Protection territoriale absolue

 

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Premier aperçu

Le monopole est l’archétype du pouvoir de marché. Or, une répartition de territoires revient à créer des petits monopoles. C’est la raison pour laquelle l’article 101, paragraphe 1 c) TFUE vise spécialement ce comportement en tant que restriction de concurrence : les opérateurs économiques ne doivent pas s’entendre pour se répartir entre eux des territoires, qu’il s’agisse d’accords entre concurrents (restrictions horizontales) ou entre non-concurrents (restrictions verticales).

Les restrictions de concurrence horizontales sont les plus évidentes. Les concurrents sont souvent tentés de recourir à des ententes secrètes pour la réservation d’un territoire. Deux affaires emblématiques illustrent ces accords par lesquels « chacun reste chez soi » : le gentlemen’s agreement portant respect des territoires respectifs entre producteurs japonais et producteurs européens sur le marché des transformateurs de puissance (CJUE, 20 janvier 2016, C-373/14P, Toshiba) ; le pacte de non-agression mutuelle entre les meuniers allemands et les meuniers français (Autorité, décision 12-D-09 du 13 mars 2012 sur les farines en sachets). Dans l’arrêt Toshiba, la Cour rappelle que des accords portant sur la répartition des territoires constituent des violations particulièrement graves de la concurrence et relèvent de la catégorie de restriction par l’objet (pt 28 ; Lignes directrices relatives à l’article 101 TFUE du 27 avril 2004, pt 21). Les ententes secrètes ne sont pas les seules en cause. Certaines clauses contractuelles révèlent des répartitions de territoires entre concurrents, comme une clause de non-concurrence insérée dans un contrat de cession de contrôle (CJUE, 13 décembre 2017, C-487/16P, Telefonica, pts 62 et 63).

Les restrictions de concurrence verticales résultent d’un diagnostic de nocivité dégagé très tôt par la Cour de justice : « la protection territoriale absolue » établie par un contrat de concession (CJCE, 13 juillet 1966, 58/64, Gründig et Consten). La concurrence peut être affectée par des opérateurs à des stades économiques différents et ainsi par des contrats de distribution. En l’espèce, le contrat visait à isoler le marché français dans la distribution de produits de la marque Gründig en recréant les barrières entre Etats que le traité avait supprimées. Ces produits étaient par là-même soustraits à une concurrence efficace et étaient directement contraires à la construction d’un grand marché intérieur. Néanmoins, il convient de relever l’importance de l’adjectif « absolu » qui laisse entendre qu’un certain degré de protection territoriale peut être admis.

C’est tout l’intérêt des règlements successifs d’exemption relatifs aux restrictions verticales d’avoir introduit une exception dans la qualification de restriction caractérisée à l’égard des restrictions actives de territoire exclusif, dès lors que ces restrictions ne limitent pas les ventes de la part des clients à l’acheteur (même énoncé de l’article 4, b-i) des règlements n°2790/1999, puis du règlement n°330/2010). Une distinction est donc faite entre les restrictions de ventes actives, qui sont admises, et les restrictions des ventes passives, qui demeurent prohibées en tant que « protection territoriale absolue ». Le contrat de concession peut organiser une protection territoriale de chacun des concessionnaires par laquelle ils s’interdisent des démarches actives sur leurs territoires respectifs. En revanche, il ne saurait interdire à un concessionnaire de vendre à des consommateurs qu’il n’a pas sollicités, car les consommateurs ne peuvent pas être prisonniers d’un monopole, aussi petit soit-il.

Il en va de même pour les contrats de concession de licence. Une clause faisant obligation de ne pas fournir un dispositif de décodage permettant l’accès à l’extérieur du territoire couvert par le contrat de licence entrave la prestation transfrontalière de services de radiodiffusion et crée une exclusivité territoriale absolue (CJUE, 4 octobre 2011, C-403/08, Football Association Premier League, pt 142 ; voy. aussi mutatis mutandis CJUE, 9 décembre 2020, C-132/19P, Groupe Canal+, au stade d’une simple évaluation préliminaire ayant donné lieu à une décision d’engagement).

 

Pour aller plus loin

Si la protection territoriale absolue est fustigée, un certain degré de protection territoriale est admis. Tout dépend du choix de politique commerciale du producteur : veut-il neutraliser le risque de parasitisme commercial entre ses distributeurs ou veut-il privilégier la sélection de ses distributeurs en fonction de leur adéquation avec son produit ? Dans le premier cas, il a recours au contrat de concession territoriale qui confère au distributeur une sécurité l’incitant à investir dans la publicité et dans une offre de services additionnels. Il n’a plus à craindre des comportements opportunistes des autres distributeurs. Dans le second cas, le contrat de distribution sélective convient mieux au producteur. Dès lors qu’il s’est détourné du contrat de concession, toute protection territoriale perd alors sa raison d’être. Dans un contrat de distribution sélective est donc qualifiée de restriction caractérisée la prohibition des ventes actives comme celle des ventes passives (article 4, b) des règlements n°2790/1999, puis du règlement n°330/2010).

