Ce mouvement naissant de responsabilisation des Etats et des grandes entreprises vis-à-vis de la protection de l’environnement, initié par les législateurs, est de plus en plus relayé par les juges, qui aujourd’hui vont jusqu’à enjoindre aux gouvernements de démontrer dans quelle mesure leurs propositions de trajectoires de réduction des émission de gaz à effet de serre (« GES ») (avec des mouvements de réduction et d’accélération) est réalisable et suffisamment efficace pour respecter les objectifs définis au niveau international (voir notamment les affaires Urgenda aux Pays-Bas, Grande Synthe en France). Demain, les Etats pourraient être régulièrement condamnés pour leur inaction climatique et contraints de prendre des mesures supplémentaires pour lutter concrètement et efficacement contre la crise climatique. C’est le cas dans l’affaire du Siècle où, pour la première fois, l’Etat français est reconnu responsable de manquements dans la lutte contre le réchauffement climatique.
Désormais, les juges tirent une force obligatoire et contraignante de différentes normes nationales, interprétées à l’aune des engagements internationaux et des objectifs qu’ils fixent aux Etats signataires… bien loin d’un droit « mou » laissant ces textes pour lettres mortes.
S’il est impossible d’en dresser ici une liste exhaustive, voici quelques une des références incontournables de ce doit naissant et déjà foisonnant.
Au niveau international, la convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques (« CCNUCC ») du 9 mai 1992, et plus spécifiquement l’accord de Paris du 12 décembre 2015, premier accord mondial juridiquement contraignant sur le changement climatique, posent l’objectif de limiter le réchauffement climatique à un niveau bien inférieur à 2°C, de préférence à 1,5°C, par rapport au niveau préindustriel et déterminent la contribution nationale de chaque Etat pour atteindre cet objectif de température. Pour le concrétiser, les pays signataires soumettent, par cycle de 5 ans, leurs plans d’action climatique, comportant les mesures prises pour réduire les émission de gaz à effet de serre (« GES ») afin de parvenir à un monde climatiquement neutre d’ici 2050. Ces mesures étatiques doivent dès lors être lues à la lumière des objectifs portés par l’accord de Paris. Au niveau européen, les articles 2 et 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales sont régulièrement invoqués pour engager la responsabilité des Etats membres, notamment quant à leur contribution nationale à la réduction des émissions de GES.
Dans le prolongement de la décision 94/69/CE du Conseil du 15 décembre 1993 concernant la conclusion de la CCNUCC et afin de mettre en œuvre ses engagements pris au titre de l’accord de Paris, l’Union européenne a adopté deux Paquets Energie Climat, respectivement pour 2020 et 2030, ou Pacte vert pour l’Europe.
Ainsi, le règlement (UE) 2018/842 du 30 mai 2018 relatif aux réductions annuelles contraignantes des émissions de GES par les Etats membres de 2021 à 2030 contribuant à l’action pour le climat afin de respecter les engagements pris dans le cadre de l’accord de Paris fixe, pour chaque Etat membre, leurs contributions minimales et a ainsi assigné à la France une obligation de réduction de ses émissions de – 37% en 2030 par rapport à leur niveau de 2005.
Au niveau national, l’article L. 100-4 du code de l’énergie, issu de la loi du 8 novembre 2019 relative à l’énergie et au climat, assigne à la France un objectif encore plus fort de réduction des émissions de GES de 40% entre 1990 et 2030 ; la trajectoire pour atteindre cet objectif est précisée dans les budgets carbone de l’article L. 222-1 A du code de l’environnement, fixés par décret par période de cinq ans et répartis par grands secteurs d’activité conformément à la « stratégie bas-carbone » de l’article L. 222-1 B du code de l’environnement.
Face à la pression citoyenne pour des engagements étatiques réellement contraignants, au-delà des intentions inscrites dans la Constitution et la Charte de l’environnement, un projet de loi constitutionnelle complétant l’article 1er de la Constitution et relatif à la préservation de l’environnement a été adopté par l’Assemblée nationale le 11 mars 2021 afin d’inscrire dans la Constitution que la France « garantit la préservation de l’environnement et de la diversité biologique et lutte contre le dérèglement climatique » ; ce texte doit encore être débattu par le Sénat en mai 2021.
Notons enfin que cet élan de judiciarisation des obligations climatiques est également soutenu par le législateur. Ainsi, la loi n°2020-1672 du 24 décembre 2020 relative au parquet européen, à la justice environnementale et à la justice pénale spécialisée, instaure, dans le ressort de chaque cour d’appel, des juridictions spécialisées compétentes pour juger des délits environnementaux et infractions connexes et de manière plus générale des affaires environnementales en matière civile.