En matière de contrôle des aides d’État, le principe d’égalité de traitement apparaît utile pour apprécier certaines notions ou critères applicables dans cette matière. C’est le cas, par exemple, de la notion de sélectivité qui implique (comme le principe d’égalité de traitement) d’ « identifier des catégories de sujets de droit afin de comparer le traitement juridique qui leur est réservé par les autorités publiques, et à apprécier le cas échéant des éléments de justification d’une différence de traitement » (Peiffert, 2017, pt 8). De même, il est de jurisprudence constante que « [l]e critère du comportement d’un investisseur privé est une émanation du principe d’égalité de traitement entre les secteurs public et privé » (l’application du critère s’effectuant indépendamment du caractère privé ou public de l’investissement et de la nature privée ou publique de l’entreprise bénéficiaire) (CJCE, 21 mars 1991, Italie c/ Commission, aff. C-303/88, pts 19 et 20 ; TPICE, 21 janvier 1999, Neue Maxhütte Stahlwerke, aff. jtes. T-129/95, T-2/96 et T-97/96, pt 105).
A tous les stades d’application du droit antitrust, le principe d’égalité de traitement joue un rôle central dans le contrôle de l’action de l’administration.
Dès le stade de l’enquête, le rapporteur de l’Autorité de la concurrence peut décider de notifier les griefs à certaines entreprises et non à d’autres sans violer le principe d’égalité de traitement - associé au principe d’impartialité - dans la mesure où il estime qu’il n’y a pas d’éléments suffisamment probants à l’égard de ces dernières (CA Paris, 15 mars 2018, L M e.a., RG 16/14231 ; CA Paris, 6 juillet 2017, Smith & Smith Characters e.a., RG 2016/22365 ; CA Paris, 3 décembre 2020, Brenntag, RG 13/13058).
Le conseiller-auditeur de la Commission européenne, organe susceptible d’intervenir au cours de la procédure aussi bien au stade de l’enquête que de la procédure proprement dite est également tenu de respecter le principe d’égalité de traitement (CJUE, 14 mars 2017, Evonik Degussa, aff. C-162/15 P, pt 56 ; CJUE, 26 juillet 2017, AGC Glass, aff. C-517/15 P, pt 56).
En cas de volonté de la Commission européenne de s’engager dans une procédure de transaction avec les entreprises poursuivies, elle doit la proposer à toutes les entreprises en cause dans la procédure (Communication de la Commission relative aux procédures de transaction engagées en vue de l’adoption de décisions en vertu des articles 7 et 23 du règlement (CE) n° 1/2003 du Conseil dans les affaires d’entente, pt 6).
Dans le cadre de la procédure de clémence, ce principe trouve également à s’appliquer. Ainsi a-t-il été jugé qu’un demandeur de clémence ayant déposé une demande d’immunité est dans une situation différente de l’entreprise ayant présenté une demande de réduction d’amendes (Communication de la Commission sur l’immunité d’amendes et la réduction de leur montant dans les affaires portant sur des ententes ; v. not. CJUE, 1er février 2018, Deutsche Bahn e.a., aff. C-264/16 P, pt 68). En revanche, une différence de traitement entre deux entreprises ne se justifie pas du simple fait qu’une des entreprises a reconnu les faits reprochés en répondant la première aux questions posées par la Commission (TPICE, 13 décembre 2001, Compañia española para la fabricación de aceros inoxidables, aff. T-48/98, pt 140).
Au stade du calcul du montant de l’amende, le principe d’égalité de traitement encadre naturellement la discrétion dont disposent les autorités de concurrence dans ce domaine. Pour constater l’absence de situation comparable entre les entreprises poursuivies, les autorités de concurrence prennent en compte la singularité de chaque entreprise poursuivie (durée de participation, chiffre d’affaires réalisé, appartenance à un groupe, récidive, etc.) (v. not. CJUE, 19 décembre 2019, Viscas Corp., aff. C-582/18 P, pt 57 ; CJUE, 19 décembre 2019, Fujikura, aff. C-590/18 P, pt 49 ; CJUE, 19 décembre 2019, Furukawa Electric, aff. C-589/18 P, pt 61 ; CJCE, 28 juin 2005, Dansk Rørindustri e.a., aff. C-189/02 P e.a., pt 297 et s. ; Trib. UE, 24 septembre 2019, Printeos e.a., aff. T 466/17, pt 87 et s.). En conséquence de cette individualisation, le montant des amendes imposées à chaque entreprise en cause peut varier significativement sans violer le principe d’égalité de traitement (pour une illustration, v. Trib. UE, 12 juillet 2018, Silec e.a., aff. T-438/14, pt 171 et s.).
