Règle de raison

 

Définition auteur

 

Premier aperçu

La « règle de raison » exige qu’un tribunal mette en balance les effets favorables et les effets anticoncurrentiels d’un accord, conformément à la section 1 du Sherman Act de 1890 aux États-Unis ; si les seconds l’emportent sur les premiers, l’accord sera considéré comme une restriction illégale du commerce. Le droit européen de la concurrence ne reconnaît pas de règle de raison au titre de l’article 101, paragraphe 1, TFUE. En effet, la structure de l’article 101 est différente de celle de la section 1 du Sherman Act ; les effets favorables et défavorables à la concurrence d’un accord sont évalués en vertu de l’article 101, paragraphe 3, TFUE.

 

Pour aller plus loin

La section 1 du Sherman Act de 1890 interdit « tout contrat, combinaison sous forme de trust ou autre, ou conspiration, en vue de restreindre les échanges ou le commerce ». Pris au pied de la lettre, ce libellé interdit toute restriction du commerce. Depuis les premiers arrêts de la Cour suprême des États-Unis interprétant cette disposition au XXe siècle, la Cour a estimé qu’elle n’interdisait que les restrictions déraisonnables au commerce. Hormis les restrictions qui tendraient toujours ou presque toujours à restreindre la concurrence, qui sont considérées per se comme une violation de la section 1, les tribunaux américains appliquent la « règle de la raison » pour décider si un comportement collusoire constitue une restriction déraisonnable de la concurrence : Chicago Board of Trade v. United States (1918). Les facteurs pertinents pour cette évaluation au cas par cas comprennent l’historique de la restriction en question, le but recherché et ses effets réels et probables : Continental TV v. GTE Sylvania (1977). La question de savoir si les entreprises concernées ont un pouvoir de marché est une autre considération importante : Leegin Creative Leather Products v. PSKS (2007).

Il est juste de dire qu’au cours des quarante dernières années, la règle de raison est devenue le point de départ pour déterminer si les pratiques collusoires restreignent le commerce en violation de la section 1. Cela ne veut pas dire que la règle de raison a été à l’abri des critiques. Il a été souligné que la règle de raison est, le plus souvent, imprécise et imprévisible : ABA Antitrust Section, Monograph No. 23, The Rule of Reason (1999). La Cour suprême des États-Unis a répondu à cette préoccupation en permettant aux tribunaux de créer « une structure de litige » qui permet à la règle de raison d’éliminer les restrictions anticoncurrentielles et de fournir davantage de conseils aux entreprises (Leegin). Le jugement de la cour d’appel des États-Unis pour le circuit du District de Columbia dans l’affaire Polygram v. Federal Trade Commission (2005) est un exemple d’une règle de raison plus structurée. La cour d’appel a d’abord considéré le préjudice concurrentiel allégué, puis a examiné toute justification légitime du comportement incriminé, et enfin a évalué les effets globaux sur les consommateurs et la concurrence.

Dans les années 1980 et au début des années 1990, une grande partie des commentaires ont critiqué l’application formaliste et indûment large de l’article 101, paragraphe 1, TFUE, en raison de laquelle, selon certains, de nombreux accords nécessitant une exemption au titre de l’article 101, paragraphe 3, n’auraient pas dû relever de l’article 101, paragraphe 1, car ils ne restreignaient pas du tout la concurrence. De nombreux commentateurs ont appelé à l’adoption en droit communautaire d’une « règle de raison » dans l’application de l’article 101, paragraphe 1. La Cour de justice a toujours résisté à cet appel du pied. Dans l’affaire Consten et Grundig c/ Commission (1966), la Cour a refusé d’évaluer les effets favorables et les effets défavorables à la concurrence d’un accord de distribution conférant une « protection territoriale absolue » au distributeur ; un accord de ce type empêche le commerce parallèle au sein de l’UE et a été jugé illégal au titre de l’article 101. Dans l’affaire Generics (UK) c/ Competition and Markets Authority (2020), la Cour a récemment réaffirmé cette position : le droit européen de la concurrence ne reconnaît pas de règle de raison (pt 104).

 

Jurisprudences pertinentes

Union européenne

CJUE, 30 janvier 2020, Generics (UK) Ltd c/ Commission, aff. C-307/18, EU:C:2020:52

CJCE, 13 juillet 1966, Établissements Consten SàRL et Grundig-Verkaufs-GmbH c/ Commission, aff. jtes 56 et 58/64, EU:C:1966:41

TPICE, 18 septembre 2001, Métropole télévision (M6) c/ Commission, aff. T-112/99, EU:T:2001:215

États-Unis

Leegin Creative Leather Products, Inc. v. PSKS, Inc., 551 U.S. 877 (2007)

Polygram v. Federal Trade Commission, 416 F.3d 29 (D.C. Cir. 2005)

Continental TV, Inc. v. GTE Sylvania, Inc., 433 U.S. 36 (1977)

Chicago Board of Trade v. United States, 246 U.S. 231 (1918)

 

Bibliographie

ABA Antitrust Section, Monograph No. 23, The Rule of Reason (1999)

BAILEY (D.) et JOHN (L. A.) (dir.), Bellamy & Child : European Union Law of Competition, 8e éd., Oxford University Press, 2018, chap. 2

FORRESTER (I.) et NORALL (Ch.), « The Laicization of Community Law : Self-help and the Rule of Reason : How Competition Law Is and Could Be Applied », Common Market Law Review, 1984, vol. 21, n° 1, p. 11

HOVENKAMP (H.), « The Rule of Reason », Florida Law Review, 2018, vol. 70, n° 1, p. 81

STUCKE (M. E.), « Does the Rule of Reason Violate the Rule of Law ? », UC Davis Law Review, 2009, vol. 42, n° 5, p. 1375

WHISH (R.) et BAILEY (D.), Competition Law, 10e éd., Oxford University Press, 2021, chap. 3

Auteur

  • King’s College (London)

Citation

David Bailey, Règle de raison, Dictionnaire de droit de la concurrence, Concurrences, Art. N° 86408

Visites 6312

Éditeur Concurrences

Date 1er février 2023

Nombre de pages 842

Acheter

 

Définition institution

Démarche consistant, pour les autorités ou les juridictions compétentes en matière de droit de la concurrence, à mettre en balance les aspects proconcurrentiels et anticoncurrentiels d’une pratique commerciale restrictive lorsqu’elles ont à statuer sur sa possible interdiction. Certaines pratiques à première vue restrictives pourront, après plus ample examen, être jugées bénéfiques du point de vue de l’efficience. On citera, par exemple, le cas d’un fabricant limitant l’offre d’un produit sur différents marchés géographiques en ne livrant que les détaillants déjà installés, le but étant de leur permettre de dégager un plus gros bénéfice et de les inciter à promouvoir le produit et à assurer un meilleur service à la clientèle. Cette restriction imposée par le fabricant peut avoir pour effet d’augmenter la demande de ses produits plus fortement que s’il avait accepté de satisfaire une demande en livrant des quantités plus importantes mais à un prix plus bas. La règle de raison s’oppose à l’illégalité per se, c’est-à-dire l’interdiction absolue et automatique de certaines pratiques. Les ententes sur les prix et les régimes de prix imposés sont illégaux per se dans de nombreux pays. © OCDE

 
a b c d e f g i j k l m n o p r s t v