Le prochain règlement d’exemption relatif aux restrictions verticales conforte cette disparité de traitement de la protection territoriale selon la raison d’être du contrat de distribution selon le choix de politique commerciale du fournisseur. Son article 4, dont la lisibilité est renforcée, apporte cependant certaines nuances. Dans l’hypothèse d’une juxtaposition géographique d’un réseau de distribution exclusive et d’un réseau de distribution sélective, le distributeur exclusif peut se voir imposer à la fois des restrictions de ventes actives et passives à l’égard de distributeurs non agréés situés sur le territoire du réseau de distribution sélective. La deuxième précision concerne l’hypothèse du choix de ne retenir ni un contrat de distribution exclusive, ni un contrat de distribution sélective. A priori, aucune protection territoriale ne devrait être accordée. Cependant, un certain degré de protection territoriale est admis a minima : la restriction des ventes actives de l’acheteur et de ses clients est admise sur un territoire que s’est réservé le fournisseur ou qu’il a alloué à un nombre limité d’acheteurs. Pour faire respecter cette protection territoriale a minima, le distributeur agréé sur un autre territoire pourra se voir imposer une restriction de ses ventes actives.

Le règlement n°330/2010 n’avait pas expressément mentionné le commerce en ligne. Seules les lignes directrices l’accompagnant avaient des indications pour appliquer les qualifications de restrictions de ventes actives et passives à diverses interdictions de vendre en ligne : la vente sur un site était considérée comme une vente passive (pt 52) tandis que divers moyens de publicité ou de ciblage, tels que les mails et les bandeaux, étaient des ventes actives (pt 53). Dans le futur règlement, les définitions précises des ventes actives et passives figurent désormais dans l’article 1er. A la différence des lignes directrices de 2010, il convient d’y relever que l’offre de différentes versions linguistiques sur un site sera désormais considérée comme une vente active, de même qu’un site avec un nom de domaine correspondant à un territoire autre que celui où le distributeur est établi. S’agissant de la distribution sélective, la Cour de justice avait considéré non seulement que certaines exigences de qualité relatives à la vente en ligne pouvaient être considérées comme disproportionnées au regard de la protection nécessaire de produits vendus et donc contraires au paragraphe 1 de l’article 101 TFUE, mais encore qu’elles pouvaient être retenues comme des restrictions de ventes passives au sens du règlement d’exemption (CJUE, 13 octobre 2011, C-439/09, Pierre Fabre ; tel n’est pas le cas de l’interdiction de vendre sur une plateforme tierce, CJUE, 6 décembre 2017, C-230/16, Coty Germany).

Le modèle de traitement des restrictions de ventes actives et passives dans les contrats de distribution exclusive est adapté de manière très fine aux contrats de concession de licence dans l’article 4 du règlement n°316/2014 relatif aux accords de transfert de technologie. Sont à cet égard déterminantes la sous-distinction entre accords entre non-concurrents et accords entre concurrents et, à l’intérieur de cette dernière catégorie, celle entre accords réciproques et accords non-réciproques.

 

Bibliographie

Règlement (UE) no 316/2014 de la Commission du 21 mars 2014 relatif à l’application de l’article 101, paragraphe 3, du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne à des catégories d’accords de transfert de technologie, JOUE no L 93 du 28 mars 2014, p. 17

Règlement (UE) no 330/2010 de la Commission du 20 avril 2010 concernant l’application de l’article 101, paragraphe 3, du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne à des catégories d’accords verticaux et de pratiques concertées, JOUE no L 102 du 23 avril 2010, p. 1

Communication de la Commission, Lignes directrices relatives à la notion d’affectation du commerce figurant aux articles 81 et 82 du traité, JOUE no C 101 du 27 avril 2004, p. 81

Règlement (CE) no 2790/1999 de la Commission, du 22 décembre 1999, concernant l’application de l’article 81, paragraphe 3, du traité à des catégories d’accords verticaux et de pratiques concertées, JOCE no L 336 du 29 décembre 1999, p. 21

BLAISE (J.-B.) et CHONE-GRIMALDI (A.-S), Droit des affaires de l’Union européenne, Paris, PUF, 2017

COMBE (E.), Économie et politique de la concurrence, 2e éd., Paris, Dalloz, 2020

PETIT (N.), Droit européen de la concurrence, 3e éd., Paris-La Défense, LGDJ, 2020

Auteur

  • University of Paris I Panthéon-Sorbonne

Citation

Catherine Prieto, Protection territoriale absolue, Dictionnaire de droit de la concurrence, Concurrences, Art. N° 12347

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Éditeur Concurrences

Date 1er février 2023

Nombre de pages 842

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Définition institution

Pratique exercée par des producteurs ou des fournisseurs concernant la revente de leurs produits et entraînant un cloisonnement des marchés ou des territoires. Dans le cas d’une protection territoriale absolue, le producteur n’autorise qu’un seul distributeur à commercialiser son produit dans un territoire donné, toute vente active ou passive dans ce territoire étant interdite aux autres distributeurs. Commission européenne

Voir aussi Restrictions caractérisée(s) et Exemption par catégorie

 
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