Protection juridictionnelle effective

 

Définition auteur

 

Premier aperçu

Le droit à une protection juridictionnelle effective n’est pas propre au droit de la concurrence, que l’on envisage le droit de l’Union ou le droit des États membres. Il se présente de manière générale comme la traduction de ce que l’on a longtemps appelé la « Communauté de droit » (certains parleront désormais de l’« État de droit ») et se manifeste alors par l’affirmation du principe fondamental du « droit au juge » pour les individus. Ce droit des justiciables d’accéder à un tribunal se veut éminemment concret et couvre un vaste domaine, englobant des aspects assez divers comme l’égalité des justiciables face à l’accès au tribunal, leur protection provisoire, le respect du contradictoire et/ou l’égalité des armes et, même, l’exécution effective des décisions de justice… Cela précisé, il est nécessaire de souligner que ce « droit au juge », compris comme un « accès au juge », s’envisage non seulement comme un accès au juge de l’Union (Cour de justice de l’Union européenne et Tribunal), mais aussi comme un accès au juge des États membres, chaque fois avec la volonté de garantir la défense des droits qu’un justiciable tire de l’ordre juridique de l’Union européenne (cf. en ce sens l’arrêt de référence, CJCE, 13 mars 2007, Unibet, aff. C-432/05).

 

Pour aller plus loin

Ce droit à une protection juridictionnelle effective prend une signification particulière en droit des pratiques anticoncurrentielles, observation étant faite que cette matière a été un terrain d’intervention privilégié de la CJUE (ainsi que du Tribunal) duquel peuvent être extraits aussi bien le sens que la portée de ce droit. Et parce que le message s’adresse aussi bien aux institutions de l’Union qu’à celles des États membres (ne serait-ce qu’en raison de l’application décentralisée de ce droit des pratiques anticoncurrentielles depuis l’entrée en vigueur du règlement (CE) no 1/2003), il est à souligner que, par exemple, l’examen de la jurisprudence de la Cour de cassation française permet de constater que le juge interne s’aligne sur certains des standards forgés au niveau européen (Cass. crim., 13 juin 2019, no 18-80.678 ; Cass. com., 4 octobre 2017, no 14-28.234 e.a. ; Cass. com., 19 janvier 2016, nos 14-21.670 et 14-21.671). Le Tribunal de l’Union l’a encore très nettement rappelé dans un arrêt important intéressant la Pologne : «  [L]e droit fondamental à un procès équitable devant un tribunal indépendant garanti par l’article 47, deuxième alinéa, de la Charte revêt également une importance tout aussi particulière pour l’application efficace des articles 101 et 102 TFUE. En effet, les juridictions nationales sont appelées, d’une part, à contrôler la légalité des décisions des autorités de concurrence nationales et, d’autre part, à appliquer directement les articles 101 et 102 TFUE. La Cour a déjà souligné à cet égard qu’il incombait aux États membres, en vertu de l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE, d’établir les voies de recours nécessaires pour assurer aux justiciables le respect de leur droit à une protection juridictionnelle effective dans les domaines couverts par le droit de l’Union, y compris dans le domaine du droit de la concurrence  » (Trib. UE, 9 février 2022, Sped-Pro SA, aff. T-791/19, pt 91).

Cette construction d’une protection juridictionnelle effective des individus (et, en droit des pratiques anticoncurrentielles, des entreprises, qu’elles soient auteurs ou victimes de ces pratiques) est donc avant tout d’origine jurisprudentielle et s’appuient sur deux normes fondamentales de protection des droits de l’Homme : d’une part, l’article 6 de la Conv. EDH, d’autre part, l’article 47 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne.

Il est alors possible d’illustrer le sens et la portée de la protection juridictionnelle effective des entreprises dans le cadre du droit des pratiques anticoncurrentielles.

C’est, tout, d’abord l’existence même d’un contrôle juridictionnel qui est posée. Ainsi, le juge européen a-t-il pu affirmer que « l’exigence d’un contrôle juridictionnel effectif de toute décision de la Commission constatant et réprimant une infraction aux règles de la concurrence constitue un principe général de droit de l’Union qui découle des traditions constitutionnelles communes aux États membres. Ce principe est désormais inscrit à l’article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne  » (Trib. UE, 27 mars 2014, Saint-Gobain, T-56/09 et T-73/09).

