Prix

 

Définition auteur

 

Premier aperçu

La notion de prix apparaît à d’innombrables endroits dans le droit de la concurrence, tant dans l’analyse des pratiques anti-concurrentielles que dans les concepts fondamentaux que sont la création de valeur et la compensation juste et équitable. Les prix sont des signaux de la valeur d’échange des biens et services, y compris du travail.

La détermination de la valeur d’un bien, d’un service, d’un investissement, d’une heure de travail, d’un bien ou actif public, d’une œuvre permanente telle une sculpture, un film, une chanson ou un enregistrement sonore, est un des plus importants enjeux de l’économie et du droit, mais aussi de la sociologie, la philosophie, la psychologie et bien d’autres domaines des sciences humaines et sociales. La distinction entre la valeur totale, la valeur moyenne, la valeur marginale et la valeur de marché, telle que développée depuis la deuxième moitié du XIXe siècle, est cruciale et essentielle à la bonne compréhension des phénomènes économiques.

Les économistes sont à plus d’un titre les scientifiques de la valeur, y compris de la valeur du travail, du capital humain, du capital intellectuel, physique ou financier, des ressources naturelles, de l’environnement (espace, air, eau), des entreprises, des infrastructures, de la santé, de l’éducation, de la vie, etc.

Un prix juste et équitable est un prix qui respecte à la fois les intérêts des offreurs/producteurs (offre), tant les offreurs de travail, de compétences, de capital humain et de biens et services intermédiaires que les offreurs de capital physique, financier ou intellectuel, et les intérêts des demandeurs/acheteurs (demande), utilisateurs ou employeurs de ces biens et services. Le respect des intérêts des partenaires à l’échange exige que ces derniers agissent de manière volontaire ou consentante, donc un contexte d’échange informé, libre ou concurrentiel.

Ainsi, un prix concurrentiel, personnalisé ou non (voir ci-dessous les prix de Lindahl), qui met en équilibre offre et demande, est fondamentalement synonyme d’un prix juste et équitable car respectant les intérêts librement exprimés à la fois des offreurs et des demandeurs. Plus généralement, la compensation de tous les facteurs et la valeur de leur meilleure utilisation alternative respective doivent s’effectuer ou être calculées sur une base ajustée pour le risque encouru par le facteur considéré.

Nul ne peut en toute justice et équité forcer ses concitoyens à rémunérer ses compétences ou financer ses opérations si ces compétences et opérations ne génèrent rien d’utile ou de valable pour eux.

Avec l’arrivée du Big Data, la possibilité de prix personnalisés est devenue réalité. « [L]e fait qu’une pratique d’une entreprise occupant une position dominante puisse [...] être qualifiée de "discrimination par les prix", à savoir l’application de prix différents à des clients différents ou à des catégories différentes de clients pour des produits ou des services dont les coûts sont les mêmes, ou, inversement, l’application d’un prix unique à des clients pour lesquels les coûts de l’offre varient, ne saurait, à lui seul, suggérer la présence d’une pratique d’éviction abusive » (CJUE, 27 mars 2012, Post Danmark A/S c/ Konkurrencerådet, aff. C-209/10, pt 30).

 

Pour aller plus loin

La meilleure garantie que les offreurs seront équitablement rémunérés pour leurs biens et services, y compris leur travail, réside dans la concurrence que doivent se livrer les demandeurs de biens et services, y compris les demandeurs de main-d’œuvre. Et la meilleure garantie que les demandeurs seront appelés à verser un prix ou une rémunération équitable réside dans la concurrence que doivent se livrer les offreurs de biens et services, y compris de travail (v. règl. (CE) n° 1/2003).

À l’équilibre concurrentiel, le prix d’un produit, bien ou service, est égal à sa valeur d’opportunité marginale, c’est-à-dire à la valeur, telle qu’estimée par les acheteurs, que le non-achat à ce prix permettrait de générer au mieux, y compris en consommation, en loisir ou en toute autre activité.

Ainsi, la valeur des biens ou services qu’une personne contribue à offrir ou à vendre est déterminée par ses concitoyens, qui estiment librement ce que ces produits leur apportent à la marge en termes d’utilité, de bien-être ou de potentiel, et par le coût ou la valeur d’opportunité des ressources, travail et autres, incorporées dans ces produits, la différence entre les deux étant la compensation que la personne peut retirer de sa participation à la production et à la vente d’une unité additionnelle (valeur marginale). Dans ce contexte, le prix ou la valeur marginale des choses, des biens et services qu’une personne contribue à produire, ne pourrait augmenter que si elle pouvait contribuer à produire des biens et services de plus grande valeur pour ses concitoyens. Par ailleurs, cela peut être une source de motivation à modifier son portefeuille de compétences ou le panier de biens et services produits. Aussi, comme consommateur ou acheteur, toute personne envoie un message de ce genre lorsqu’elle décide de ne pas acheter tel produit, bien ou service.

L’entreprise peut être comprise comme une institution, un processus ou un mécanisme transformateur qui mélange fructueusement ou efficacement différents facteurs de production, y compris le travail humain, les matériaux, les ressources naturelles, les technologies, les capitaux empruntés et les capitaux propres, pour générer des biens et services utiles à ses concitoyens clients, consommateurs ou entreprises, de manière que la valeur totale de ses produits soit supérieure ou du moins non inférieure au coût total de tous les facteurs utilisés lorsque ces derniers sont payés ou compensés à la valeur de leur meilleure utilisation alternative. Si c’est le cas, l’entreprise est véritablement génératrice de valeur nette et de richesse. Comment s’en assurer ? Par la concurrence et les échanges libres et consentis.

