Transparence

 

Définition auteur

 

Premier aperçu

La transparence est l’un de ces mots « fourre-tout » désignant des situations très différentes ou des obligations appelées à remplir des fonctions elles-mêmes diverses. Elle vise tantôt les États (transparence des aides et des relations financières avec les entreprises publiques), tantôt les autorités de régulation (transparence de la méthode de détermination des amendes), tantôt encore les relations contractuelles ou le marché lui-même. Tour à tour vertueuse ou vicieuse (Behar-Touchais, 2007), elle entretient avec (le droit de) la concurrence des rapports empreints d’ambivalence.

La transparence peut être un obstacle à la concurrence. Une certaine dose d’incertitude étant requise pour un jeu normal de l’économie de marché, chaque entreprise doit déterminer de manière autonome la stratégie qu’elle entend suivre (CJCE, 14 octobre 1972, ICI, aff. 48/69 ; 4 juin 2009, T-Mobile Netherlands, aff. C-8/08). C’est ce qui explique l’interdiction de certaines pratiques « concertées » (art. 101 TFUE ; art. L. 420-1 C. com.) et des échanges d’informations qui, en accroissant la transparence du marché, annihilent cette incertitude. Ces derniers ne produisent cependant pas tous des effets négatifs. La Commission européenne s’est attachée à départager les « bons » échanges d’informations et les « mauvais » dans ses lignes directrices sur les accords de coopération horizontale. Les solutions dépendent du contexte économique et juridique, partant, de facteurs aussi variés que la structure du marché, la nature des informations, le fait que cet échange soit le support d’une entente – il risque alors « d’augmenter la transparence sur un marché où la concurrence est déjà fortement atténuée et de faciliter la surveillance du respect de l’entente par ses membres » (CJCE, 7 janvier 2004, Aalborg Portland e.a., aff. C-204/00 P e.a., pt 281), ou non – il peut altérer le peu de concurrence qui subsiste sur un marché oligopolistique (CJCE, 28 mai 1998, John Deere c/ Commission, aff. C-7/95 P).

C’est dire l’importance de la structure du marché. Celle-ci peut générer naturellement une certaine transparence, laquelle constitue par ailleurs l’une des conditions permettant de caractériser une position dominante collective dont il convient aussi de tenir compte lors du contrôle des concentrations (TPICE, 6 juin 2002, Airtours/First Choice, aff. T-342/99). À l’inverse, sur un marché véritablement concurrentiel, la transparence peut être de nature à intensifier la concurrence entre les offreurs, la structure du marché permettant de préserver l’incertitude quant au comportement des concurrents (John Deere c/ Commission, préc., pt 88). C’est retrouver la théorie économique selon laquelle, dans un cadre de concurrence parfaite, les agents économiques disposent d’une information parfaite sur les alternatives qui leur sont offertes.

Sans épouser ce modèle théorique, le droit positif a consacré diverses obligations de transparence afin de garantir des conditions de concurrence égales. Dans le droit des marchés publics, la concurrence ne peut être effective que si le marché est attribué selon des critères transparents et non discriminatoires (dir. 2014/24/UE du 26 février 2014 ; CJUE 2 mai 2019, Lavorgna Srl c/ Comune di Montelanico e.a., aff. C-309/18, pt 19). De même, la transparence des aides d’État est une condition de leur compatibilité avec le marché intérieur (cons. 27 et art. 5 du règl. (UE) n° 651/2014 du 17 juin 2014). Celle des relations financières entre l’État et les entreprises publiques permet de prévenir les distorsions de concurrence avec les entreprises privées (dir. 2006/111/CE du 16 novembre 2006) en évitant par exemple les subventions croisées entre les activités en monopole et les activités concurrentielles. La transparence est aussi l’une des conditions permettant de ne pas qualifier d’aide des compensations de service public au sens de la jurisprudence Altmark (CJCE, 24 juillet 2003, aff. C-280/00 ; CJUE, 20 décembre 2017, aff. C-81/16 P).

