La Communication rappelle, s’il en était besoin, que les renvois constituent « une dérogation à la règle générale qui détermine la compétence en fonction de seuils de chiffres d’affaires objectivement déterminables » (pt. 7). En effet, le système communautaire de contrôle des concentrations économiques repose sur des seuils de chiffre d’affaires objectifs fixés à l’article 1 er du Règlement, ce qui est également le cas des systèmes nationaux de contrôle des États membres (voir, à titre d’exemple, l’article L. 430-2 du code de commerce français).
Comme l’a déclaré la Commissaire européenne à la concurrence à l’occasion de la 24 ème rencontre de l’International Bar Association du 11 septembre 2020, un tel système ne permet pas de contrôler certaines opérations « sous les seuils » susceptibles de porter atteinte à la concurrence. À titre d’illustration, l’Autorité de la concurrence (l’ « Autorité ») considère qu’il existe, de lege lata, un risque que « certaines opérations portant sur des acteurs très innovants, qui commencent tout juste à valoriser leur innovation sur le marché, puissent échapper au contrôle des concentrations, la cible ayant un chiffre d’affaires insuffisant pour que les seuils de notification s’appliquent » (Communiqué de presse du 15 septembre 2020).
Afin de pallier ce que l’Autorité identifie comme une « lacune » du contrôle européen et national des concentrations (ibid.), la Commission a décidé de renouveler, à droit constant, sa doctrine concernant l’article 22 du Règlement en adoptant à cet effet une nouvelle communication (Communication de la Commission 2021/C 113/01 concernant l’application du mécanisme de renvoi établi à l’article 22 du Règlement à certaines catégories d’affaires).
Pour mémoire, l’article 22 du Règlement prévoit qu’« Un ou plusieurs États membres peuvent demander à la Commission d’examiner toute concentration, telle que définie à l’article 3, qui n’est pas de dimension communautaire au sens de l’article 1 er , mais qui affecte le commerce entre États membres et menace d’affecter de manière significative la concurrence sur le territoire du ou des États membres qui formulent cette demande ».
Si cette disposition n’exige pas expressis verbis que ce ou ces États membres soient eux- mêmes compétents pour contrôler l’opération en cause en vertu de leur droit national, la Commission européenne avait historiquement annoncé qu’elle n’accepterait une demande de renvoi sur ce fondement que dans l’hypothèse où l’opération franchirait les seuils de notification nationaux d’au moins un État membre (ibid., pt. 8 ).
Ainsi, dans le but de contrôler les acquisitions qualifiées de « prédatrices » par les autorités de concurrence européennes (en anglais, « killer acquisitions ») – définies par l’Autorité dans son communiqué du 13 juillet 2022 comme des « acquisitions [sous les seuils] d’entreprises à forte valeur dans les domaines, par exemple, de l’innovation numérique, de la santé ou des biotechs, qui peuvent permettre de consolider le pouvoir de marché d’entreprises déjà puissantes ou dominantes », la Commission accepte désormais d’examiner les demandes de renvoi formulées par une autorité nationale de concurrence incompétente pour contrôler l’opération en cause en vertu de son droit national de la concurrence.
Cette nouvelle approche controversée a été, pour la première fois, mise en œuvre dans l’affaire Illumina / Grail (Communiqué de presse MEX/21/1846). Dans le cadre d’un recours formé contre la décision de la Commission d’accueillir la demande de renvoi formulée par l’Autorité, le Tribunal de l’Union européenne a jugé que cette lecture renouvelée était légale (Tribunal de l’Union européenne, 13 juillet 2022, affaire T-227/21).
Les entreprises concernées ont toutes deux formé un pourvoi contre cet arrêt. L’affaire est donc, à ce stade, pendante devant la Cour de justice de l’Union (affaires C-611/22 P et C- 625/22 P).