Principe d’égalité de traitement

 

Définition auteur

 

Premier aperçu

Le principe d’égalité de traitement constitue un principe général du droit consacré par l’article 20 (« Égalité en droit ») et l’article 21 (« Non-discrimination ») de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (v. not. CJUE, 14 septembre 2010, Akzo Nobel Chemicals, aff. C-550/07 P, pt 54). L’égalité de traitement présuppose une égalité des situations. Ainsi le principe est-il violé, soit lorsqu’un traitement différent est réservé à des situations identiques, soit lorsqu’un traitement identique est appliqué à des situations différentes.

L’application du droit de la concurrence ne fait pas exception à la règle. En la matière, la jurisprudence de l’Union européenne et française rappelle, de façon constante et similaire, que « le principe d’égalité de traitement [ou de non-discrimination] exige que des situations comparables ne soient pas traitées de manière différente et que des situations différentes ne soient pas traitées de manière égale, à moins qu’un tel traitement ne soit objectivement justifié » (v. not. Akzo Nobel Chemicals e.a., préc., pt 55 ; CA Paris, 25 septembre 2014, Bigard, RG 2013/05595).

Par ailleurs, l’application du principe d’égalité de traitement « doit se concilier avec le respect [du principe de] légalité, selon lequel nul ne peut invoquer, à son profit, une illégalité commise en faveur d’autrui » (CJUE, 16 juin 2016, Evonik Degussa e.a., aff. C‑155/14 P, pt 58).

 

Pour aller plus loin

En matière de contrôle des aides d’État, le principe d’égalité de traitement apparaît utile pour apprécier certaines notions ou critères applicables dans cette matière. C’est le cas, par exemple, de la notion de sélectivité qui implique (comme le principe d’égalité de traitement) d’ « identifier des catégories de sujets de droit afin de comparer le traitement juridique qui leur est réservé par les autorités publiques, et à apprécier le cas échéant des éléments de justification d’une différence de traitement  » (Peiffert, 2017, pt 8). De même, il est de jurisprudence constante que «  [l]e critère du comportement d’un investisseur privé est une émanation du principe d’égalité de traitement entre les secteurs public et privé » (l’application du critère s’effectuant indépendamment du caractère privé ou public de l’investissement et de la nature privée ou publique de l’entreprise bénéficiaire) (CJCE, 21 mars 1991, Italie c/ Commission, aff. C-303/88, pts 19 et 20 ; TPICE, 21 janvier 1999, Neue Maxhütte Stahlwerke, aff. jtes. T-129/95, T-2/96 et T-97/96, pt 105).

A tous les stades d’application du droit antitrust, le principe d’égalité de traitement joue un rôle central dans le contrôle de l’action de l’administration.

Dès le stade de l’enquête, le rapporteur de l’Autorité de la concurrence peut décider de notifier les griefs à certaines entreprises et non à d’autres sans violer le principe d’égalité de traitement - associé au principe d’impartialité - dans la mesure où il estime qu’il n’y a pas d’éléments suffisamment probants à l’égard de ces dernières (CA Paris, 15 mars 2018, L M e.a., RG 16/14231 ; CA Paris, 6 juillet 2017, Smith & Smith Characters e.a., RG 2016/22365 ; CA Paris, 3 décembre 2020, Brenntag, RG 13/13058).

Le conseiller-auditeur de la Commission européenne, organe susceptible d’intervenir au cours de la procédure aussi bien au stade de l’enquête que de la procédure proprement dite est également tenu de respecter le principe d’égalité de traitement (CJUE, 14 mars 2017, Evonik Degussa, aff. C-162/15 P, pt 56 ; CJUE, 26 juillet 2017, AGC Glass, aff. C-517/15 P, pt 56).

En cas de volonté de la Commission européenne de s’engager dans une procédure de transaction avec les entreprises poursuivies, elle doit la proposer à toutes les entreprises en cause dans la procédure (Communication de la Commission relative aux procédures de transaction engagées en vue de l’adoption de décisions en vertu des articles 7 et 23 du règlement (CE) n° 1/2003 du Conseil dans les affaires d’entente, pt 6).

