Protection du secret professionnel

 

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Premier aperçu

S’il existe plusieurs formes de secret professionnel, tel celui de l’avocat, des professions médicales ou des agents publics, le droit de la concurrence a développé un régime particulier pour protéger celui de l’avocat, tant en droit interne que de l’Union européenne.

Ce régime est fondé, en droit interne, sur l’article 66-5 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1973 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques et, en droit de l’Union européenne, sur le respect des droits de la défense ainsi que posé par l’arrêt AM & S Europe de la Cour de justice de l’Union européenne (ci-après la « Cour ») (18 mai 1982, aff. 155/79, para. 21 à 24).

Il résulte dudit régime que :

 Seul un avocat indépendant, à savoir inscrit à un Barreau, et non un juriste d’entreprise, bénéficie de la protection du secret professionnel de l’avocat ; et

 L’Autorité de la concurrence (ci-après l’« Autorité »), la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (ci-après la « DGCCRF ») et la Commission européenne (ci-après la « Commission ») ne peuvent ni faire état de documents protégés par ce secret, ni en prendre connaissance, sauf de manière superficielle pour les reconnaître comme tels.

Art. 66-5, al. 1er, de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1973 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques :

« En toutes matières, que ce soit dans le domaine du conseil ou dans celui de la défense, les consultations adressées par un avocat à son client ou destinées à celui-ci, les correspondances échangées entre le client et son avocat, entre l’avocat et ses confrères à l’exception pour ces dernières de celles portant la mention « officielle », les notes d’entretien et, plus généralement, toutes les pièces du dossier sont couvertes par le secret professionnel. »

CJCE, 18 mai 1982, AM & S Europe, aff. 155/79 :

« 21 Au-delà de ces diversités, les droits internes des États membres révèlent cependant l’existence de critères communs en ce qu’ils protègent, dans des conditions similaires, la confidentialité de la correspondance entre avocats et clients, pour autant, d’une part, qu’il s’agisse de correspondance échangée dans le cadre et aux fins du droit de la défense du client et, d’autre part, qu’elle émane d’avocats indépendants, c’est-à-dire d’avocats non liés au client par un rapport d’emploi.

22 Placé dans un tel contexte, le règlement n° 17/62 [abrogé et remplacé par le règlement (CE) n° 1/2003] doit être interprété comme protégeant lui aussi la confidentialité de la correspondance entre avocats et clients dans les limites de ces deux conditions, en reprenant ainsi les éléments constitutifs de cette protection communs aux droits des États membres ».

 

Pour aller plus loin

En liant la protection du secret professionnel de l’avocat au respect des droits de la défense (AM & S Europe, préc., para. 21), la Cour donne pour base légale à ce secret le droit primaire (Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, art. 48, para. 2 combiné avec traité sur l’Union européenne, art. 6, para. 1er). En revanche, le Conseil constitutionnel a refusé de reconnaître l’existence d’un tel lien et ainsi de consacrer la valeur constitutionnelle de ce secret (Cons. const., 24 juillet 2015, n° 2015-478 QPC, para. 16).

Le droit de l’Union européenne limite le champ d’application du secret professionnel de l’avocat à l’exercice d’une défense à raison de son lien avec les droits de la défense (AM & S Europe, préc., para. 23). Si la loi française prévoit son application dans le domaine la défense comme du conseil (loi du 31 décembre 1973, préc., art. 66-5, al. 1er), la Cour de cassation en a restreint le champ d’application en matière d’opérations de visite et saisie de l’Autorité ou de la DGCCRF au seul exercice des droits de la défense (Cass. crim., 25 novembre 2020, n° 19-84.304 – Cass. crim., 4 mars 2020, n° 18-84.071), lequel doit s’entendre comme l’exercice de ces droits d’une manière générale et non comme ceux dans le seul dossier concerné par l’opération de visite et saisie (Cass. crim., 20 janvier 2021, n° 19-84.292).

Outre les communications entre un Conseil et son client, le droit de l’Union européenne étend le bénéfice du secret professionnel de l’avocat aux documents du client reproduisant ces communications (TPICE, ord., 4 avril 1990, Hilti, aff. T-30/89, para. 16 à 18) et à ceux préliminaires établis afin de demander son avis à un avocat pour l’exercice d’une défense (TUE, 17 septembre 2007, Akzo Nobel, aff. jointes T-125/03 and T-253/03, para. 122 et 123 – confirmé par CJUE, 14 septembre 2010, Akzo Nobel, aff. C-550/07 P, para. 40 et 41).

Jusqu’à il y a peu, le droit interne limitait le bénéfice de ce secret aux communications entre un Conseil et son client ainsi qu’aux notes du client prises lors d’une réunion avec un avocat (Cons. conc., n° 07-D-49, 19 décembre 2007, para. 157 à 159 – Aut. conc., n° 16-D-24, 8 novembre 2016, para. 318).

En 2022, la Cour de cassation (s’inspirant sans doute du droit de l’Union européenne) a étendu le champ du secret professionnel aux documents émanant du client, n’étant pas adressés à son avocat et reprenant la stratégie de défense mise en place par ce dernier pour le premier lorsque cette stratégie constitue l’objet essentiel dudit document (Cass. crim., 26 janvier 2022, n° 17-87.359, para. 19 à 21).

