Substituabilité

 

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Premier aperçu

La substituabilité constitue la clé de voûte de la définition du marché pertinent dans la mesure où celui-ci comprend, selon le point 7 de la Communication de la Commission sur la définition du marché en cause aux fins du droit communautaire de la concurrence du 9 décembre 1997, (JO 1997, C 372, p. 5) « tous les produits et/ou les services que le consommateur considère comme […] substituables ». Elle permet de délimiter des marchés pertinents tant du point de vue matériel (marché des produits et des services) que géographique, son analyse peut être rétrospective, dans le cas des pratiques anticoncurrentielles et notamment des abus de position dominante ou prospective, en matière de contrôle des concentrations.

S’agissant de la détermination du marché du point de vue matériel, les autorités de concurrence examinent généralement la substituabilité du côté de la demande qui constitue le critère déterminant de la délimitation d’un marché pertinent. D’après la Communication sur la définition du marché, celle-ci s’opère, en principe, par le recours à des méthodes quantitatives, à savoir, un test d’élasticité croisé. Ce test dit du « monopoleur hypothétique » (ou « SSNIP test » pour « Small but Significant Non-transitory Increase in Price ») conduit à se demander si les clients de l’entreprise en cause se tourneraient vers des produits de substitution facilement accessibles ou vers des fournisseurs implantés ailleurs, en cas d’augmentation légère (de 5 à 10 %) mais permanente des prix. Si la réponse est positive, ces produits sont inclus dans la définition du marché. Toutefois, en pratique, des tests d’élasticité croisés sont rarement conduits, faute pour les autorités de concurrence de disposer de données suffisantes. Les autorités de la concurrence ont donc recours à une méthode plus factuelle, de nature qualitative, celle du faisceau d’indices, seule ou au soutien des données économétriques réunies. Ce faisceau comprend, notamment, les caractéristiques du produit, l’usage et les conditions d’utilisation du produit, les différences de prix lorsqu’elles sont significatives et durables, la méthode de commercialisation des produits, la nature et les caractéristiques de la demande, la notoriété de la marque, ainsi que l’environnement juridique.

Dans certains cas, la substituabilité du côté de l’offre s’avère également pertinente pour délimiter un marché. Les autorités de concurrence examinent alors, conformément à la Communication sur la définition du marché, si les autres fournisseurs sont capables de « réorienter leur production vers les produits en cause et les commercialiser à court terme sans recourir aucun coût ni risque substantiel en réaction à des variations légères mais permanente des prix relatifs ».

La substituabilité est enfin appréciée dans le cadre de la délimitation du marché géographique. Les autorités de concurrence examinent, dans ce cadre, l’homogénéité des conditions de concurrence, notamment, en matière de prix et les coûts de transport. Plus les coûts de transport sont élevés, plus le marché est étroit et inversement.

Communication de la Commission sur la définition du marché en cause aux fins du droit communautaire de la concurrence du 9 décembre 1997 : « [u]n marché de produits en cause comprend tous les produits et/ou services que le consommateur considère comme interchangeables ou substituables en raison de leurs caractéristiques, de leur prix et de l’usage auquel ils sont destinés ». (point 7) « [l]a concurrence soumet les entreprises à trois grandes sources de contraintes : la substituabilité du côté de la demande, la substituabilité au niveau de l’offre et la concurrence potentielle » (point 13).

 

Pour aller plus loin

Le concept même de substituabilité est aujourd’hui sous le feu des critiques. Certains allant jusqu’à demander son abandon, dans le cadre d’une refonte complète de la notion de marché pertinent. [Proposition n° 13 du rapport d’information sur le droit européen de la concurrence face aux enjeux de la mondialisation, des députés Patrice Anato et Constance Le Grip du 27 novembre 2019]

La première question qui se pose, dans le cadre du débat actuel, est celle de l’importance à accorder au critère prix pour définir un marché. Ce critère, qui joue un rôle essentiel dans la Communication sur la définition du marché (points 15 et 17), apparaît aujourd’hui incapable, à lui seul, de répondre aux préoccupations liées au développement de l’économie digitale. Comme la Commissaire Vestager l’a indiqué dans un discours [Defining Markets in a New Age, Chilling Competition Conference, 9 décembre 2019] lançant la révision de l’actuelle Communication sur la définition du marché [Evaluation Roadmap de la Commission du 3 avril 2020, Ares (2020),1911361] le test SSNIP ne peut pas être effectué avec un produit ou un service que les consommateurs utilisent gratuitement, ce qui est le cas de nombreux produits ou services dans l’économie digitale.