La prévention des pratiques déloyales dans les contrats constitue un autre objectif des règles de transparence, même si les rapports avec la concurrence semblent cette fois se déliter. Les plateformes numériques sont ainsi invitées à garantir la transparence de leurs conditions générales afin de lutter contre des comportements déloyaux (tels les changements rétroactifs de ces conditions générales) au détriment des entreprises utilisatrices (règl. (UE) 2019/1150 dit « Platform to Business »). Ces solutions ne sont pas sans évoquer le monumental droit français de la transparence et des pratiques restrictives de concurrence.

 

Pour aller plus loin

Il est difficile de trouver réglementation plus chaotique que celle inscrite dans le fameux titre IV du Livre IV du Code de commerce. Ces soubresauts s’expliquent par les tergiversations sur le traitement des rapports contractuels déséquilibrés entre fournisseurs et acheteurs, ainsi que par les effets délétères sur les prix produits par ces règles tatillonnes. Le législateur n’a ainsi cessé de réformer le dispositif (en dernier lieu, ord. nº 2019-359, 24 avril 2019) dont le cœur réside cependant toujours dans la combinaison des règles sur la « transparence dans la relation commerciale » (chap. 1) et de celles sur les « pratiques commerciales déloyales entre entreprises  » (chap. 2). Les premières doivent permettre de révéler et d’éviter les secondes.

Corrélativement à la libération progressive des négociations (notamment grâce à la suppression de l’interdiction per se des discriminations par la loi LME du 4 août 2008), l’obligation de transparence de la négociation s’est amenuisée. Par exemple, la communication des conditions générales de vente (CGV) ne pèse que sur la personne qui en établit (art. L. 441-1 II C. com) et les parties peuvent convenir de conditions particulières de vente qui ne sont pas soumises à l’obligation de communication (L. 441-1 III C. com).

Il reste que la persistance de pratiques interdites a conduit le législateur à conforter le rôle des CGV (art. L441-1 et 2 III C. com.) qui constituent le « socle [unique] de la négociation » (Cass. com., 20 novembre 2019, n° 18-12.823). En aval, une convention récapitulative doit formaliser le résultat de la négociation (art. L441-3 III C. com.) et la facture permet de vérifier la réalité des prestations (art. L. 441-9 III C. com.).

Si la transparence permet d’appréhender toute exigence du cocontractant dominant « susceptible de relever de la notion de "déséquilibre significatif" » (CEPC, avis n° 08-06 du 19 décembre 2008), l’opacité des conditions de vente peut aussi abriter une discrimination constitutive, le cas échéant, d’un abus de position dominante (Comm. sur., 14 mai 1997, Irish Sugar, aff. IV/34.621, 35.059/F-3, pt 150).

 

Jurisprudences pertinentes

Union européenne

CJUE 2 mai 2019, Lavorgna Srl c/ Comune di Montelanico e.a., aff. C-309/18, EU:C:2019:350

CJUE, 20 décembre 2017, Espace c/ Commission, aff. C-81/16 P, EU:C:2017:1003

CJCE, 4 juin 2009, T-Mobile Netherlands, aff. C-8/08, EU:C:2009:343

CJCE, 7 janvier 2004, Aalborg Portland e.a., aff. jtes C-204/00 P, C-205/00 P, C-211/00 P, C-213/00 P, C-217/00 P et C-219/00 P, EU:C:2004:6

CJCE, 24 juillet 2003, Altmark, aff. C-280/00, EU:C:2003:415

CJCE, 28 mai 1998, John Deere c/ Commission, aff. C-7/95 P, EU:C:1998:256

CJCE, 14 octobre 1972, ICI, aff. 48/69, EU:C:1972:70

TPICE, 6 juin 2002, Airtours/First Choice, aff. T-342/99, EU:T:2002:146

Comm. eur., déc. 97/624/CE du 14 mai 1997, Irish Sugar, aff. IV/34.621, 35.059/F-3, JOCE n° L 258 du 22 septembre1997, p. 1