Dans le cadre de la procédure de clémence, ce principe trouve également à s’appliquer. Ainsi a-t-il été jugé qu’un demandeur de clémence ayant déposé une demande d’immunité est dans une situation différente de l’entreprise ayant présenté une demande de réduction d’amendes (Communication de la Commission sur l’immunité d’amendes et la réduction de leur montant dans les affaires portant sur des ententes ; v. not. CJUE, 1er février 2018, Deutsche Bahn e.a., aff. C-264/16 P, pt 68). En revanche, une différence de traitement entre deux entreprises ne se justifie pas du simple fait qu’une des entreprises a reconnu les faits reprochés en répondant la première aux questions posées par la Commission (TPICE, 13 décembre 2001, Compañia española para la fabricación de aceros inoxidables, aff. T-48/98, pt 140).

Au stade du calcul du montant de l’amende, le principe d’égalité de traitement encadre naturellement la discrétion dont disposent les autorités de concurrence dans ce domaine. Pour constater l’absence de situation comparable entre les entreprises poursuivies, les autorités de concurrence prennent en compte la singularité de chaque entreprise poursuivie (durée de participation, chiffre d’affaires réalisé, appartenance à un groupe, récidive, etc.) (v. not. CJUE, 19 décembre 2019, Viscas Corp., aff. C-582/18 P, pt 57 ; CJUE, 19 décembre 2019, Fujikura, aff. C-590/18 P, pt 49 ; CJUE, 19 décembre 2019, Furukawa Electric, aff. C-589/18 P, pt 61 ; CJCE, 28 juin 2005, Dansk Rørindustri e.a., aff. C-189/02 P e.a., pt 297 et s. ; Trib. UE, 24 septembre 2019, Printeos e.a., aff. T 466/17, pt 87 et s.). En conséquence de cette individualisation, le montant des amendes imposées à chaque entreprise en cause peut varier significativement sans violer le principe d’égalité de traitement (pour une illustration, v. Trib. UE, 12 juillet 2018, Silec e.a., aff. T-438/14, pt 171 et s.).

En droit français, le principe d’individualisation de la sanction trouve sa déclinaison dans le code de commerce (art. L. 464-2 I, al. 3) et dans le communiqué sanction de l’Autorité, qui se réserve la possibilité d’adapter sa méthode de calcul de la sanction au cas d’espèce qui lui est présenté (Aut. conc., comm. du 16 mai 2011 relatif à la méthode de détermination des sanctions pécuniaires ; v. not. Aut. conc. déc. n° 12-D-09 du 13 mars, pt 827 : l’Autorité adapte sa méthode de prise en compte de la durée de participation à une infraction du fait de la participation à l’infraction d’une des entreprises poursuivies d’une durée inférieure à une année complète). Le principe d’égalité de traitement a ainsi été appliqué par la cour d’appel de Paris, qui a été amenée à augmenter (d’un point – de 18 à 19 %) la réduction de sanction accordée à l’une des entreprises sanctionnées en ce que ses engagements visant à mettre en place un programme de conformité étaient plus « amples » que ceux souscrits par une autre entreprise, qui avait bénéficié de la même réduction d’amende (CA Paris, 27 octobre 2016, Beiersdorf e.a., RG 15/01673 ; v. égal. CA Paris, 18 juin 2020, L’Oréal, RG 19/08826 : la Cour réforme la décision de l’Autorité et décide d’appliquer au bénéfice d’une entreprise en cause une réduction de 23 % au lieu des 14 % accordés par l’Autorité compte tenu de sa participation limitée à l’entente par rapport à une autre entreprise en cause – qui avait également bénéficié d’une réduction de 14 %).

En revanche, le fait que les autorités de concurrence aient appliqué dans le passé des amendes d’un certain niveau à certains types d’infractions ne saurait les priver de la possibilité d’élever ce niveau pour sanctionner le même type de pratiques par la suite. Elles conservent ainsi toute latitude pour élever le niveau des amendes en vue de renforcer leur effet dissuasif si cela s’avère nécessaire pour assurer la mise en œuvre de la politique européenne de la concurrence (v. not. CJCE, 7 juin 1983, Musique Diffusion française e.a., aff. jtes 100 à 103/80, pts 105 à 108 ; CJCE, 14 juillet 1972, ICI, aff. 48-69, pt 385 ; TPICE, 14 mai 1998, Mayr-Melnhof Kartongesellschaft, aff. T-347/94, pt 259).

