Le refus de vente peut, tout d’abord, être appréhendé de manière indirecte lorsqu’il prend la forme d’une rupture brutale des relations commerciales établies entre les deux professionnels (C. com., art. L. 442-1, II).
Ensuite et surtout, il peut relever de l’interdiction des pratiques anticoncurrentielles prévue tant par le droit français que le droit européen.
S’agissant, en premier lieu, des abus de domination, il convient de relever que le texte même de l’article L. 420-2 du code de commerce mentionne expressément le refus de vente, parmi les exemples d’abus de position dominante (al. 1) comme d’abus de dépendance économique (al. 2).
Compte tenu de la rareté des applications dont l’interdiction des abus de dépendance économique a fait l’objet jusqu’à présent, c’est plutôt sur le fondement des articles L. 420-2 al. 1 du Code de commerce et 102 du TFUE que le refus de contracter émanant d’une entreprise dominante a pu être sanctionné.
La Cour de justice a ainsi admis depuis longtemps que le refus de fournir des produits (CJCE 6 mars 1974, aff. C-6 et 7/73, Commercial Solvents), comme celui d’assurer des prestations de services (CJCE, 3 octobre 1985, aff. C-311/84, Telemarketing - CJUE, 26 nov. 1998, C-7/97, Bronner » - TUE, 9 sept. 2009, T-301/04, Clearstream), puisse constituer l’exploitation abusive d’une position dominante. L’éventail des pratiques saisies est large puisqu’il concerne aussi le refus d’accorder une licence de droits de propriété intellectuelle (CJCE, 6 avril 1995, aff. C-241/91 P et C-242/91, Magill).
Toutefois, le principe étant celui de la liberté de choix de ses partenaires et de la libre disposition de ses biens, « une intervention fondée sur le droit de la concurrence doit être soigneusement pesée lorsqu’ (elle) risque de déboucher sur l’imposition d’une obligation de fourniture à l’entreprise dominante » (Commission, Orientations sur les priorités retenues par la Commission pour l’application de l’article 82 du traité CE aux pratiques d’éviction abusives des entreprises dominantes, pt 75).
Cette prudence se manifeste notamment dans le recours à la théorie des facilités essentielles dont l’application est assujettie à la réunion de conditions strictes, encore renforcées lorsqu’elle concerne un droit de propriété intellectuelle.
Lorsque le refus a pour objet un bien matériel ou un service, la qualification d’abus repose traditionnellement sur un test en trois étapes :
– le refus porte sur un produit ou un service qui est objectivement nécessaire pour pouvoir exercer une concurrence efficace sur un marché en aval,
– le refus est susceptible de conduire à l’élimination d’une concurrence effective sur le marché en aval, et
– le refus n’est pas objectivement justifié
Lorsque le refus porte sur un droit de propriété intellectuelle, la qualification d’abus est plus stricte afin de ne pas décourager l’innovation. Aux trois étapes précédentes s’ajoute la nécessité d’établir que l’auteur du refus a fait obstacle à l’apparition d’un produit nouveau demandé par les consommateurs (comp. Commission, Orientations préc., point n° 81 et suivants qui présente un test légèrement différent sans mettre à part le cas particulier des droits de propriété intellectuelle, l’intérêt des consommateurs à l’innovation étant systématiquement pris en compte).
La condition a été pour la première fois posée dans la célèbre affaire « Magill » qui concernait le refus par des chaînes de télévision d’accorder une licence de reproduction sur leurs programmes à un éditeur qui envisageait de commercialiser un guide complet qui n’était alors pas proposé sur le marché (CJCE, 6 avril 1995 préc.). Elle a été affinée par l’arrêt « IMS Health » selon lequel le demandeur de licence ne doit pas se limiter, en substance, à reproduire des produits ou des services qui sont déjà offerts sur le marché dérivé par le titulaire du droit de propriété intellectuelle, en l’espèce une base de données reposant sur une structure modulaire spécifique (CJCE, 29 avril 2004, aff. C-418/01).
L’affaire « Microsoft » a donné le sentiment d’avoir abandonné cette quatrième condition en retenant que « la circonstance relative à l’apparition d’un produit nouveau […] ne saurait constituer l’unique paramètre permettant de déterminer si un refus de donner en licence un droit de propriété intellectuelle est susceptible de porter préjudice aux consommateurs au sens [de l’article 102]. Ainsi qu’il ressort du libellé de cette disposition, un tel préjudice peut survenir en présence d’une limitation non seulement de la production ou des débouchés, mais aussi du développement technique » (TPICE, 17 sept. 2007, aff. T-201/04) mais la jurisprudence ultérieure n’a jamais confirmé cette solution.
