Self-preferencing

 

Définition auteur

 

Premier aperçu

Les entreprises intégrées et actives sur des marchés voisins (horizontaux ou verticaux) peuvent mettre en place des mécanismes qui favorisent leurs propres opérations, notamment pour exploiter un avantage détenu sur un marché pour favoriser l’accès aux clients à ses propres produits ou services sur un autre marché. Ces comportements relèvent du « self-preferencing ». Les entreprises peuvent favoriser leurs propres opérations de différentes manières. On peut citer comme exemples une entreprise spécialisée dans le secteur des systèmes d’exploitation qui accordera un traitement préférentiel à ses propres applications si celles-ci sont livrées préinstallées avec son système d’exploitation. La mise en œuvre de cette stratégie pourrait faciliter l’adoption par les consommateurs des applications de l’entreprise ayant développé le système d’exploitation. De même, un moteur de recherche peut se réserver un positionnement de choix, conduisant à une meilleure visibilité, à ses services sur un autre marché par rapport aux services similaires des concurrents. Enfin, une entreprise peut accorder un accès privilégié aux données collectées dans le cadre de l’une de ses activités – non disponibles aux concurrents – à ses divisions internes ou filiales opérant sur un autre marché pour leur procurer un avantage concurrentiel pour faciliter l’accès aux clients de ces dernières sur un autre marché. Les entreprises ont une tendance naturelle à vouloir privilégier leurs propres opérations. Ces mécanismes mis en place par les entreprises pour favoriser leurs propres opérations sur différents marchés peuvent participer à faciliter l’intégration des produits de l’entreprise, et/ou lui permettre de mieux exploiter différentes synergies. Une entreprise qui s’appuie sur un avantage sur un marché pour mieux livrer concurrence sur un marché voisin peut aussi contribuer à rendre ce dernier marché plus concurrentiel. Ces mécanismes peuvent donc conduire à des gains d’efficiences, des prix attractifs, et/ou des produits ou services répondant mieux aux besoins des consommateurs.

Néanmoins, dans des circonstances spécifiques, le « self-preferencing » peut conduire à des distorsions de concurrence par les mérites, notamment quand il est mis en œuvre par une entreprise dominante sur un marché : en privilégiant certaines de ses propres opérations grâce à sa position dominante et en handicapant ses concurrents sur des marchés voisins, l’entreprise est susceptible d’étendre son pouvoir de marché vers des marchés adjacents par un effet de levier et/ou de protéger sa position dominante préexistante. Le « self-preferencing » est abusif et relève alors de l’article L 420-2 du Code de commerce ou de l’article 102 TFUE, relatifs à l’abus de position dominante.

Dans le cadre de l’économie numérique, cette problématique de « self-preferencing » attire une attention particulière car les plateformes peuvent intervenir en tant que fournisseur pour les entreprises et en même temps venir concurrencer ces dernières sur leur activité de commercialisation. C’est le cas par exemple lorsqu’une plateforme opère une place de marché et distribuent ses propres biens ou services sur cette place de marché. Le risque anticoncurrentiel soulevé par le « self-preferencing » dans ce secteur est préoccupant face à la nécessité d’assurer la contestabilité de certains marchés du fait de leurs caractéristiques particulières. Dans cette optique, la législation sur les marchés numériques (« Digital Markets Act ») introduite par la Commission européenne interdit des formes identifiées du « self-preferencing » par les grandes plateformes en ligne ayant un rôle de « contrôleur d’accès » (« gatekeeper »), plateformes qui ont une position économique forte et qui jouent un rôle important d’intermédiation.

 

Pour aller plus loin

Si le « self-preferencing » peut prendre diverses formes et porter atteinte à la concurrence de différentes manières, la théorie de préjudice derrière ce comportement est le plus souvent celle basée sur un abus par effet de levier.

Il ressort d’une jurisprudence constante que le fait, pour une entreprise, d’exploiter un effet de levier pour étendre son pouvoir de marché sur un marché voisin n’est pas interdit en tant que tel, même si cette pratique conduit à la marginalisation ou la disparition des concurrents. Néanmoins, une entreprise en position dominante a une responsabilité particulière de ne pas porter atteinte à une concurrence effective par son comportement. La question centrale est alors de déterminer si les mécanismes mis en place pour favoriser ses propres opérations s’écartent d’une concurrence normale par les mérites et, le cas échéant, conduit à des effets anticoncurrentiels. C’est ainsi que, dans l’affaire Google Shopping instruite par la Commission européenne – affaire emblématique du « self-preferencing » –, le Tribunal a relevé que Google, en favorisant son service de comparaison des produits et en rétrogradant ceux des concurrents sur ses pages de recherche générale – les deux pratiques constitutives du « self-preferencing » –, s’est écarté d’une concurrence normale par les mérites puisque ce comportement allait à l’encontre de ce qui avait fait le succès de son moteur de recherche, à savoir un affichage des résultats de sources plurales et diverses sans limiter ou favoriser le champs des résultats à ses propres services. Le Tribunal a confirmé dans sa grande majorité l’analyse des effets anticoncurrentiels du comportement de Google par la Commission européenne.

Le « self-preferencing » implique souvent également un traitement différencié de ses propres opérations par rapport à celles des concurrents. A ce titre, pour qualifier d’abusif un comportement de « self-preferencing », la démonstration d’un traitement plus favorable des opérations en interne et un traitement plus défavorable des concurrents revêt une importance certaine.

 

Bibliographie

Bougette, Patrice, Olivier Budzinski et Frédéric Marty, 2022, « Self-preferencing and competitive damages : A focus on exploitative abuses », The Antitrust Bulletin 67(2), 190-207.

Colomo, Pablo Ibáñez, 2020, « Self-preferencing : Yet another epithet in need of limiting principles », World Competition Law and Economics Review 43(4), 417-446.

Auteur

Citation

Eshien Chong, Self-preferencing, Dictionnaire de droit de la concurrence, Concurrences, Art. N° 109786

Visites 133

Éditeur Concurrences

Date 1er février 2023

Nombre de pages 842

Acheter

a b c d e f g i j k l m n o p r s t v