Considérons trois types d’entreprises : l’entreprise capitaliste, l’entreprise travailliste et l’entreprise idéiste. Dans chacun des cas, le pouvoir résiduel de décisions, autres que celles prévues par contrat, appartiendra au groupe rémunéré en dernier, à savoir le capital financier en fonds propres (entreprise capitaliste), le capital humain (entreprise travailliste) ou le capital intellectuel (entreprise idéiste).

L’entreprise capitaliste (travailliste, idéiste) paiera en priorité tous ses facteurs autres que les fonds propres (le travail, les idées), qui sont rémunérés par la valeur résiduelle, à savoir la valeur totale des produits moins le coût total des facteurs prioritaires. Cette valeur résiduelle est incertaine, peut être positive ou négative, variable dans le temps, mais doit représenter en moyenne ou en espérance la valeur des fonds propres (du travail, des idées) dans leur meilleure utilisation alternative.

Étant donné les bienfaits de la libre concurrence et le rôle crucial des prix concurrentiels dans la création de richesse et de bien-être collectif, les États ont adopté des lois, politiques, moyens et institutions afin de favoriser la libre concurrence et de contrecarrer les dangers et méfaits des prix de monopole ou de cartel (fixation des prix, allocation des marchés, réduction de production) ou d’abus de position dominante, des prix d’éviction ou de prédation et des prix de revente contrôlés en amont. Les comportements illégaux peuvent être sujets à des amendes et peines de prison, calibrées en fonction du sérieux des manquements afin d’assurer la dissuasion des comportements illégaux et la restitution des gains obtenus le cas échéant (v. Comm. eur., communiqué IP/06/857 du 28 juin 2006 et document sur les amendes sanctionnant les infractions au droit de la concurrence).

Dans le cas des biens et actifs d’information, produits à coûts fixes élevés et à coûts variables faibles, voire nuls, et consommés réellement ou virtuellement en totalité par tous les consommateurs, les prix individualisés seront naturellement de mise. Afin de couvrir efficacement les coûts totaux de production, ces prix seront fonction des valeurs qu’en tirent les consommateurs plutôt que des coûts de production (prix de Lindahl – Schinkel et Tóth, 2016). Le développement économique des réseaux, fondés sur des standards technologiques assurant l’interconnexion des biens et services (téléphones intelligents et internet des objets, par exemple), a fait émerger le concept de prix juste, raisonnable et non discriminatoire (FRAND) des brevets dits « essentiels ». Dans les deux cas, il s’agit bel et bien de prix de type concurrentiel.

 

Bibliographie

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SCHINKEL (M. P.) et TÓTH (L.), Balancing the Public Interest-Defense in Cartel Offenses, Amsterdam Law School Legal Studies Research Paper n° 2016-05 /Amsterdam Center for Law & Economics Working Paper Paper n° 2016-01, février 2016

TIROLE (J.), Théorie de l’organisation industrielle, Paris, Economica, 2015

Auteur

  • University of Montreal

Citation

Marcel Boyer, Prix, Dictionnaire de droit de la concurrence, Concurrences, Art. N° 85327

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Éditeur Concurrences

Date 1er février 2023

Nombre de pages 842

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Définition institution

(...) En économie de marché, les prix sont fixés par le libre jeu de l’offre et de la demande et constituent un signal important pour la prise de décision des acteurs économiques, tant producteurs que consommateurs : par exemple, une hausse de prix peut signaler une situation de rareté, incitant des entreprises à investir ou à entrer sur le marché. La structure du marché, mesurée par le nombre d’entreprises, influe sur la détermination du niveau des prix : en situation de concurrence pure (très grand nombre d’acteurs sur le marché), les prix seront proches des coûts unitaires de production, tandis qu’en situation de monopole, les prix seront plus élevés, le monopole réduisant la production. En situation d’oligopole (petit nombre d’acteurs), le niveau des prix sera intermédiaire entre la concurrence pure et le monopole. Un renforcement de la concurrence, à la suite, par exemple, de l’entrée d’un nouvel acteur, va donc se traduire par une baisse des prix, bénéfique aux clients. Dans la téléphonie mobile, l’entrée de Free en 2012 a ainsi conduit à une baisse générale du prix des forfaits, ce qui a généré un gain de pouvoir d’achat mais aussi une forte hausse de la consommation. Lorsqu’un prix baisse, en effet, la demande augmente : de nouveaux clients accèdent au marché. Si la politique de concurrence n’est pas une politique de contrôle des prix, elle exerce toutefois une action indirecte sur leur niveau : le contrôle des concentrations a pour but d’éviter qu’une fusion n’entraîne une réduction de la concurrence qui ferait monter les prix ; la lutte contre les pratiques anticoncurrentielles vise à empêcher des hausses artificielles et non justifiables de prix. Par exemple, la politique de concurrence lutte contre les cartels, qui ont pour effet d’accroître les prix sans contrepartie aucune pour les clients. © Autorité de la concurrence

 
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