Et de soumettre ce juge à diverses exigences qui en découlent :

  la juridiction doit être indépendante et impartiale, condition de la protection juridictionnelle due aux justiciables, dans les recours nécessitant un examen approfondi de faits complexes.

  Le contrôle opéré par le juge est un contrôle de légalité, ce qui signifie qu’il appartient au juge d’examiner tous les moyens susceptibles d’être invoqués par la personne physique ou morale concernée au soutien de sa demande d’annulation de la décision de l’autorité et ainsi apprécier le bien-fondé en droit comme en fait de l’accusation portée par l’autorité dans le domaine de la concurrence.

  Le contrôle de légalité est complété par un contrôle de pleine juridiction, ce qui conduit le cas échéant le juge à substituer son appréciation à celle de l’autorité et, par voie de conséquence, à supprimer, à réduire ou à majorer la sanction pécuniaire ou l’astreinte infligée par cette autorité. Cependant, il n’est pas contraire au principe de protection juridictionnelle effective que le contrôle de légalité exercé par le juge de l’Union soit limité par les demandes des parties telles que formulées dans les conclusions de leurs écrits de procédure. Ainsi, l’absence de contrôle d’office de l’ensemble de la décision attaquée ne viole pas le principe de protection juridictionnelle effective (CJUE, 8 déc. 2011, Chalkor c.Commission, C‑386/10 P ; CJUE (Gde Ch.), 14 nov. 2017, British Airways plc, C-122/16 P).

Au-delà de ces affirmations générales tenant au recours lui-même, la Cour de justice a été amenée à compléter son approche en consacrant diverses exigences dont le respect participe de cette protection juridictionnelle effective. Par exemple, et s’agissant de cette protection juridictionnelle effective due par le juge national, la Cour a retenu le nécessaire respect des principes d’équivalence et d’effectivité qui ont pu être mis en lumière à propos de la prescription d’une action indemnitaire dite de follow on (avant l’harmonisation intervenue à la faveur de la transposition de la directive 2014/104/UE du 26 novembre 2014 relative à certaines règles régissant les actions en dommages et intérêts en droit national pour les infractions aux dispositions du droit de la concurrence des États membres et de l’Union européenne, JOUE L 349 du 5 déc. 2014) dans une affaire Cogeco (CJUE, 28 mars 2019, Gogeco, C-637/17). Par ailleurs, l’octroi de mesures provisoires et conservatoires, le délai raisonnable ou encore, mais cela est très discuté, un recours direct et immédiat (sur cette question, cf. les évolution issues de la loi n° 2016-1547 du 18 nov. 2016 qui attribue à la cour d’appel de Paris les recours intentés contre les décisions du rapporteur général de l’Autorité de la concurrence refusant la protection du secret des affaires ou accordant la levée de ce secret) sont régulièrement avancés sur le terrain de cette protection juridictionnelle effective… Avec des succès divers, faut-il le souligner !

 

Jurisprudences pertinentes

Union européenne

CJUE, 28 mars 2019, Cogeco, aff. C-637/17, EU:C:2019:263

CJUE, 14 novembre 2017, British Airways plc, aff. C-122/16 P, EU:C:2017:861

CJUE, 8 décembre 2011, Chalkor c/ Commission, aff. C‑386/10 P, EU:C:2011:815

CJCE, 21 février 2008, Tele2 Telecommunication GmbH, aff. C-426/05, EU:C:2008:103

CJCE, 13 mars 2007, Unibet, aff. C-432/05, EU:C:2007:163

Trib. UE, 9 février 2022, Sped-Pro SA, aff. T-791/19, EU:T:2022:67

Trib. UE, 27 mars 2014, Saint-Gobain, aff. jtes T-56/09 et T-73/09, EU:T:2014:160

France Cass. crim., 13 juin 2019, no 18-80.678

Cass. com., 4 octobre 2017, nos 14-28.234, 14-29.273, 14-29.354, 14-29.482, 14-29.491, 14-29.509, 14-29.542, 14-50.076

Cass. com., 19 janvier 2016, nos 14-21.670 et 14-21.671

 

Bibliographie

S. Payet, Le droit à une protection juridictionnelle effective en droit de l’Union Européenne, Thèse, 2012, Université de la Réunion

G. Muguet-Poullenec, D. Domeniccuci, E. Hoseinian, Sanctions prévues par le règlement n° 1/2003 et droit à une protection juridictionnelle effective : les leçcons des arrêts KME et Chalkor de la CJUE, RLC 32/2012, pp. 57s.

