Une relation commerciale établie
La jurisprudence impose de démontrer le caractère établi de la relation (Cass. com., 27 mars 2019, n°17-18.047). Cette relation commerciale doit être établie, ce qui suppose de prendre en compte deux éléments :
- la durée : la relation doit exister depuis un temps suffisamment long ;
- la croyance légitime en la pérennité de la relation. Cette croyance dépend notamment des usages du secteur concerné.
Cette qualification peut donc être retenue ou non, quelque soit le secteur d’activité en cause, au vu de la durée des relations d’affaires, de l’importance du chiffre d’affaires réalisé ainsi que de la continuité et de l’évolution à la hausse ou à la baisse de cette relation d’affaires.
Le caractère établi de la relation est présumé s’il n’est pas contesté par celui qui se prétend victime de la rupture (CA Paris, 20 juin 2019, RG 17/02742). En revanche, la relation n’est pas établie, en cas de précarité de celle-ci, par exemple lors de recours systématique à des appels d’offres (Cass. com., 18 octobre 2017, n° 16-15.138). La loi ne distingue pas entre les relations contractuellement établies et les autres.
La brutalité de la rupture
Le nouvel article L. 442-1 II du Code de commerce dispose que la rupture d’une relation commerciale établie n’est pas préjudiciable si elle respecte un certain préavis écrit.
La rupture en tant que telle n’est pas sanctionnée. En revanche, son caractère brutal, imprévisible et abusif, sans préavis, expose la responsabilité de son auteur.
Cette rupture peut ne pas être totale, par exemple lorsque la rupture découle d’un déréférencement partiel à savoir le fait de ne plus acheter la gamme complète d’un produit mais seulement une partie.
Le préavis doit tenir compte de la durée et de l’importance des relations commerciales antérieures, en référence aux usages du commerce ou aux accords interprofessionnels.
Ainsi, la baisse brutale des commandes et du chiffre d’affaires de la victime de la rupture alléguée ne permet pas, à elle seule, d’établir la brutalité de la rupture : le demandeur à l’action en rupture brutale doit établir en quoi les pratiques critiquées caractérisent une rupture brutale (Cass. com., 27 mars 2019, n° 17-18.676). En effet, cette baisse peut être due à d’autres facteurs tels que la crise économique du secteur dans lequel intervient le client. Toutefois, et c’est un apport de l’Ordonnance, le législateur considère désormais qu’en cas de litige entre les parties sur la durée du préavis, la responsabilité de l’auteur de la rupture ne peut plus être engagée du chef d’une durée insuffisante dès lors qu’il a respecté un préavis de dix-huit mois.
A cet égard, le juge n’est pas lié par la durée prévue par les parties : il peut, selon les circonstances ou les usages de la profession, allonger ou réduire la durée du préavis, dans la limite de dix-huit mois. Souvent, en présence d’une dépendance économique de l’une des parties à l’égard de l’autre, le juge intervient pour modifier la durée du préavis. Plus la dépendance est forte plus le préavis sera long.
Aux termes du 3e et dernier alinéa de l’article L. 442-1 II, l’Ordonnance maintient les deux hypothèses dans lesquelles la résiliation de la relation commerciale peut intervenir sans préavis à savoir en cas de force majeure ou d’inexécution par l’autre partie de ses obligations.
Dans ce dernier cas, pour pouvoir se dispenser de préavis, l’auteur de la rupture devra opposer un manquement revêtant un degré de gravité suffisant justifiant l’absence de préavis (v. Cass. com., 27 mars 2019, n° 17-16.548).
Un préjudice réparable
La Cour de cassation rappelle que la réparation du préjudice due à une telle rupture ne peut porter que sur le caractère brutal de la rupture et non sur la rupture elle-même.
Elle précise que le préjudice doit être évalué en considération de la marge brute escomptée pendant la période de préavis non octroyé.
