C’est donc à la jurisprudence qu’il revient de préciser le champ d’application externe du droit de l’UE pour l’ensemble des pratiques anticoncurrentielles. La CJUE a retenu la théorie des effets (I) malgré de fortes contestations (II)
I – La reconnaissance de la théorie des effets comme précision du champ d’application externe du droit de la concurrence de l’UE
De nombreux critères d’application du droit de la concurrence ont été proposés à la CJUE. Elle a progressivement étendu le champ d’application du droit de la concurrence (A) avant de le fonder sur la théorie des effets (B).
A – La reconnaissance progressive d’un champ d’application externe du droit de la concurrence.
Dès le début des années 1970, la CJUE a étendu le champ d’application du droit de la concurrence de l’Union à des entreprises dont le siège était à l’extérieur de l’UE. La société mère peut être poursuivie, même si elle a son siège à l’extérieur de l’UE dès lors qu’elle a fourni le financement de la pratique anticoncurrentielle.
La CJUE a écarté les critères de nationalité des entreprises, du lieu du siège des sociétés concernées ou du lieu où la pratique anticoncurrentielle avait été décidée. Le droit de la concurrence de l’UE peut être appliquée même si aucune des entreprises n’a son siège en dehors de l’UE.
B – Le critère retenu : la théorie des effets
Selon la théorie des effets qui a été retenue par la CJUE, le droit de la concurrence est applicable pour tous les comportements qui ont un effet quelconque à l’intérieur de l’UE. En pratique, si une pratique anticoncurrentielle est commise à l’intérieur de l’UE, le droit de la concurrence de l’UE peut lui être appliquée. Si la pratique anticoncurrentielle a été commise en dehors de l’UE ou par des entreprises tierces, Les effets européens doivent être sensibles. S’ils ne se sont pas encore totalement réalisés, ils doivent au moins être normalement prévisibles.
Certains auteurs considèrent que seuls les « effets qualifiés », c’est-à-dire suffisamment caractérisés peuvent être retenus par la jurisprudence. Malgré cette tentative de précision, la théorie des effets n’a pas échappé aux critiques.
II – Les critiques de la théorie des effets
La théorie des effets a fait l’objet de nombreuses contestations à la fois théoriques et pratiques
A – Les contestations théoriques
Les contestations théoriques de la théorie des effets ont principalement porté sur la confrontation de la théorie des effets au droit international et notamment au principe de territorialité.
Du point de vue du droit international public, la théorie des effets a parfois été qualifiée d’extraterritorialité. Or, l’extraterritorialité est traditionnellement critiquée en raison des atteintes qu’elle peut consacrer au principe de l’exclusivité territoriale.
La CJUE a réagi à ces critiques en distinguant la « théorie des effets » du principe de « l’exclusivité territoriale ». Pour la Cour, dès lors que l’atteinte au marché européen est constatée, l’effet anticoncurrentiel existe sur le territoire de l’UE. L’atteinte au marché est spécifique au droit de la concurrence. Elle peut être située sur le territoire de l’UE. La jurisprudence a donc fait référence à la « territorialité objective », pour justifier la théorie des effets. Cela a permis de mettre fin à la contestation de la théorie des effets par le droit international public.
B – Les contestations pratiques
La théorie des effets est apparue peu prévisible et peu adaptée à la pratique de la régulation de la concurrence internationale. Par exemple, elle ne permet pas d’appréhender efficacement les ententes à l’exportation qui ne produisent des effets qu’à l’extérieur de l’UE.
Elle conduit aussi à une application simultanée de plusieurs droits de la concurrence dont le droit de l’UE. Le droit des concentrations et celui des abus de position dominante en ont donné de nombreuses illustrations particulièrement conflictuelles. Pour y remédier, la doctrine a proposé la création d’un droit international de la concurrence qui n’a pas pu aboutir. L’UE s’est donc contentée d’une politique d’accords bilatéraux et d’une politique de négociations avec les autres systèmes de régulation de la concurrence, dont les résultats complètent de façon imparfaite les insuffisances de la mise en œuvre de la théorie des effets.