Renvoi (concentration)

 

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Premier aperçu

Le Règlement (CE) n° 139/2004 du 20 janvier 2004 relatif au contrôle des concentrations entre entreprises (le « Règlement ») organise un système permettant à la Commission et aux autorités compétentes des États membres de se renvoyer les affaires, afin que chaque affaire soit traitée par l’autorité la plus appropriée (cons. 14). Aux termes du considérant 11 du Règlement, ce système prend racine dans « le besoin de sécurité juridique et le principe du guichet unique », autrement dit dans l’exigence d’une bonne administration de la justice.

En effet, d’une part, une opération de « concentration » au sens de l’article 3 du Règlement, lorsqu’elle n’est pas de « dimension communautaire » au sens de son article 1 er , est susceptible d’être notifiable dans plusieurs États membres. Or, aux termes du considérant 12 du Règlement, « Les notifications multiples d’une même transaction augmentent l’insécurité juridique, les efforts et les coûts pour les entreprises et peuvent conduire à des appréciations contradictoires ». Partant, le Règlement prévoit, selon que la demande de renvoi émane des entreprises concernées (art. 4, §5) ou d’un État membre (art. 22), un système permettant le renvoi ascendant des concentrations à la Commission par les États membres concernés.

D’autre part, une opération de « concentration » au sens de l’article 3 du Règlement, lorsqu’elle est de « dimension communautaire » au sens de son article 1 er , est susceptible d’affecter de manière significative la concurrence sur un marché à l’intérieur d’un État membre qui présente toutes les caractéristiques d’un marché distinct. Dans une telle hypothèse, si l’opération affecte la concurrence sur un tel marché et que ce marché ne constitue pas une partie substantielle du marché commun, l’exigence d’une bonne administration de la justice implique que « la Commission [soit] tenue, sur demande, de renvoyer l’ensemble ou une partie de l’affaire à l’État membre en question » (cons. 15). Par conséquent, le Règlement prévoit, selon que la demande de renvoi émane des entreprises concernées (art. 4, §4) ou d’un État membre (art. 9, §2), un système permettant le renvoi descendant des concentrations à un État membre par la Commission.

Enfin, les dispositions du Règlement relatives au système de renvoi sont précisées dans la Communication de la Commission 2005/C 56/02 sur le renvoi des affaires en matière de concentrations (la « Communication »), qui expose de façon détaillée les conditions juridiques du renvoi (cons. 1 er ).

 

Pour aller plus loin

La Communication rappelle, s’il en était besoin, que les renvois constituent « une dérogation à la règle générale qui détermine la compétence en fonction de seuils de chiffres d’affaires objectivement déterminables » (pt. 7). En effet, le système communautaire de contrôle des concentrations économiques repose sur des seuils de chiffre d’affaires objectifs fixés à l’article 1 er du Règlement, ce qui est également le cas des systèmes nationaux de contrôle des États membres (voir, à titre d’exemple, l’article L. 430-2 du code de commerce français).

Comme l’a déclaré la Commissaire européenne à la concurrence à l’occasion de la 24 ème rencontre de l’International Bar Association du 11 septembre 2020, un tel système ne permet pas de contrôler certaines opérations « sous les seuils » susceptibles de porter atteinte à la concurrence. À titre d’illustration, l’Autorité de la concurrence (l’ « Autorité ») considère qu’il existe, de lege lata, un risque que « certaines opérations portant sur des acteurs très innovants, qui commencent tout juste à valoriser leur innovation sur le marché, puissent échapper au contrôle des concentrations, la cible ayant un chiffre d’affaires insuffisant pour que les seuils de notification s’appliquent » (Communiqué de presse du 15 septembre 2020).

Afin de pallier ce que l’Autorité identifie comme une « lacune » du contrôle européen et national des concentrations (ibid.), la Commission a décidé de renouveler, à droit constant, sa doctrine concernant l’article 22 du Règlement en adoptant à cet effet une nouvelle communication (Communication de la Commission 2021/C 113/01 concernant l’application du mécanisme de renvoi établi à l’article 22 du Règlement à certaines catégories d’affaires).

Pour mémoire, l’article 22 du Règlement prévoit qu’« Un ou plusieurs États membres peuvent demander à la Commission d’examiner toute concentration, telle que définie à l’article 3, qui n’est pas de dimension communautaire au sens de l’article 1 er , mais qui affecte le commerce entre États membres et menace d’affecter de manière significative la concurrence sur le territoire du ou des États membres qui formulent cette demande ».

Si cette disposition n’exige pas expressis verbis que ce ou ces États membres soient eux- mêmes compétents pour contrôler l’opération en cause en vertu de leur droit national, la Commission européenne avait historiquement annoncé qu’elle n’accepterait une demande de renvoi sur ce fondement que dans l’hypothèse où l’opération franchirait les seuils de notification nationaux d’au moins un État membre (ibid., pt. 8 ).