La marge brute est la différence entre le chiffre d’affaires hors taxes et les coûts hors taxes réellement engagés : en cas de rupture brutale de relation commerciale établie, il s’agit donc de déterminer le chiffre d’affaires hors taxes dont la victime a été privée sous déduction des frais qu’elle aurait normalement dû engager durant la période de préavis non octroyé. Ces charges sont de nature variable en fonction de l’activité de la victime (achat de marchandises, sous-traitance, honoraires divers etc.) ou de nature fixe (charges de personnel, assurances, loyer, etc.).
La Cour d’appel de Paris retient souvent la marge sur coûts variables.
Les juges procèdent à une appréciation in concreto du préjudice subi par la victime de la rupture brutale. Le principe de non-cumul des responsabilités délictuelle et contractuelle n’interdit pas au créancier d’une obligation, de présenter, outre sa demande en responsabilité contractuelle, une demande distincte en responsabilité délictuelle fondée sur la brutalité de la rupture.
Un fait générateur peut en effet caractériser deux dommages distincts : l’un résultant d’un manquement contractuel et l’autre de la rupture brutale des relations commerciales (Cass. com., 24 octobre 2018, n° 17- 25.672 ; Cass. com., 27 mars 2019 n° 16-24.630 ; Cass. com., 10 avril 2019, n° 18-12.882).
Application dans le temps de l’Ordonnance
L’Ordonnance s’est appliquée immédiatement à tous les contrats et avenants conclus postérieurement au 26 avril 2019 et à compter du 1er mars 2020 pour les contrats pluriannuels en cours d’exécution.
S’agissant des contrats conclus antérieurement à l’entrée en vigueur de l’Ordonnance mais rompus postérieurement, la solution reste incertaine et tributaire de la qualification contractuelle ou extracontractuelle pour l’action en responsabilité pour rupture brutale.
Qualifiée de délictuelle en droit interne, elle est qualifiée en revanche de contractuelle en droit européen (CJUE, 14 juillet 2016, Granarolo SpA c/ Ambrosi Emmi France SA, aff. C-196/15).
Or, si le principe de la survie de la loi ancienne s’impose en matière contractuelle, celui de l’application de la loi en vigueur au moment de la réalisation du fait dommageable gouverne la matière extracontractuelle.
Sanctions de la rupture brutale
La victime de rupture brutale peut
- assigner en référé l’auteur de la rupture sous astreinte pour obtenir la continuation de la relation ; ou
- assigner au fond pour se voir allouer des dommages-intérêts en réparation du préjudice subi.
Seules huit juridictions de premier degré à savoir les Tribunaux de commerce de Marseille, Bordeaux, Tourcoing, Fort-de-France, Lyon, Nancy, Paris et Rennes peuvent traiter des contentieux de rupture brutale de relations commerciales établies.
La cour d’appel de Paris est la seule juridiction d’appel des jugements rendus par ces juridictions spécialisées. L’auteur d’une rupture brutale s’expose aussi à une amende civile d’un montant de 5 millions euros qui peut être portée au triple du montant des avantages indûment perçus ou à 5 % du chiffre d’affaires réalisé en France par l’auteur de cette pratique restrictive de concurrence lors du dernier exercice clos depuis l’exercice précédant celui au cours duquel ladite pratique a été mise en oeuvre.
La rupture brutale en droit international
Selon la jurisprudence Granoloro, l’action en rupture brutale ne relève pas en droit européen de la matière délictuelle mais de la matière contractuelle. Cette précision conduit le juge à choisir l’instrument approprié de détermination de la loi applicable : « Rome I » (applicable aux obligations contractuelles) plutôt que « Rome II » (applicable aux obligations non contractuelles).
L’action indemnitaire fondée sur une rupture brutale de relations commerciales établies dans un litige intracommunautaire ne relève pas de la matière délictuelle ou quasi délictuelle s’il existait entre les parties une relation contractuelle tacite. C’est ainsi que la Cour de cassation, se ralliant à la jurisprudence de la CJUE ci-dessus citée, a jugé dans un arrêt du 20 septembre 2017 (Cass. com., 20 septembre 2017, n° 16-14.812). Dans un contexte international, la Cour de cassation se prononce en faveur de l’arbitrabilité des litiges fondés sur l’article L. 442-6 du code de commerce.