La question centrale est celle de la démonstration d’un prix abusivement bas. Dans son arrêt AKZO du 3 juillet 1991, la Cour de Justice a distingué deux situations dans lesquels un prix bas peut être qualifié de « prix prédateur ». Dans les deux cas, il s’agit d’un test qui met en relation un prix observé avec les coûts pertinents de l’entreprise mise en cause.
Un premier cas de figure est celui dans lequel le prix pratiqué par l’entreprise en position dominante est inférieur à la moyenne de ses coûts variables. Dans ce cas, la pratique de prix prédateur peut être présumée. Cette présomption est toutefois réfragable. Ainsi, dans la décision n° 00-D-50 concernant la Française des Jeux, le Conseil de la concurrence a considéré que si « la jurisprudence considère généralement que la vente au-dessous du coût variable moyen suffit à caractériser une stratégie prédatrice, aucune autre justification ne pouvant être apportée à un tel comportement, cependant, d’une part, ce critère ne peut être appliqué lorsqu’un prix n’est inférieur au coût variable moyen que de façon épisodique ; d’autre part, l’existence d’une stratégie prédatrice doit être crédible au regard du contexte ».
Un second cas est celui d’un prix inférieur à la moyenne des coûts totaux, qui comprennent les coûts fixes et les coûts variables, mais supérieur à la moyenne des coûts variables. Dans ce cas de figure, le prix bas peut être considéré comme abusif s’il est fixé dans le cadre d’un plan ayant pour but d’éliminer/discipliner un concurrent aussi efficace. Afin de démontrer ce « plan d’éviction », la pratique des prix bas doit donc s’accompagner d’indices suffisamment sérieux, probants et concordants. Par exemple, dans sa décision n°04-D-10 (UGC-Ciné cité), le Conseil de la concurrence a considéré qu’une pratique de prédation suppose qu’elle soit appliquée pendant un temps suffisamment long « pour évincer les concurrents, dans l’espoir de récupérer les pertes subies en pratiquant des prix élevés une fois les concurrents sortis du marché ». Le Conseil de la concurrence a ajouté que « pour qu’une telle stratégie ait une chance d’être profitable, il faut, d’une part, que les concurrents ne puissent pas résister trop longtemps aux prix bas et décident de sortir assez vite du marché et d’autre part, qu’il existe des barrières à l’entrée substantielles sur le marché considéré, de manière à ce que les prix élevés pratiqués dans le futur n’induisent pas le retour des concurrents évincés ou l’entrée de nouveaux opérateurs ». Les économistes insistent beaucoup sur la nécessité de prouver la possibilité pour l’entreprise en position dominante de « récupérer » ses pertes après la période de prédation, ce qui suppose qu’il existe des barrières à l’entrée assez élevées. A l’occasion des affaires Tetra Pak (1996) et France Télécom (2009), la Cour de Justice n’a toutefois pas intégré le test de « recoupement des pertes » comme une condition nécessaire à la démonstration d’un scénario de prix prédateurs.
En pratique, la démonstration d’un prix abusivement bas n’est pas une tâche aisée, en particulier lorsque l’entreprise est multiproduits ou dispose de capacités de production supplémentaires. La notion de « coût marginal » est alors remplacée par celle de coût évitable moyen (CEM), qui désigne la moyenne des coûts qui auraient pu être évités si l’entreprise n’avait pas produit la quantité supplémentaire dont on soupçonne qu’elle est prédatrice. En pratique, cela revient à vérifier que les recettes de la vente supplémentaire couvrent bien les coûts supplémentaires de cette vente. De même, le coût total moyen est remplacé par la notion de Coût Incrémental de Long terme (CMILT) : ce coût désigne la moyenne de tous les coûts, fixes comme variables, que supporte l’entreprise sur le produit en cause.