L. Fromont et A. Van Waeyenberge, La protection juridictionnelle effective en Europe ou l’histoire d’une procession d’Echternach, CDE 2015/1, pp. 113s.

Auteur

  • Jean Moulin University Lyon III

Citation

Cyril Nourissat, Protection juridictionnelle effective, Dictionnaire de droit de la concurrence, Concurrences, Art. N° 86021

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Éditeur Concurrences

Date 1er février 2023

Nombre de pages 842

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Définition institution

Concernant la protection juridictionnelle, le Tribunal a statué dans les affaires T‑56/09 et T‑73/09 Saint-Gobain Glass France SA e.a. contre Commission européenne dans un arrêt du 27 mars 2014 :

« Le contrôle juridictionnel opéré par le Tribunal à l’égard de décisions par lesquelles la Commission inflige des sanctions en cas d’infraction au droit de la concurrence de l’Union répond à l’exigence d’un contrôle juridictionnel effectif au sens de l’article 6 de la convention européenne des droits de l’homme (CEDH) et au sens de l’article 47, deuxième alinéa, de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne.

Tout d’abord, le droit de l’Union confère à la Commission une mission de surveillance qui comprend la tâche de poursuivre les infractions à l’article 101, paragraphe 1 TFUE (ex article 81, paragraphe 1, CE) et à l’article 102 TFUE (ex article 82 CE), la Commission étant tenue, dans le cadre de cette procédure administrative, de respecter les garanties procédurales prévues par le droit de l’Union. Le règlement nº 1/2003 l’investit, en outre, du pouvoir d’infliger, par voie de décision, des sanctions pécuniaires aux entreprises et aux associations d’entreprises qui ont commis, de façon délibérée ou par négligence, une infraction à ces dispositions.

Par ailleurs, l’exigence d’un contrôle juridictionnel effectif de toute décision de la Commission constatant et réprimant une infraction aux règles de la concurrence constitue un principe général de droit de l’Union qui découle des traditions constitutionnelles communes aux États membres. Ce principe est désormais inscrit à l’article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne.

Or, le contrôle juridictionnel des décisions adoptées par la Commission en vue de sanctionner des infractions au droit de la concurrence, organisé par les traités et complété par le règlement nº 1/2003, est conforme à ce principe.

En premier lieu, le Tribunal est une juridiction indépendante et impartiale, qui a été institué notamment afin d’améliorer la protection juridictionnelle des justiciables dans les recours nécessitant un examen approfondi de faits complexes.

En deuxième lieu, le contrôle de la légalité, dans le cadre des recours fondés sur l’article 263 TUE (ex-article 230 CE), d’une décision de la Commission constatant une infraction aux règles de la concurrence et infligeant à ce titre une amende, doit être considéré comme un contrôle juridictionnel effectif de l’acte en cause. En effet, les moyens susceptibles d’être invoqués par la personne physique ou morale concernée au soutien de sa demande d’annulation sont de nature à permettre au Tribunal d’apprécier le bien-fondé en droit comme en fait de toute accusation portée par la Commission dans le domaine de la concurrence.

En troisième lieu, conformément à l’article 31 du règlement nº 1/2003, le contrôle de légalité prévu à l’article 263 TUE (ex-article 230 CE) est complété par un contrôle de pleine juridiction, lequel habilite le juge, au-delà du contrôle de la légalité de la sanction, à substituer son appréciation à celle de la Commission et, en conséquence, à supprimer, à réduire ou à majorer l’amende ou l’astreinte infligée. » © Tribunal de l’Union Européenne

 
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