Le concept même de substituabilité est aujourd’hui sous le feu des critiques. Certains allant jusqu’à demander son abandon, dans le cadre d’une refonte complète de la notion de marché pertinent. [Proposition n° 13 du rapport d’information sur le droit européen de la concurrence face aux enjeux de la mondialisation, des députés Patrice Anato et Constance Le Grip du 27 novembre 2019]
La première question qui se pose, dans le cadre du débat actuel, est celle de l’importance à accorder au critère prix pour définir un marché. Ce critère, qui joue un rôle essentiel dans la Communication sur la définition du marché (points 15 et 17), apparaît aujourd’hui incapable, à lui seul, de répondre aux préoccupations liées au développement de l’économie digitale. Comme la Commissaire Vestager l’a indiqué dans un discours [Defining Markets in a New Age, Chilling Competition Conference, 9 décembre 2019] lançant la révision de l’actuelle Communication sur la définition du marché [Evaluation Roadmap de la Commission du 3 avril 2020, Ares (2020),1911361] le test SSNIP ne peut pas être effectué avec un produit ou un service que les consommateurs utilisent gratuitement, ce qui est le cas de nombreux produits ou services dans l’économie digitale.
Une deuxième question mise en lumière par la Commissaire Vestager concerne les effets de la mondialisation sur la délimitation géographique des marchés. En effet, il est permis de se demander s’il ne faut pas accorder plus d’importance à la « concurrence potentielle » venue d’entreprises implantées en dehors de l’Union européenne dans le cadre de la définition géographique du marché. Le problème est bien illustré par l’opération Siemens/Alstom [Décision du 6 février 2019, M.8677 Siemens / Alstom] qui aurait été rendue nécessaire par la concurrence potentielle d’un concurrent chinois et l’émergence d’une concurrence étrangère que la Commission aurait omis de prendre en compte. [Voir le point n°7 du Manifeste franco-allemand du 19 janvier 2019 pour une politique industrielle européenne adaptée au XXIéme siécle] En effet, la Communication sur la définition du marché indique clairement, en son point 24, que la « concurrence potentielle n’est pas prise en considération pour la définition des marchés ».
En troisième lieu, les parts de marchés ne permettent plus, à elle seules, de mesurer le pouvoir de marché dans le secteur du digital. Le concept même d’écosystème numérique conduit à des architectures de marché conglomérales où les parties peuvent s’étendre rapidement sur des marchés connexes et faire converger leurs technologies comme le montrent les récentes décisions Miscrosoft/Skype [Décision du 07.10.2011, M.6281] et Facebook/WhatsApp [Décision du 03/10/2014, M.7217]. Dans ces conditions, la pression concurrentielle de biens et services non substituables pourrait être prise en compte dans la définition des marchés pertinents. [Voir, en ce sens, le discours de la présidente de l’AdlC, Isabelle de Silva, du 12 décembre 2019, à Fordham, The future of Competition Law, Time to Change, Time to Adapt]
En somme, le concept même de substituabilité, originellement au cœur de la définition des marchés, est appelé à évoluer. Une révolution (de velours) se dessine à Bruxelles.