France

Cass. com., 20 novembre 2019, n° 18-12.823

CEPC, avis n° 08-06 du 19 décembre 2008 relatif à la légalité de pratiques qui seraient mises en ouvre par certains distributeurs à l’égard de leurs fournisseurs

 

Bibliographie

Règlement (UE) 2019/1150 du Parlement européen et du Conseil du 20 juin 2019 promouvant l’équité et la transparence pour les entreprises utilisatrices de services d’intermédiation en ligne, JOUE n° L 186 du 11 juillet 2019, p. 57

Ordonnance n° 2019-359 du 24 avril 2019 portant refonte du titre IV du livre IV du code de commerce relatif à la transparence, aux pratiques restrictives de concurrence et aux autres pratiques prohibées, JORF n° 0097 du 25 avril 2019

Règlement (UE) n° 651/2014 de la Commission du 17 juin 2014 déclarant certaines catégories d’aides compatibles avec le marché intérieur en application des articles 107 et 108 du traité, JOUE n° L 187, du 26 juin 2014, p. 1

Directive 2014/24/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 février 2014 sur la passation des marchés publics et abrogeant la directive 2004/18/CE, JOUE n° L 94 du 28 mars 2014, p. 65

Communication de la Commission, Lignes directrices sur l’applicabilité de l’article 101 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne aux accords de coopération horizontale, JOUE n° C 11 du 14 janvier 2011, p. 1

Loi n° 2008-776 du 4 août 2008 de modernisation de l’économie, JORF n° 0181 du 5 août 2008

Directive 2006/111/CE de la Commission du 16 novembre 2006 relative à la transparence des relations financières entre les États membres et les entreprises publiques ainsi qu’à la transparence financière dans certaines entreprises, JOUE n° L 318 du 17 novembre 2006, p. 17

BEHAR-TOUCHAIS (M.), « Vice et vertus de la transparence », RLC 2007/13, p. 164

BUY (F.), « Transparence tarifaire : La Cour d’appel d’Aix juge que des réductions de prix ne sont pas inapplicables pour la seule raison qu’elles n’ont pas été mentionnées dans la convention écrite (Immomedia Communication & Exclusive Media / Imaye Graphic) », Concurrences n° 4-2020, art. n° 97431, p. 149

CLAMOUR (G.), DESTOURS (S.) et PODLINSKI (A.), « Droit de la concurrence publique », JCl. Collectivités territoriales, fasc. 571, 2018

DIENY (E.), « Droit des ententes et échanges d’informations : suite… », LEDICO avril 2017, n° 110g0

FOURGOUX (J.-L.), « Réforme : Le Gouvernement publie une ordonnance modifiant le titre IV du livre IV du C. com. simplifiant le droit des pratiques commerciales déloyales en France tout en conservant un encadrement étroit des relations contractuelles entre professionnels, ainsi que les textes de mise en conformité et en cohérence (Loi Egalim) », Concurrences n° 3-2019, art. n° 91225, p. 101

GRALL (J.-Ch.) et BUSSONNIERE (Th.), « Les sanctions administratives en droit de la transparence tarifaire et des pratiques restrictives de concurrence : premier bilan et perspectives », RLC 2016/53, n° 3031

MARTIN (A.-C.), « Transparence tarifaire – Encadrement des négociations et formalisme des conventions », JCl. Concurrence – Consommation, fasc. 283, 2016

PHILIPPE (J.), « La transparence, source d’accroissement et facteur de réduction de la concurrence », RLC 2007/13, p. 169

RIEM (F.), La notion de transparence dans le droit de la concurrence, Paris, L’Harmattan, 2002

VERTUT (J.-M.), « Précision et transparence : une relation aux multiples enjeux dans le cadre des pratiques restrictives de concurrence et des relations commerciales en général », RLC 2017/63, n° 3226

Auteur

  • Université de Pau - UFR Pluridisciplinaire

Citation

Fabrice Riem, Transparence, Dictionnaire de droit de la concurrence, Concurrences, Art. N° 100336

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Éditeur Concurrences

Date 1er février 2023

Nombre de pages 842

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