Ce droit à une protection juridictionnelle effective prend une signification particulière en droit des pratiques anticoncurrentielles, observation étant faite que cette matière a été un terrain d’intervention privilégié de la CJUE (ainsi que du Tribunal) duquel peuvent être extraits aussi bien le sens que la portée de ce droit. Et parce que le message s’adresse aussi bien aux institutions de l’Union qu’à celles des États membres (ne serait-ce qu’en raison de l’application décentralisée de ce droit des pratiques anticoncurrentielles depuis l’entrée en vigueur du règlement (CE) no 1/2003), il est à souligner que, par exemple, l’examen de la jurisprudence de la Cour de cassation française permet de constater que le juge interne s’aligne sur certains des standards forgés au niveau européen (Cass. crim., 13 juin 2019, no 18-80.678 ; Cass. com., 4 octobre 2017, no 14-28.234 e.a. ; Cass. com., 19 janvier 2016, nos 14-21.670 et 14-21.671). Le Tribunal de l’Union l’a encore très nettement rappelé dans un arrêt important intéressant la Pologne : « [L]e droit fondamental à un procès équitable devant un tribunal indépendant garanti par l’article 47, deuxième alinéa, de la Charte revêt également une importance tout aussi particulière pour l’application efficace des articles 101 et 102 TFUE. En effet, les juridictions nationales sont appelées, d’une part, à contrôler la légalité des décisions des autorités de concurrence nationales et, d’autre part, à appliquer directement les articles 101 et 102 TFUE. La Cour a déjà souligné à cet égard qu’il incombait aux États membres, en vertu de l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE, d’établir les voies de recours nécessaires pour assurer aux justiciables le respect de leur droit à une protection juridictionnelle effective dans les domaines couverts par le droit de l’Union, y compris dans le domaine du droit de la concurrence » (Trib. UE, 9 février 2022, Sped-Pro SA, aff. T-791/19, pt 91).
Cette construction d’une protection juridictionnelle effective des individus (et, en droit des pratiques anticoncurrentielles, des entreprises, qu’elles soient auteurs ou victimes de ces pratiques) est donc avant tout d’origine jurisprudentielle et s’appuient sur deux normes fondamentales de protection des droits de l’Homme : d’une part, l’article 6 de la Conv. EDH, d’autre part, l’article 47 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne.
Il est alors possible d’illustrer le sens et la portée de la protection juridictionnelle effective des entreprises dans le cadre du droit des pratiques anticoncurrentielles.
C’est, tout, d’abord l’existence même d’un contrôle juridictionnel qui est posée. Ainsi, le juge européen a-t-il pu affirmer que « l’exigence d’un contrôle juridictionnel effectif de toute décision de la Commission constatant et réprimant une infraction aux règles de la concurrence constitue un principe général de droit de l’Union qui découle des traditions constitutionnelles communes aux États membres. Ce principe est désormais inscrit à l’article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne » (Trib. UE, 27 mars 2014, Saint-Gobain, T-56/09 et T-73/09).
Et de soumettre ce juge à diverses exigences qui en découlent :
– la juridiction doit être indépendante et impartiale, condition de la protection juridictionnelle due aux justiciables, dans les recours nécessitant un examen approfondi de faits complexes.
– Le contrôle opéré par le juge est un contrôle de légalité, ce qui signifie qu’il appartient au juge d’examiner tous les moyens susceptibles d’être invoqués par la personne physique ou morale concernée au soutien de sa demande d’annulation de la décision de l’autorité et ainsi apprécier le bien-fondé en droit comme en fait de l’accusation portée par l’autorité dans le domaine de la concurrence.
– Le contrôle de légalité est complété par un contrôle de pleine juridiction, ce qui conduit le cas échéant le juge à substituer son appréciation à celle de l’autorité et, par voie de conséquence, à supprimer, à réduire ou à majorer la sanction pécuniaire ou l’astreinte infligée par cette autorité. Cependant, il n’est pas contraire au principe de protection juridictionnelle effective que le contrôle de légalité exercé par le juge de l’Union soit limité par les demandes des parties telles que formulées dans les conclusions de leurs écrits de procédure. Ainsi, l’absence de contrôle d’office de l’ensemble de la décision attaquée ne viole pas le principe de protection juridictionnelle effective (CJUE, 8 déc. 2011, Chalkor c.Commission, C‑386/10 P ; CJUE (Gde Ch.), 14 nov. 2017, British Airways plc, C-122/16 P).
Au-delà de ces affirmations générales tenant au recours lui-même, la Cour de justice a été amenée à compléter son approche en consacrant diverses exigences dont le respect participe de cette protection juridictionnelle effective. Par exemple, et s’agissant de cette protection juridictionnelle effective due par le juge national, la Cour a retenu le nécessaire respect des principes d’équivalence et d’effectivité qui ont pu être mis en lumière à propos de la prescription d’une action indemnitaire dite de follow on (avant l’harmonisation intervenue à la faveur de la transposition de la directive 2014/104/UE du 26 novembre 2014 relative à certaines règles régissant les actions en dommages et intérêts en droit national pour les infractions aux dispositions du droit de la concurrence des États membres et de l’Union européenne, JOUE L 349 du 5 déc. 2014) dans une affaire Cogeco (CJUE, 28 mars 2019, Gogeco, C-637/17). Par ailleurs, l’octroi de mesures provisoires et conservatoires, le délai raisonnable ou encore, mais cela est très discuté, un recours direct et immédiat (sur cette question, cf. les évolution issues de la loi n° 2016-1547 du 18 nov. 2016 qui attribue à la cour d’appel de Paris les recours intentés contre les décisions du rapporteur général de l’Autorité de la concurrence refusant la protection du secret des affaires ou accordant la levée de ce secret) sont régulièrement avancés sur le terrain de cette protection juridictionnelle effective… Avec des succès divers, faut-il le souligner !