Prix abusifs

 

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Premier aperçu

Selon l’OCDE, un prix abusif est un prix nettement supérieur au prix concurrentiel, du fait de l’existence d’un monopole ou de l’exercice d’une puissance sur le marché.

Sur un marché concurrentiel, toute augmentation tarifaire par un acteur l’expose au risque de perte de clientèle au profit d’une société concurrente mieux disante, la concurrence agissant comme un mécanisme de régulation du marché. De ce point de vue, la pratique par une entreprise d’un prix élevé ne représente pas un danger particulier pour le marché. Il en va autrement lorsqu’une entreprise dominante opère sur un marché captif, c’est-à-dire un marché où les consommateurs n’ont pas d’alternative crédible afin de s’affranchir du surcoût des offres de l’entreprise dominante. La position dominante de celle-ci peut notamment être conférée par la présence d’un brevet, d’un droit d’auteur ou encore par des effets de réseaux comme sur les marchés numériques par exemple. Dans ce cas, la pratique du prix excessif constitue un abus d’exploitation prohibé par l’article 102 du TFUE et de l’article L. 420-2 du code de commerce. (Voir Décision du Conseil de la concurrence n° 00-D-27 du 13 juin 2000 dite « Prison d’Osny », concernant les prix pratiqués par la seule boutique situant dans une prison).

La reconnaissance d’un cas d’abus de position dominante du fait de la fixation d’un prix abusif n’a rien d’évident. Dans un système d’économie de marché, le mécanisme d’affectation des ressources repose sur la rencontre de l’offre et la demande autour d’un prix qui doit être souple et fluctuant. La liberté de fixation de prix constitue ainsi une composante fondamentale de l’économie de marché. En Europe, si le principe de la prohibition du prix abusif pratiqué par une entreprise dominante semble bien posé (CJCE, 13 novembre 1975, General Motors, Aff. 26/75), sa démonstration reste soumis à un standard de preuve élevé.

Critères pour caractériser un prix abusif

Afin de déterminer si un prix pratiqué par une entreprise dominante est abusif, la Cour de justice de l’Union européenne pose un test d’adéquation entre la valeur économique de la prestation fournie et le prix pratiqué. Il y a prix abusif lorsque peut être démontrée une disproportion manifeste entre ces deux éléments (CJCE, 13 novembre 1975, General Motors, Aff. 26/75 ; CJCE, 11 novembre 1986, British Leyland, Aff. 226/84). Cela est évidemment le cas si l’opérateur en position dominante exige des paiements alors même qu’il n’y a pas de prestation en contrepartie (s’agissant d’un système allemand de collecte et valorisation des déchets d’emballage, CJUE, 16 juillet 2009, Der Grüne Punkt - Duales System Deutschland GmbH, Aff. C-385/07, EU:C:2009:456).

En revanche, même en présence d’une telle disproportion manifeste, l’abus n’est pas constitué lorsque l’entreprise dominante est capable d’apporter une justification économique (CJCE, 8 juin 1971, Deutsche Grammophon, 78/70). Par ailleurs, il faut que ce soit la position dominante de l’entreprise en cause qui lui ait permis d’obtenir les avantages des transactions relevant d’abus d’exploitation (Cour d’appel de Paris, arrêt 14 novembre 2019, n° RG 18/23992, p14).

Démonstration du prix inéquitable

Quant à la détermination pratique du caractère inéquitable d’un prix, deux méthodes peuvent se présenter : l’une consiste à définir pour chaque marché examiné un seuil au-delà duquel le prix est considéré comme abusif, cette méthode a le mérite de la simplicité, mais elle est susceptible de porter atteinte excessive à la liberté tarifaire de l’entreprise en cause, compte tenu des caractéristiques propres du marché dans lequel elle se trouve (structure de marché, caractéristiques des produits…) ; l’autre consiste à comparer le prix pratiqué à un contrefactuel, c’est à dire un niveau théorique de prix jugé raisonnable (cela peut notamment correspondre au niveau de prix concurrentiel). Néanmoins, la robustesse du contrefactuel calculé par les autorités de concurrence pourrait être fréquemment remise en cause.

Sur l’appréciation du caractère inéquitable d’un prix, la jurisprudence européenne a apporté progressivement des précisions méthodologiques. Les autorités de concurrence doivent, après avoir examiné s’il existe une disproportion excessive entre le coût effectivement supporté et le prix effectivement réclamé, examiner s’il y a imposition d’un prix inéquitable, soit au niveau absolu, soit par comparaison avec les produits concurrents. Cette analyse doit reposer sur une comparaison effectuée sur une base homogène dans le cadre d’une analyse des composants du prix pratiqué. (CJCE, 14 février 1978, United Brands, Aff. 27/76, point 252).

Dans une récente affaire AKKA/LAA, la CJUE écarte la méthodologie se fondant sur un seuil d’abus déterminé à l’avance. En effet, le niveau du prix en lui-même n’est pas le seul déterminant du caractère inéquitable du prix, il convient de prendre en compte l’ensemble des éléments du dossier notamment les modalités objectives de la fixation du prix par une entreprise en position dominante, dans la situation concrète du marché concerné. L’arrêt précise par ailleurs que lorsqu’une autorité de concurrence compare les tarifs pratiqués par une entreprise en cause et ceux des produits concurrents, l’écart entre les tarifs comparés doit être considéré comme sensible si celui-ci est significatif et persistant. Un tel écart constitue un indice d’abus de position dominante et il appartient à l’entreprise en cause de démontrer que ses prix sont équitables en se fondant sur des éléments objectifs. (CJUE, 14 septembre 2017, Autortiesību un komunicēšanās konsultāciju aģentūra - Latvijas Autoru apvienba c/ Konkurences padome, Aff. C-177/16, point 56).

