Protection contre l’auto-incrimination

 

Définition auteur

 

Premier aperçu

Le privilège contre l’auto-incrimination (nemo tenetur prodere seipsum) est le droit de garder le silence et de ne pas être contraint de produire des preuves à sa charge dans une procédure pénale. Bien que cela ne soit pas expressément stipulé dans la Convention européenne des droits de l’homme (ci-après la « Convention ») ou dans la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte »), la Cour européenne des droits de l’homme (ci-après la « CEDH ») a souligné à plusieurs reprises que ces droits sont des « normes internationales généralement reconnues qui sont au cœur de la notion de procès équitable consacrée par [l’article 6 de la Convention] » et que « [l]eur raison d’être tient notamment à la protection de l’accusé contre une coercition abusive de la part des autorités, ce qui évite les erreurs judiciaires et permet d’atteindre les buts de l’article 6 » (CEDH, 17 décembre 1996, Saunders c/ Royaume-Uni, n° 19187/91, pt 68).

 

Pour aller plus loin

En droit de la concurrence, l’applicabilité du privilège contre l’auto-incrimination a été invoquée pour la première fois devant la Cour de justice (ci-après la « Cour ») dans l’affaire Orkem (CJCE, 18 octobre 1989, Orkem c/ Commission, aff. C-374/87). Dans cette affaire, la Cour a examiné si les entreprises pouvaient refuser de répondre à certaines questions dans le cadre d’une demande de renseignements de la Commission dans une situation où elles s’auto-incrimineraient. Elle a constaté que le règlement n° 17 (remplacé par le règlement (CE) n° 1/2003) ne contient aucun droit exprès au silence et que la Commission est en droit de contraindre une entreprise à fournir toutes les informations nécessaires concernant les faits dont elle peut avoir connaissance. Toutefois, afin de sauvegarder les droits de la défense, principe fondamental de l’ordre juridique communautaire, la Cour a considéré qu’il était nécessaire de limiter les pouvoirs d’investigation de la Commission et a distingué deux catégories de questions : les questions autorisées (questions factuelles) et les questions non autorisées (questions à charge). Les questions factuelles sont des questions relatives à l’objet et à la mise en œuvre des mesures d’exécution de l’infraction de concurrence alléguée. L’exception à l’obligation de fournir des informations ne s’étend pas aux questions purement factuelles, à la lumière de l’obligation de coopération avec la Commission. Cette obligation comprend la production de tous les documents préexistants, ainsi, même si les documents en possession de l’entreprise peuvent être utilisés pour établir l’existence d’un comportement anticoncurrentiel, cela ne porte pas atteinte aux droits de la défense de l’entreprise concernée. Par conséquent, une entreprise ne peut pas refuser une demande de production de documents déjà existants, même si les informations qu’ils contiennent sont utilisées contre elle ultérieurement.

En ce qui concerne les questions à charge, la Cour a ajouté que la Commission ne peut pas contraindre une entreprise à lui fournir des réponses qui pourraient impliquer l’admission d’une infraction aux règles de concurrence de la part de l’entreprise, en ce qu’il incombe toujours à la Commission de prouver l’existence de l’infraction. À cet égard, la Cour a déclaré que des questions qui visent à vérifier chaque démarche ou mesure concertée qui a pu être envisagée ou adoptée pour soutenir de telles initiatives en matière de prix pourraient être considérées comme obligeant la requérante à reconnaître sa participation à l’accord de fixation de prix interdit et susceptible de restreindre la concurrence. Répondre à ce type de question obligerait en effet l’entreprise à admettre son rôle dans la prétendue infraction à la concurrence.

Quatre ans après le prononcé initial dans l’affaire Orkem, la CEDH, dans le célèbre arrêt Funke (CEDH, 25 février 1993, Funke c/ France, n° 10828/84), a pour la première fois lié expressément l’application du droit au silence à l’article 6 de la Convention, estimant que ce droit découle directement du « sens autonome » dudit article. Deuxièmement, elle a reconnu que ce droit était applicable aux procédures administratives. Troisièmement, elle a estimé que ce droit pouvait être invoqué pendant la phase d’enquête préliminaire en l’absence de preuve d’une infraction, et qu’il pouvait s’appliquer non seulement aux informations directement incriminantes, mais aussi aux remarques à décharge et aux informations factuelles.

Successivement à cet arrêt, la Cour de justice a tenu compte de l’évolution de la jurisprudence de la CEDH lors de l’interprétation des droits fondamentaux.