En droit français, le principe d’individualisation de la sanction trouve sa déclinaison dans le code de commerce (art. L. 464-2 I, al. 3) et dans le communiqué sanction de l’Autorité, qui se réserve la possibilité d’adapter sa méthode de calcul de la sanction au cas d’espèce qui lui est présenté (Aut. conc., comm. du 16 mai 2011 relatif à la méthode de détermination des sanctions pécuniaires ; v. not. Aut. conc. déc. n° 12-D-09 du 13 mars, pt 827 : l’Autorité adapte sa méthode de prise en compte de la durée de participation à une infraction du fait de la participation à l’infraction d’une des entreprises poursuivies d’une durée inférieure à une année complète). Le principe d’égalité de traitement a ainsi été appliqué par la cour d’appel de Paris, qui a été amenée à augmenter (d’un point – de 18 à 19 %) la réduction de sanction accordée à l’une des entreprises sanctionnées en ce que ses engagements visant à mettre en place un programme de conformité étaient plus « amples » que ceux souscrits par une autre entreprise, qui avait bénéficié de la même réduction d’amende (CA Paris, 27 octobre 2016, Beiersdorf e.a., RG 15/01673 ; v. égal. CA Paris, 18 juin 2020, L’Oréal, RG 19/08826 : la Cour réforme la décision de l’Autorité et décide d’appliquer au bénéfice d’une entreprise en cause une réduction de 23 % au lieu des 14 % accordés par l’Autorité compte tenu de sa participation limitée à l’entente par rapport à une autre entreprise en cause – qui avait également bénéficié d’une réduction de 14 %).
En revanche, le fait que les autorités de concurrence aient appliqué dans le passé des amendes d’un certain niveau à certains types d’infractions ne saurait les priver de la possibilité d’élever ce niveau pour sanctionner le même type de pratiques par la suite. Elles conservent ainsi toute latitude pour élever le niveau des amendes en vue de renforcer leur effet dissuasif si cela s’avère nécessaire pour assurer la mise en œuvre de la politique européenne de la concurrence (v. not. CJCE, 7 juin 1983, Musique Diffusion française e.a., aff. jtes 100 à 103/80, pts 105 à 108 ; CJCE, 14 juillet 1972, ICI, aff. 48-69, pt 385 ; TPICE, 14 mai 1998, Mayr-Melnhof Kartongesellschaft, aff. T-347/94, pt 259).
Enfin, le principe d’égalité de traitement peut également jouer un rôle supplétif à l’application du droit de la concurrence.
D’une part, le principe d’égalité de traitement, qui gouverne les procédures de passation des marchés publics (avec le principe de transparence) (art. L. 3 CCP), permettra désormais d’appréhender les pratiques de soumissions concertées à des marchés publics par des entreprises appartenant à un même groupe envers lesquelles le droit de la concurrence a montré ses limites après le rappel de la Cour de justice en cette matière, selon laquelle ces pratiques n’entrent pas dans le champ du droit de la concurrence dès lors qu’une entente ne peut être observée entre entreprises appartenant à un même groupe (CJUE, 17 mai 2018, Šiaulių regiono atliekų tvarkymo centras et « Ecoservice projektai » UAB, aff. C 531/16 ; Aut. conc., déc. n° 20-D-19 du 25 novembre 2020).
D’autre part, l’analyse par le juge administratif d’un comportement au regard du droit de la concurrence intervient à titre subsidiaire après avoir examiné la conformité dudit comportement au regard des principes du droit administratif, parmi lesquels figure le principe d’égalité (concl. rapp. publ. Arrighi de Casanova sous CE, 13 octobre 1999, Air France c/ ADP, n° 193195).