Cette extension heureuse doit être rapprochée d’un arrêt de la même chambre de la Haute Juridiction rendu la même année dans une affaire de stupéfiants lequel apporte une restriction importante au secret professionnel de l’avocat. Cette décision a en effet validé un procès-verbal rapportant une conversation téléphonique entre un avocat et la compagne de son client au motif que cette dernière n’ayant alors pas été placée en garde à vue et n’étant pas partie à la procédure, cette conversation ne saurait relever de l’exercice des droits de la défense (Cass. crim., 13 septembre 2022, n° 21-87.452, para. 9).

La transposition de cet arrêt au droit de la concurrence, laquelle ne peut être exclue, repousserait ainsi l’application du secret professionnel de l’avocat et plus généralement l’exercice des droits de la défense aux premières mesures d’enquête coercitives de l’Autorité ou la DGCCRF, telles qu’une visite et saisine.

Lors d’une enquête de concurrence, le droit interne habilite l’Autorité ou la DGCCRF à saisir en bloc les messageries électroniques afin de préserver leur intégrité. Il leur revient ensuite, hors de la présence de l’entreprise visitée ou de son Conseil, d’en extraire les documents protégés par le secret professionnel de l’avocat et de les restituer. Il revient également à tout intéressé de solliciter une telle restitution du juge compétent (Cass. crim., 30 novembre 2011, n° 10-81.748, Bull. crim. n° 242 – Cass. crim., 20 décembre 2017, n° 16-83.469).

Cet état du droit interne n’a pas soulevé d’objection de la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH, 21 mars 2017, Janssen Cilag SAS c. France, n° 33931/12). Pourtant, l’entreprise visitée ou son Conseil ne pouvant assister à l’extraction des documents protégés par ce secret des messageries saisies, il ne peut dans ces conditions s’assurer que l’Autorité ou la DGCCRG n’en prenne pas connaissance.

A l’opposé, si la Commission pratique également la saisie en bloc des messageries électroniques, ses agents placent le support sur lequel est reproduite la messagerie saisie dans une enveloppe scellée et invite l’entreprise inspectée ou son Conseil à assister à l’ouverture de cette enveloppe et à l’extraction des documents protégés par le secret professionnel de l’avocat (Commissions, note explicative concernant les inspections menées par la Commission, 11 septembre 2015, para. 14).

En cas de controverse sur la nature protégée d’un document, l’entreprise peut saisir le Conseiller-Auditeur afin de faciliter le règlement de cette question (décision 2011/695/UE du 13 octobre 2011 relative à la fonction et au mandat du Conseiller-Auditeur dans certaines procédures de concurrence, art. 4, para. 2, pt. a).

Enfin, le secret professionnel de l’avocats n’interdit pas de procéder à une enquête de concurrence dans un cabinet d’avocats pour autant que ce secret soit bien respecté durant cette enquête (Cons. const., 5 août 2015, Loi pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques, n° 2015-715 DC, para. 63).

 

Bibliographie

Muriel Chagny (éd.), Le Lamy droit économique, éd. Wolters Kluwer, coll. « Lamy expert », 2020

Dominique Loyer-Bouez (éd.), Memento concurrence consommation, éd. Francis Lefebvre, coll. « Mémento pratique Francis Lefebvre », 2020, p. 1506

Alain Ronzano, L’actu concurrence, 2 février 2021, n° 11/2021

Alain Ronzano, L’actu concurrence, 21 décembre 2020, n° 151/2020

Alain Ronzano, L’actu concurrence, 12 mars 2020, n° 28/2020

Alain Ronzano, L’actu concurrence, 2 mars 2018, n° 21/2018

Auteur

  • Delcade Avocats & Solicitors (Paris)

Citation

Jeremy Bernard, Protection du secret professionnel, Dictionnaire de droit de la concurrence, Concurrences, Art. N° 86708

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Éditeur Concurrences

Date 1er février 2023

Nombre de pages 842

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Définition institution

Dans l’arrêt Akzo, la Cour de Justice de l’Union européenne définit ainsi le principe de protection de la confidentialité des communications entre avocats et clients : « Cette confidentialité répond en effet à l’exigence, dont l’importance est reconnue dans l’ensemble des États membres, que tout justiciable doit avoir la possibilité de s’adresser en toute liberté à son avocat, dont la profession même comporte la tâche de donner, de façon indépendante, des avis juridiques à tous ceux qui en ont besoin. (...) Cette protection, premièrement, vise à garantir l’intérêt public d’une bonne administration de la justice consistant à assurer que tout client a la liberté de s’adresser à son avocat sans craindre que les confidences dont il ferait état puissent être ultérieurement divulguées. Deuxièmement, elle a pour objectif d’éviter les préjudices que la prise de connaissance par la Commission du contenu d’un document confidentiel et l’incorporation irrégulière de celui-ci au dossier de l’enquête peuvent causer aux droits de la défense de l’entreprise concernée. » © Court de Justice de l’Union européenne

 
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