Le seul cas particulier concerne les brevets essentiels à une norme (BEN) et le refus de consentir une licence à des conditions équitables (licences dites « FRAND ») malgré un engagement pris en ce sens devant les organismes de normalisation. Dans ce cas de figure, la Cour de justice semble avoir retenu un test simplifié très proche d’une interdiction per se (CJUE, 16 juill. 2015, C-170/13, Huawei : « eu égard au fait qu’un engagement de délivrer des licences à des conditions FRAND crée des attentes légitimes auprès des tiers que le titulaire du BEN leur octroie effectivement des licences à de telles conditions, un refus du titulaire du BEN d’octroyer une licence à ces mêmes conditions peut constituer, en principe, un abus au sens de l’article 102 TFUE »).
En second lieu, le refus de vente peut être sanctionné en application du droit des ententes anticoncurrentielles.
Il est cependant nécessaire d’établir que le refus découle d’un accord ou d’une pratique concertée entre l’auteur du refus et une ou plusieurs autres entreprises pour que la qualification d’entente puisse être retenue.
Dans le contexte des réseaux de distribution sélective, la qualification d’entente est nécessairement retenue lorsque le refus découle des critères de sélection du fournisseur. En effet, en intégrant le réseau, chaque distributeur acquiesce par avance à la mise en œuvre des critères de sélection choisis par le fournisseur.
En revanche, l’hypothèse d’une sélection discriminatoire, c’est-à-dire non fondée sur les critères de sélection, est davantage discutée. Initialement, la Cour d’appel de Paris jugeait que la qualification d’entente devait être systématiquement retenue, sans doute pour priver les fournisseurs non dominants de la possibilité de mener une sélection discrétionnaire (CA Paris, pôle 5, ch. 4, 23 janv. 2019, no 16/16856, Concurrences no 2-2019, p. 88, note N. Eréséo). Cependant, la même formation de la cour a par la suite opéré un revirement en décidant que le refus d’agrément discriminatoire devait s’analyser comme un acte unilatéral, sauf à ce que les requérants apportent la preuve d’un concours de volontés et donc établissent l’acquiescement des autres distributeurs à la politique discriminatoire du fournisseur (CA Paris 27 novembre 2019, Pole 5, ch. 4, RG n° 18-06901, Concurrences n° 1-2020, p. 96, note Ph. Vanni – CA Paris, Pôle 5, ch. 4, 21 oct. 2020, n° 18/27620, Automobiles JPB c/ Sté Hyundai Motor France, l’acquiescement peut concerner un seul distributeur, en l’espèce le successeur de celui qui avait été évincé).
Encore faut-il pour que la qualification d’entente anticoncurrentielle soit retenue que le refus de vente ait un objet ou un effet anticoncurrentiel. Or, cet objet ou cet effet ne sont généralement pas vérifiés lorsque la victime du refus peut mener son activité en s’adressant à d’autres opérateurs (CA Paris, Pôle 5, ch. 4, 27 mars 2019, RG no 17/09056, prise en compte de la possibilité pour un réparateur agréé de s’adresser à un autre constructeur automobile – Cass. com., 16 févr. 2010, n° 09-11.968, prise en compte de la possibilité pour les concurrents de la société Orange, bénéficiaire d’une exclusivité de fourniture offerte par la société Apple, de s’approvisionner auprès des concurrents de cette dernière – CA Paris, 5 juill. 2017, NGK Spark Plugs France c/ Société de commercialisation de produits industriels, RG n° 15/12365, sanction admise en l’espèce dès lors que le fournisseur était « un leader technologique […] dont les produits sont incontournables et non substituables pour les distributeurs interrogés »).
En outre, lorsque le fournisseur et ses acheteurs disposent de parts de marché inférieures au seuil de 30%, le refus de commercer est couvert par le règlement d’exemption par catégorie (UE) n° 330/2010 qui bénéficie à tous les réseaux de distribution sélective, sans qu’il soit tenu compte de la nature des produits concernés, des critères de sélection choisis par le fournisseur et de leur mise en œuvre éventuellement discriminatoire (CA Paris, Pôle 5, ch. 4, 20 févr. 2019, RG n° 15/13603).
Compte tenu des limites inhérentes au droit de la concurrence, les victimes de refus de commercer ont tenté d’invoquer le droit commun des contrats en prétendant qu’il pouvait fonder l’exigence d’une sélection non discriminatoire, mais la Cour de cassation a fermement répondu que « l’exigence de bonne foi ne requiert pas, de la part de la tête d’un réseau de distribution la détermination et la mise en œuvre d’un tel processus de sélection » (Cass. com. 27 mars 2019, no 17-22.083).