Sur le fondement de la soft law et en vertu de la théorie de l’autolimitation, le principe de proportionnalité est aussi invocable en tant que l’Autorité de la concurrence ou la Commission se sont engagées à le mettre en œuvre d’une certaine manière.
Ainsi, l’Autorité de la concurrence, par son Communiqué du 16 mai 2011 relatif à la détermination du montant des sanctions pécuniaires, mis à jour le 20 octobre 2017, expose en quoi et dans quelles limites ledit Communiqué l’engage (point 7), comment elle entend utiliser le large pouvoir d’appréciation qui lui est notamment reconnu « en vertu (…) du principe de proportionnalité » (point 10). Elle indique, par exemple, que le critère de la valeur des ventes constitue une référence appropriée et objective pour déterminer le montant de base de la sanction pécuniaire, dans la mesure où elle permet d’en proportionner au cas par cas l’assiette à l’ampleur économique de l’infraction ou des infractions en cause, d’une part, et au poids relatif, sur le(s) secteur(s) ou marché(s) concerné(s), de chaque entreprise ou organisme qui y a participé, d’autre part (point 23), mais que ce critère ne doit pas lui-même revêtir « une importance disproportionnée par rapport à d’autres éléments à prendre en considération » (point 24). C’est pourquoi, afin d’assurer le caractère proportionné de la sanction pécuniaire, l’Autorité peut prendre en considération d’autres éléments objectifs propres à la situation de l’entreprise ou de l’organisme concerné (point 47). Le principe de proportionnalité est également au cœur de la prise en considération de la réitération du comportement en cause, en particulier en tenant compte du délai entre le précédent constat d’infraction et la nouvelle pratique (points 50 et 51). Le respect de ce Communiqué est contrôlé par le juge (e.g. CA Paris, 16 janvier 2020, Canna France S.A.S.U., points 90 à 94).
La Commission, silencieuse dans ses Lignes directrices pour le calcul des amendes infligées en application de l’article 23, paragraphe 2, sous a), du règlement (CE) 1/2003 de 2006 sur le principe de proportionnalité, place pourtant celui-ci au centre de sa pratique. Il suffit, pour s’en convaincre, de constater qu’elle utilise également, pour déterminer le montant de base d’une amende, une proportion de la valeur des ventes, déterminée en fonction du degré de gravité de l’infraction, multipliée par le nombre d’années d’infraction (point 19).
La trop grande part laissée à la subjectivité dans le cadre de la mise en œuvre, et du contrôle du respect, du principe de proportionnalité constitue la principale critique portée à l’encontre des décisions administratives et juridictionnelles en matière de concurrence. C’est précisément afin de prévenir le risque que la large marge d’appréciation reconnue aux autorités de concurrence, nationales et de l’Union, ne véhicule un soupçon d’arbitraire que la publication du Communiqué et des Lignes directrices est intervenue. Il convient d’ajouter que, selon la CJUE, la pratique administrative connue et accessible de la Commission est soumise à l’entier contrôle du juge de l’Union, dont la jurisprudence constante a permis de préciser certaines notions indéterminées que pouvait contenir l’article 23, paragraphes 2 et 3, du règlement n° 1/2003. Pour autant, et même si le fait qu’un opérateur économique ne puisse, à l’avance, connaître avec précision le niveau des amendes que la Commission infligera dans chaque espèce ne saurait constituer une violation du principe de légalité des peines (CJUE, 16 février 2017, Hansen & Rosenthal et H&R Wax Company Vertrieb/Commission, points 79 et 80), d’aucuns regretteront l’absence, au regard de comportements donnés, d’« une échelle correspondante de châtiments, du plus dur au plus léger », prônée par Beccaria.