La question de l’application de l’article L.420-6 aux personnes morales n’est à ce jour pas tranchée par la jurisprudence : pour certains, le libellé même du texte, qui vise uniquement les personnes physiques, exclut la possibilité de sanctionner les personnes morales sur ce fondement. Pour d’autres, au contraire, la loi du 9 mars 2004, dite loi « Perben II », qui a modifié l’article L.121-2 du code pénal en supprimant le principe de spécialité de la responsabilité des personnes morales, permet de poursuivre et de sanctionner les personnes morales.
Dans cette dernière hypothèse, se poserait alors la question du non bis in idem en cas de cumul de sanctions administratives et de sanctions pénales. De même, le recours à la convention judiciaire d’intérêt public (« CJIP ») pourrait être envisagé, dès lors que les infractions de concurrence seraient considérées comme connexes aux infractions pouvant actuellement faire l’objet d’une CJIP (corruption, trafic d’influence, fraude fiscale, blanchiment de fraude fiscale).
Par un arrêt du 19 décembre 2018, la Cour de cassation a refusé de transmettre une question prioritaire de constitutionnalité (« QPC ») sur la méconnaissance par l’article L.420-6 du principe de la légalité des délits et des peines : alors que les auteurs de la QPC, de même qu’un certain nombre de praticiens et de commentateurs, soutenaient que les éléments constitutifs du délit visé à l’article L.420-6 étaient empreints d’une forte incertitude, la Cour de cassation a estimé que ce texte était rédigé de manière suffisamment claire pour exclure tout risque d’arbitraire, d’autant que le juge pénal , peut, aux termes de la loi [NB : article L.462-3 du code de commerce], consulter l’Autorité de la concurrence sur les affaires dont il est saisi.
L’existence de sanctions pénales pose la question de leur articulation avec les procédures dites négociées, telles la clémence : consciente de ce que le risque de sanctions pénales pouvait dissuader certaines entreprises d’entrer en voie de clémence, l’Autorité de la concurrence, conformément à l’engagement pris dans son communiqué de procédure du 3 avril 2015 relatif au programme de clémence français, n’a transmis au parquet aucun dossier où une procédure de clémence avait été mise en œuvre. Par ailleurs, aucun dirigeant, cadre ou salarié d’une entreprise ayant obtenu la clémence n’a fait l’objet d’une condamnation pénale sur le fondement de l’article L.420-6. Enfin, l’article 23-2 de la directive (UE) 2019/1 du 11 décembre 2018 (dite « directive ECN + ») prévoit que les actuels et anciens directeurs, gérants et autres membres du personnel des entreprises sollicitant le bénéfice de la procédure de clémence soient exemptés, partiellement ou totalement, des sanctions infligées dans le cadre de procédures pénales, sous réserve notamment de leur coopération active avec les autorités de concurrence. La transposition de ce texte en droit français est imminente.