Enfin, dans un arrêt remarqué, la Cour de cassation française a jugé que l’appréciation du caractère équitable d’une augmentation tarifaire se confondait avec celle du caractère équitable du prix en résultant. Ainsi, une augmentation tarifaire brutale, significative et non transitoire pratiquée par une entreprise dominante, même sans justification objective et pertinente, ne suffit pas en elle-même à constituer un abus de position dominante. Il convient également d’établir le caractère inéquitable du prix résultant d’une telle augmentation tarifaire. (Cour de cassation, chambre commerciale, 7 juillet 2021, arrêt n 644 FS-B, dit « Sanicorse »)

Malgré ces clarifications bienvenues, la démonstration du caractère inéquitable des prix reste un exercice techniquement délicat.

 

Pour aller plus loin

Il convient d’évoquer d’autres cas où une pratique tarifaire peut être considérée comme abusive. C’est d’abord le cas du prix prédateur, c’est à dire la fixation par une entreprise dominante d’un prix intérieur à certains de ses coûts, dans l’intention crédible d’évincer, à terme, les concurrents actuels ou potentiels. Une présomption d’abus est même établie par la jurisprudence européenne et nationale pour la fixation des prix inférieurs au coût variable. C’est aussi le cas du prix abusivement bas, qui sont « les offres de prix ou pratiques de prix de vente aux consommateurs abusivement bas par rapport aux coûts de production de transformation et de commercialisation, dès lors que ces offres ou pratiques ont pour objet ou peuvent avoir pour effet d’éliminer d’un marché ou d’empêcher d’accéder à un marché une entreprise ou l’un de ses produits », et prohibés par l’article L. 420-5 du code de commerce. Les lecteurs intéressés peuvent se reporter aux pages du dictionnaire dédiées aux « prix prédateurs ».

 

Jurisprudences pertinentes

Union européenne

CJUE, 14 septembre 2017, Autortiesību un komunicēšanās konsultāciju aģentūra / Latvijas Autoru apvienība c/ Konkurences padome, aff. C-177/16, EU:C:2017:689

CJCE, 16 juillet 2009, Der Grüne Punkt - Duales System Deutschland GmbH, aff. C-385/07 P, EU:C:2009:456

CJCE, 11 novembre 1986, British Leyland, aff. 226/84, EU:C:1986:421

CJCE, 14 février 1978, United Brands, aff. 27/76, EU:C:1978:22

CJCE, 13 novembre 1975, General Motors, aff. 26-75, EU:C:1975:150

CJCE, 8 juin 1971, Deutsche Grammophon, aff. 78-70, EU:C:1971:59

France

Cass. com., 7 juillet 2021, arrêt no 19-25.586, dit « Sanicorse »

CA Paris, pôle 5, ch. 7, 14 novembre 2019, Sanicorse, Cesarini c/ Autorité de la concurrence, RG 18/23992

Cons. conc., déc. no 00-D-27 du 13 juin 2000 relative à une saisine de l’Union fédérale des consommateurs du Val d’Oise

 

Bibliographie

OCDE, Centre pour la coopération avec les économies en transition, Glossaire d’économie industrielle et de droit de la concurrence, Paris, OCDE, 1993

Auteur

  • Direction Générale des Entreprises (Paris)

Citation

Benjamin Wan, Prix abusifs, Dictionnaire de droit de la concurrence, Concurrences, Art. N° 86386

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Éditeur Concurrences

Date 1er février 2023

Nombre de pages 842

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Définition institution

Prix nettement supérieurs au niveau de concurrence, du fait de l’existence d’un monopole ou de l’exercice d’une puissance sur le marché. Toutefois, à défaut d’association frauduleuse ou d’entente sur les prix, ou de preuve d’une puissance sur le marché provenant d’une forte concentration, il est extrêmement difficile de fixer un seuil au-delà duquel un prix est à considérer comme abusif ou déraisonnable. Le pivot de l’organisation de la production en économie de marché étant le système de prix, la souplesse des prix est fondamentale. C’est pour équilibrer l’offre et la demande que les prix fluctuent. Dès lors que, temporairement, l’offre est insuffisante ou la demande s’accroît, les prix vont augmenter, ce qui incitera à accroître la production et attirera de nouveaux producteurs. Par ailleurs, il convient d’observer que toute comparaison des prix et/ou des bénéfices entre différentes entreprises, marchés ou pays suscite un grand nombre de problèmes juridiques et économiques. Toute tentative des pouvoirs publics visant à contrôler les prix ou à imposer leur baisse alors qu’ils ne sont pas le résultat de restrictions à la concurrence est incompatible avec la philosophie qui est à la base de la politique de la concurrence. © OCDE

Sur ce sujet voir le numéro spécial du bulletin e-Competitions "Excessive prices : An overview of EU and national case law"

 
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