanimité au Conseil constitue un verrou pour une législation de l’Union en matière de fiscalité directe. Tout est question de volonté. Dans son discours de la Sorbonne, le Président français n’a-t-il pas proposé un impôt harmonisé sur les sociétés ou une taxe sur la valeur créée pour lutter « contre la divergence fiscale qui nourrit une forme de désunion, désagrège nos modèles et fragilise toute l’Europe ». Ambitieuse, la réforme risque de se heurter à des résistances étatiques, le salut ne pouvant alors venir que des coopérations renforcées. Dans son discours, Emmanuel Macron faisait également référence à Mme Vestager qui « a bousculé certains acteurs et certains pays ». L’allusion est clairement faite aux procédures engagées par la Commission au titre du contrôle des aides d’Etat depuis 2015 à l’encontre du tax ruling pratiqué par certains Etats membres (Belgique, Irlande, Luxembourg, Pays-Bas, Royaume-Uni) que l’on songe aux affaires Amazon, Fiat, Ikea, McDonald’s, Starbucks, des avantages sélectifs en Belgique ou encore des sociétés sous contrôle étranger au Royaume-Uni. Last but not least, l’Irlande a dû récupérer l’aide d’Etat illégale et incompatible de 13 milliards d’euros versée par l’Irlande à Apple, après que la Commission a engagé une action en manquement au titre de l’article 108 § 2 TFUE. Et si, à défaut d’une harmonisation par le législateur de l’Union, la concurrence fiscale déloyale ne fait pas l’objet d’une régulation par la politique des aides d’Etats. La Commission instrumentalise cette politique pour pallier les lacunes de l’harmonisation et de la coordination fiscales. Dans l’affaire Amazon T-816/17, le Luxembourg a soulevé le moyen selon lequel la Commission viole les articles 4 et 5 TFUE en procédant à une « harmonisation déguisée en violation de la compétence exclusive des Etats ». Cependant, la jurisprudence est constante : dans l’exercice de leurs compétences, les Etats sont tenus de respecter le droit de l’Union. Du devoir de coopération loyale de l’article 4 § 3 TFUE et du principe de primauté, on tire également la conclusion que l’Etat membre doit exercer sa compétence, fut-elle retenue, pour garantir l’effectivité du droit de l’Union, ici l’article 107 TFUE. La question devient donc celle de l’instrumentalisation de la politique fiscale des Etats membres pour assurer une concurrence fiscale loyale au sein de l’Union. Tel n’est pas le cas lorsque les autorités nationales acceptent des prix de transfert non conformes aux conditions du marché et ont mal appliqué le principe de pleine concurrence, lorsqu’elles prévoient des exemptions de bénéfices d’une société sous contrôle étranger, ou encore admettent une double non-imposition du fait de l’application de conventions fiscales bilatérales. La question est dès lors celle de savoir si l’exercice par les Etats membres de leur souveraineté fiscale respecte l’article 107 TFUE, au moment où la Commission achève des procédures formelles d’examen et que le Tribunal de l’Union est saisie de toute une série de recours en annulation.