Ainsi, dans le but de contrôler les acquisitions qualifiées de « prédatrices » par les autorités de concurrence européennes (en anglais, « killer acquisitions ») – définies par l’Autorité dans son communiqué du 13 juillet 2022 comme des « acquisitions [sous les seuils] d’entreprises à forte valeur dans les domaines, par exemple, de l’innovation numérique, de la santé ou des biotechs, qui peuvent permettre de consolider le pouvoir de marché d’entreprises déjà puissantes ou dominantes  », la Commission accepte désormais d’examiner les demandes de renvoi formulées par une autorité nationale de concurrence incompétente pour contrôler l’opération en cause en vertu de son droit national de la concurrence.

Cette nouvelle approche controversée a été, pour la première fois, mise en œuvre dans l’affaire Illumina / Grail (Communiqué de presse MEX/21/1846). Dans le cadre d’un recours formé contre la décision de la Commission d’accueillir la demande de renvoi formulée par l’Autorité, le Tribunal de l’Union européenne a jugé que cette lecture renouvelée était légale (Tribunal de l’Union européenne, 13 juillet 2022, affaire T-227/21).

Les entreprises concernées ont toutes deux formé un pourvoi contre cet arrêt. L’affaire est donc, à ce stade, pendante devant la Cour de justice de l’Union (affaires C-611/22 P et C- 625/22 P).

 

Bibliographie

Prieto C., JurisClasseur Europe Traité, Synthèse – Contrôle européen des concentrations, pts. 26 et suivants (mis à jour au 30 novembre 2021).

Frison-Roche M-A. et Roda J-C., Droit de la concurrence, 2 ème éd., pts. 295 et suivants, avril 2022.

Auteur

Citation

Quentin Colombier, Renvoi (concentration), Dictionnaire de droit de la concurrence, Concurrences, Art. N° 86677

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Éditeur Concurrences

Date 1er février 2023

Nombre de pages 842

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Définition institution

La compétence communautaire dans le domaine du contrôle des concentrations est définie par l’application des critères de chiffres d’affaires fixés à l’article 1er, paragraphes 2 et 3, du Règlement (CE) No 1/2003 sur les concentrations. Lorsqu’ils ont à connaître de concentrations, la Commission et les États membres n’ont pas une compétence concurrente, car le règlement sur les concentrations établit une division claire des compétences. Les concentrations de « dimension communautaire », c’est-à-dire celles qui dépassent les seuils de chiffres d’affaires de l’article 1er du règlement sur les concentrations, relèvent de la compétence exclusive de la Commission ; en vertu de l’article 21 du règlement sur les concentrations, les États membres ne peuvent leur appliquer leur législation nationale sur la concurrence. Les concentrations inférieures aux seuils en question restent de la compétence des États membres ; la Commission n’a pas compétence pour les examiner en vertu du règlement sur les concentrations. La détermination de la compétence exclusivement par référence à des critères de chiffres d’affaires fixés apporte la sécurité juridique pour les entreprises parties à une concentration. Si les critères financiers se montrent généralement efficaces pour la catégorie d’opérations pour lesquelles la Commission est l’autorité la plus appropriée, le règlement (CE) no 139/2004 complète ce système juridictionnel clair par la possibilité d’un renvoi des affaires par la Commission aux États membres et vice-versa, sur demande et à condition que certains critères soient remplis. Ce système de renvoi est institué par l’article 4, paragraphes 4 et 5, l’article 9 et l’article 22 du règlement (CE) no 139/2004 du Conseil du 20 janvier 2004 relatif au contrôle des concentrations entre entreprises. Le système de contrôle des concentrations établi par le règlement sur les concentrations, et notamment le mécanisme de réattribution des affaires entre la Commission et les États membres qu’il contient, est conforme au principe de subsidiarité consacré par le traité CE. Par conséquent, les décisions prises en matière de renvoi doivent tenir compte de tous les aspects de l’application du principe de subsidiarité dans ce contexte, et notamment du point de savoir quelle est l’autorité la plus appropriée pour l’examiner, des avantages du guichet unique et de l’importance de la sécurité juridique en ce qui concerne la compétence. Ces facteurs sont liés et l’importance accordée à chacun d’entre eux dépendra des spécificités d’une affaire donnée. Pardessus tout, lorsqu’ils examinent s’il y a lieu d’exercer leur pouvoir d’effectuer ou d’accepter un renvoi, la Commission et les États membres doivent assurer une protection effective de la concurrence sur tous les marchés affectés par l’opération. © Commission européenne

Voir Règlement (CE) No 139/2004

 
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