La section 1 du Sherman Act de 1890 interdit « tout contrat, combinaison sous forme de trust ou autre, ou conspiration, en vue de restreindre les échanges ou le commerce ». Pris au pied de la lettre, ce libellé interdit toute restriction du commerce. Depuis les premiers arrêts de la Cour suprême des États-Unis interprétant cette disposition au XXe siècle, la Cour a estimé qu’elle n’interdisait que les restrictions déraisonnables au commerce. Hormis les restrictions qui tendraient toujours ou presque toujours à restreindre la concurrence, qui sont considérées per se comme une violation de la section 1, les tribunaux américains appliquent la « règle de la raison » pour décider si un comportement collusoire constitue une restriction déraisonnable de la concurrence : Chicago Board of Trade v. United States (1918). Les facteurs pertinents pour cette évaluation au cas par cas comprennent l’historique de la restriction en question, le but recherché et ses effets réels et probables : Continental TV v. GTE Sylvania (1977). La question de savoir si les entreprises concernées ont un pouvoir de marché est une autre considération importante : Leegin Creative Leather Products v. PSKS (2007).
Il est juste de dire qu’au cours des quarante dernières années, la règle de raison est devenue le point de départ pour déterminer si les pratiques collusoires restreignent le commerce en violation de la section 1. Cela ne veut pas dire que la règle de raison a été à l’abri des critiques. Il a été souligné que la règle de raison est, le plus souvent, imprécise et imprévisible : ABA Antitrust Section, Monograph No. 23, The Rule of Reason (1999). La Cour suprême des États-Unis a répondu à cette préoccupation en permettant aux tribunaux de créer « une structure de litige » qui permet à la règle de raison d’éliminer les restrictions anticoncurrentielles et de fournir davantage de conseils aux entreprises (Leegin). Le jugement de la cour d’appel des États-Unis pour le circuit du District de Columbia dans l’affaire Polygram v. Federal Trade Commission (2005) est un exemple d’une règle de raison plus structurée. La cour d’appel a d’abord considéré le préjudice concurrentiel allégué, puis a examiné toute justification légitime du comportement incriminé, et enfin a évalué les effets globaux sur les consommateurs et la concurrence.
Dans les années 1980 et au début des années 1990, une grande partie des commentaires ont critiqué l’application formaliste et indûment large de l’article 101, paragraphe 1, TFUE, en raison de laquelle, selon certains, de nombreux accords nécessitant une exemption au titre de l’article 101, paragraphe 3, n’auraient pas dû relever de l’article 101, paragraphe 1, car ils ne restreignaient pas du tout la concurrence. De nombreux commentateurs ont appelé à l’adoption en droit communautaire d’une « règle de raison » dans l’application de l’article 101, paragraphe 1. La Cour de justice a toujours résisté à cet appel du pied. Dans l’affaire Consten et Grundig c/ Commission (1966), la Cour a refusé d’évaluer les effets favorables et les effets défavorables à la concurrence d’un accord de distribution conférant une « protection territoriale absolue » au distributeur ; un accord de ce type empêche le commerce parallèle au sein de l’UE et a été jugé illégal au titre de l’article 101. Dans l’affaire Generics (UK) c/ Competition and Markets Authority (2020), la Cour a récemment réaffirmé cette position : le droit européen de la concurrence ne reconnaît pas de règle de raison (pt 104).