Florence Ninane
Sur le fondement de l’article 102 TFUE, l’Union européenne sanctionne le fait d’imposer des prix d’achat ou de vente, ou d’autres conditions de transaction non équitables, et en particulier des prix excessifs, qui peuvent être le résultat d’abus d’exclusion ou constituer un abus d’exploitation. Toutefois, historiquement, une certaine réticence des autorités de concurrence est constatée quand il s’agit de traiter des cas de prix excessifs en tant qu’abus d’exploitation. Les arguments avancés contre l’intervention des autorités en matière de prix excessifs tiennent notamment au risque de freiner l’innovation en réduisant les chances de récupérer les coûts investis en R&D et de réaliser des profits. Un autre argument s’appuie sur la théorie selon laquelle dans une économie de marché, le marché est capable de s’auto-corriger et qu’en l’absence de barrière à l’entrée, des prix élevés devraient normalement attirer les nouveaux entrants. Enfin, il existe une véritable difficulté à trouver des contrefactuels permettant de déterminer si un prix est excessif ou non. Dans les secteurs régulés, l’encadrement des prix incombe assez naturellement au régulateur sectoriel plutôt qu’à l’autorité de concurrence. À l’inverse dans les secteurs non régulés, l’intervention des autorités de concurrence en matière de prix excessifs peut se justifier. Cela est notamment le cas lorsqu’il existe des barrières à l’entrée importantes et non transitoires, de sorte que le marché est peu susceptible de s’auto-corriger. Cela peut également se justifier en présence d’une entreprise en position dominante proche du monopole, notamment quand le bien qu’elle produit est indispensable. Dans l’arrêt fondateur United Brands, la Cour de justice a posé un test cumulatif en deux temps. Il faut en premier lieu définir si la différence entre les coûts supportés et le prix imposé est excessive. Si tel est le cas, il faut ensuite déterminer si le prix appliqué est inéquitable en lui-même ou par rapport aux produits concurrents. Dans l’affaire AKKA/LAA, la Cour a affirmé qu’il n’y avait pas de seuil minimal à partir duquel un tarif doit être qualifié de sensiblement élevé, les circonstances propres à chaque espèce sont déterminantes. Il est par ailleurs nécessaire d’établir que l’écart, s’il est significatif, a persisté pendant une certaine durée. Le principal problème tient à la quantification du prix excessif par rapport à un prix concurrentiel. Dans une situation théorique de concurrence parfaite, le prix « normal » serait égal au coût marginal. En revanche, dans le cadre d’une concurrence imparfaite, la jurisprudence a utilisé un certain nombre de tests en vue de déterminer si un prix est véritablement excessif, notamment en analysant la rentabilité, les marges ou en opérant par comparaison des prix et des marges constatés historiquement ou dans des marchés géographiques voisins. Toutefois, les différences de prix peuvent être imputables à d’autres facteurs que la dominance. Enfin, les autorités de concurrence peuvent également tenir compte de la valeur économique du bien ou service résultant d’avantages spécifiques. Dans son rapport du 28 janvier 2019, la Commission note un accroissement de la vigilance des autorités de concurrence européennes quant aux pratiques tarifaires dans le secteur pharmaceutique. C’est le cas au Royaume Uni où Pfizer et son distributeur Flynn Pharma ont été condamné pour une augmentation des prix de gros de 780 à 1600% et des prix de détail de 2600 %. En Italie, Aspen a également été condamné sur le même fondement dans le cadre de la distribution d’anti-cancéreux, jugés non substituables pour certains patients. En France, il est également possible d’appréhender les prix excessifs, en l’absence de position dominante, au titre de l’article L. 442-6, I, 2° du Code de commerce, qui sanctionne (entre professionnels) la soumission ou la tentative de soumission à un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties. À ce sujet, le Conseil constitutionnel a, dans sa décision du 30 novembre 2018, validé le mécanisme d’intervention du Ministre de l’économie dans la négociation tarifaire entre professionnels.