Dans l’affaire SGL Carbon (CJCE, 29 juin 2006, Commission c/ SGL Carbon AG, aff. C-301/04 P), la Commission a demandé à SGL de décrire l’objectif d’un certain nombre de réunions auxquelles elle a participé, ce qui s’est passé lors de ces réunions et quels en ont été les résultats/conclusions. Les plaignants ont fait appel avec succès devant le Tribunal de l’Union européenne, qui a estimé qu’une demande de cette nature était de nature à obliger l’entreprise à admettre sa participation à une infraction au droit de la concurrence. Cette décision a, ensuite, été annulée par la Cour sur pourvoi au motif que l’arrêt Orkem impose une obligation de coopération active, y compris celle de mettre à la disposition de la Commission toute information relative à l’objet de l’enquête, même si elle sert à établir la preuve d’un comportement anticoncurrentiel, et qu’une entreprise ne peut se soustraire à des demandes similaires au motif qu’en s’y conformant, elle serait tenue de fournir des preuves contre elle-même. De même, dans l’affaire Amann & Söhne (Trib. UE, 28 avril 2010, Amann & Söhne et Cousin Filterie c/ Commission, aff. T-446/05), la Commission a recherché des informations sous la forme de demandes concernant des réunions avec des concurrents (date, lieu, liste des participants, objet, comportement) et non par l’adoption de décisions. Le Tribunal a souligné que les entreprises n’étaient pas obligées de répondre aux questions si leurs réponses les conduisaient à admettre qu’elles avaient participé à l’infraction alléguée. Toutefois, comme elles ont répondu volontairement, le droit de ne pas s’incriminer n’a pas été violé.

 

Jurisprudences pertinentes

International

CEDH, 17 décembre 1996, Saunders c/ Royaume-Uni, n° 19187/91

CEDH, 25 février 1993, Funke c/ France, n° 10828/84

Union européenne

CJCE, 29 juin 2006, Commission c/ SGL Carbon AG, aff. C-301/04 P, EU:C:2006:432

CJCE, 7 janvier 2004, Aalborg Portland e.a. c/ Commission, aff. jtes C‑204/00 P, C‑205/00 P, C‑211/00 P, C‑213/00 P, C‑217/00 P et C‑219/00 P, EU:C:2004:6

CJCE, 15 octobre 2002, Limburgse Vinyl Maatschappij e.a. c/ Commission, aff. jtes C-238/99 P, C-244/99 P, C-245/99 P, C-247/99 P, C-250/99 P à C-252/99 P et C-254/99 P, EU:C:2002:582

CJCE, 10 novembre 1993, Otto c/ Postbank, aff. C-60/92, EU:C:1993:876

CJCE, 18 octobre 1989, Orkem c/ Commission, aff. C-374/87, EU:C:1989:387

Trib. UE, 28 avril 2010, Amann & Söhne et Cousin Filterie c/ Commission, aff. T-446/05, EU:T:2010:165

TPICE, 20 février 2001, Mannesmannröhren-Werke c/ Commission, aff. T-112/98, EU:T:2001:61

 

Bibliographie

Règlement (CE) n° 1/2003 du Conseil du 16 décembre 2002 relatif à la mise en œuvre des règles de concurrence prévues aux articles 81 et 82 du traité, JOCE n° L 1 du 4 janvier 2003, p. 1

Règlement (CE) n° 17 du Conseil du 6 février 1962 – premier règlement d’application des articles 85 et 86 du traité, JOCE n° 13 du 21 février 1962, p. 204

SALEMME (E.), Enforcing European Competition Law through Leniency Programmes in the Light of Fundamental Rights : with an Overview of the US Leniency Programme, Baden-Baden, Nomos, 2019

SCORDAMAGLIA-TOUSIS (A.), EU Cartel Enforcement : Reconciling Effective Public Enforcement with Fundamental Rights, Alphen-sur-le-Rhin, Wolters Kluwer, 2013

Auteur

Citation

Emma Salemme, Protection contre l’auto-incrimination, Dictionnaire de droit de la concurrence, Concurrences, Art. N° 89193

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Éditeur Concurrences

Date 1er février 2023

Nombre de pages 842

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Définition institution

Devant le Conseil de la concurrence, il est mis en œuvre lors de deux phases distinctes de la procédure :

  • lors de la phase préalable d’enquête administrative : bien que lourde de conséquences pour les personnes concernées, dans la mesure où elle permet de constater les atteintes portées au libre jeu de la concurrence, d’en rassembler les preuves et d’en identifier les auteurs, l’enquête administrative n’est pas soumise au principe du contradictoire. Aussi, pour garantir les droits de la défense, le Conseil de la concurrence et les juridictions de contrôle ont-ils développé une obligation autonome « de loyauté dans la recherche des preuves » qui recouvre essentiellement le principe de non auto-incrimination (I) ;
  • lors de la procédure devant le Conseil proprement dite (phase d’instruction par le rapporteur et phase de jugement), le contradictoire est organisé et garanti par des textes. La notion de loyauté se confond alors, pour l’essentiel, avec les obligations liées au principe de la contradiction mais rejoint aussi celles découlant des principes d’égalité des armes, d’impartialité et d’indépendance (II). © Autorité de la concurrence
 
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