Une deuxième question mise en lumière par la Commissaire Vestager concerne les effets de la mondialisation sur la délimitation géographique des marchés. En effet, il est permis de se demander s’il ne faut pas accorder plus d’importance à la « concurrence potentielle » venue d’entreprises implantées en dehors de l’Union européenne dans le cadre de la définition géographique du marché. Le problème est bien illustré par l’opération Siemens/Alstom [Décision du 6 février 2019, M.8677 Siemens / Alstom] qui aurait été rendue nécessaire par la concurrence potentielle d’un concurrent chinois et l’émergence d’une concurrence étrangère que la Commission aurait omis de prendre en compte. [Voir le point n°7 du Manifeste franco-allemand du 19 janvier 2019 pour une politique industrielle européenne adaptée au XXIéme siécle] En effet, la Communication sur la définition du marché indique clairement, en son point 24, que la « concurrence potentielle n’est pas prise en considération pour la définition des marchés ».

En troisième lieu, les parts de marchés ne permettent plus, à elle seules, de mesurer le pouvoir de marché dans le secteur du digital. Le concept même d’écosystème numérique conduit à des architectures de marché conglomérales où les parties peuvent s’étendre rapidement sur des marchés connexes et faire converger leurs technologies comme le montrent les récentes décisions Miscrosoft/Skype [Décision du 07.10.2011, M.6281] et Facebook/WhatsApp [Décision du 03/10/2014, M.7217]. Dans ces conditions, la pression concurrentielle de biens et services non substituables pourrait être prise en compte dans la définition des marchés pertinents. [Voir, en ce sens, le discours de la présidente de l’AdlC, Isabelle de Silva, du 12 décembre 2019, à Fordham, The future of Competition Law, Time to Change, Time to Adapt]

En somme, le concept même de substituabilité, originellement au cœur de la définition des marchés, est appelé à évoluer. Une révolution (de velours) se dessine à Bruxelles.

 

Jurisprudences pertinentes

CJUE, 30 janvier 2020, Generics (UK) e.a., C‑307/18, EU:C:2020:52

Autorité de la concurrence, décision n°19-D-26 du 19 décembre 2019 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur de la publicité en ligne liée aux recherches

Commission Européenne, 6 février 2019, M.8677 Siemens / Alstom

TUE, 12 décembre 2018, Servier e.a./Commission, T‑691/14, EU:T:2018:922

Commission Européenne, 18 juillet 2018, AT.40099 — Google Android

Autorité de la concurrence, décision 18-DCC-95 du 14 juin 2018 relative à la prise de contrôle exclusif d’une partie du pôle plats cuisinés ambiants du groupe Agripole par la société Financière Cofigeo

CJUE, 23 janvier 2018, F. Hoffmann-La Roche e.a., C‑179/16, EU:C:2018:25

Autorité de la concurrence, décision n° 17-D-20 du 18 octobre 2017 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur des revêtements de sols résilients

Commission Européenne, 27 juin 2017, AT.39740 — Google Search (Shopping)

Autorité de la concurrence, décision 16-DCC-178 du 15 novembre 2016 relative à la prise de contrôle exclusif des sociétés Dufour Sisteron, Ovimpex et Ovimpex Distribution par la coopérative Arterris

Autorité de la concurrence, décision n° 16-DCC-111 de l’Autorité de la concurrence du 27 juillet 2016 relative à la prise de contrôle exclusif de Darty par la Fnac

Autorité de la concurrence, décision n° 16-D-14 du 23 juin 2016 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur du zinc laminé et des produits ouvrés en zinc destinés au bâtiment

Autorité de la concurrence, décision 14-D-02 du 20 février 2014 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur de la presse d’information sportive

Autorité de la concurrence, décision n° 13-D-11 du 14 mai 2013 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur pharmaceutique

Autorité de la concurrence, avis 12-A-01 du 11 janvier 2012 relatif à la situation concurrentielle dans le secteur de la distribution alimentaire à Paris

TUE, 1er juillet 2010, AstraZeneca/Commission, T‑321/05, EU:T:2010:266

TUE, 9 septembre 2009, Clearstream/Commission, T‑301/04, EU:T:2009:317

Commission Européenne, 13 mai 2009, COMP/C-3/37.990 — Intel

TUE, 17 septembre 2007, Microsoft/Commission, T 201/04, EU:T:2007:289

Commission Européenne, 27 juin 2007, COMP/M.4439 – Ryanair/Aer Lingus

Autorité de la concurrence, décision n° 07-D-12 du 28 mars 2007 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur du chèque-cinéma

Commission Européenne, 29 mars 2006, COMP/E-1/38.113 — Prokent/Tomra

TUE, 30 septembre 2003, Atlantic Container Line e.a./Commission, T‑191/98 et T‑212/98 à T‑214/98, EU:T:2003:245

TUE, 12 juin 1997, Tiercé Ladbroke/Commission, T‑504/93, EU:T:1997:84

CJCE, 14 novembre 1996, Tetra Pak/Commission, C‑333/94 P, EU:C:1996:436

Commission Européenne, 16 janvier 1996, IV/M.623 – Kimberly – Clark/Scott

TUE, 6 octobre 1994, Tetra Pak/Commission, T‑83/91, EU:T:1994:246

Commission Européenne, 22 juillet 1992, IV/M.190 – Nestlé/Perrier

TUE, 12 décembre 1991, Hilti/Commission, T‑30/89, EU:T:1991:70

CJCE, 3 juillet 1991, AKZO/Commission, C‑62/86, EU:C:1991:286

CJCE, 9 novembre 1983, Nederlandsche Banden-Industrie-Michelin/Commission, 322/81, EU:C:1983:313

CJCE, 14 février 1978, United Brands et United Brands Continentaal/Commission, 27/76, EU:C:1978:22

CJCE, 21 février 1973, Europemballage et Continental Can/Commission, 6/72, EU:C:1973:22

 

Bibliographie

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Filistrucchi, Lapo. et al, Market Definition in Two-Sided Markets : Theory and Practice, (2014), 10, Journal of competition law & economics, p.293

Frot, Emmanuel, Le concept d’élasticité de la demande en économie de la concurrence, (2016), 50, Revue Lamy de la Concurrence, p.35

Genevaz, Simon et Vidal, Jérôme, Going Digital : How Online Competition Changed Market Definition and Swayed Competition Analysis in Fnac/Darty, (2017), 8, Journal of European competition law & practice, p. 30

Glais, Michel, analyse économique de la définition du marché pertinent : son apport au droit de la concurrence, (2003), 277-278, Économie rurale, p.23

Kaplow, Louis, Why (Ever) Define Markets, (2010), 124, Harvard Law Review, p. 517

Kathuria, Vikas, Platform Competition and Market Definition in the US Amex Case : Lessons for Economics and Law, (2019), 15, European competition journal, p.254

Montet C., “Marché pertinent, pouvoir de marché, quelles définitions retenir ? » (2000), Revue Lamy de la Concurrence, chron. 1427

Vassallo, Andrew P., Can One (Ever) Accurately Define Markets ? (2017), 13, Journal of Competition Law & Economics, p.280

Auteur

Citation

Aymeric de Moncuit, Substituabilité, Dictionnaire de droit de la concurrence, Concurrences, Art. N° 12371

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Éditeur Concurrences

Date 1er février 2023

Nombre de pages 842

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Définition institution

Mesure dans laquelle les produits peuvent être considérés comme interchangeables du point de vue des producteurs ou des consommateurs. Si ces derniers peuvent acheter un autre produit qu’ils jugent équivalent par sa nature, son utilisation et/ou son prix (substitution du côté de la demande), cette possibilité a pour effet de discipliner l’entreprise au niveau des prix qu’elle pratique pour un produit donné. Une contrainte concurrentielle supplémentaire peut découler de la capacité des producteurs d’autres produits à adapter à brève échéance leur production au produit en question à moindre coût et de leur souhait d’entrer en concurrence sur le segment de marché concerné (substitution du côté de l’offre). La substituabilité entre produits est un élément important pour la définition du marché du produit en cause (marché en cause).

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