Enfin, le principe d’égalité de traitement peut également jouer un rôle supplétif à l’application du droit de la concurrence.

D’une part, le principe d’égalité de traitement, qui gouverne les procédures de passation des marchés publics (avec le principe de transparence) (art. L. 3 CCP), permettra désormais d’appréhender les pratiques de soumissions concertées à des marchés publics par des entreprises appartenant à un même groupe envers lesquelles le droit de la concurrence a montré ses limites après le rappel de la Cour de justice en cette matière, selon laquelle ces pratiques n’entrent pas dans le champ du droit de la concurrence dès lors qu’une entente ne peut être observée entre entreprises appartenant à un même groupe (CJUE, 17 mai 2018, Šiaulių regiono atliekų tvarkymo centras et « Ecoservice projektai » UAB, aff. C 531/16 ; Aut. conc., déc. n° 20-D-19 du 25 novembre 2020).

D’autre part, l’analyse par le juge administratif d’un comportement au regard du droit de la concurrence intervient à titre subsidiaire après avoir examiné la conformité dudit comportement au regard des principes du droit administratif, parmi lesquels figure le principe d’égalité (concl. rapp. publ. Arrighi de Casanova sous CE, 13 octobre 1999, Air France c/ ADP, n° 193195).

 

Jurisprudences pertinentes

Union européenne

CJUE, 19 décembre 2019, Fujikura, aff. C-590/18 P, EU:C:2019:1135

CJUE, 19 décembre 2019, Furukawa Electric, aff. C-589/18 P, EU:C:2019:1134

CJUE, 19 décembre 2019, Viscas Corp., aff. C-582/18 P, EU:C:2019:1133

CJUE, 17 mai 2018, Šiaulių regiono atliekų tvarkymo centras et « Ecoservice projektai » UAB, aff. C 531/16, EU:C:2018:324

CJUE, 1er février 2018, Deutsche Bahn e.a., aff. C-264/16 P, EU:C:2018:60

CJUE, 26 juillet 2017, AGC Glass, aff. C-517/15 P, EU:C:2017:598

CJUE, 14 mars 2017, Evonik Degussa, aff. C-162/15 P, EU:C:2017:205

CJUE, 16 juin 2016, Evonik Degussa e.a., aff. C 155/14 P, EU:C:2016:446

CJUE, 14 septembre 2010, Akzo Nobel Chemicals, aff. C-550/07 P, EU:C:2010:512

CJCE, 28 juin 2005, Dansk Rørindustri e.a., aff. jtes C-189/02 P, C-202/02 P, C-205/02 P à C-208/02 P et C-213/02 P

CJCE, 21 mars 1991, Italie c/ Commission, aff. C-303/88, EU:C:1991:136

CJCE, 7 juin 1983, Musique Diffusion française e.a., aff. jtes 100 à 103/80, EU:C:1983:158

CJCE, 14 juillet 1972, ICI, aff. 48-69, EU:C:1972:70

Trib. UE, 24 septembre 2019, Printeos e.a., aff. T 466/17, EU:T:2019:671

Trib. UE, 12 juillet 2018, Silec e.a., aff. T-438/14, EU:T:2018:447

TPICE, 13 décembre 2001, Compañia española para la fabricación de aceros inoxidables, aff. T-48/98, EU:T:2001:289

TPICE, 21 janvier 1999, Neue Maxhütte Stahlwerke, aff. jtes T-129/95, T-2/96 et T-97/96, EU:T:1999:7

TPICE, 14 mai 1998, Mayr-Melnhof Kartongesellschaft, aff. T-347/94, EU:T:1998:101

France

CE, 13 octobre 1999, Air France c/ ADP, n° 193195 (concl. rapp. publ. Arrighi de Casanova)

CA Paris, pôle 5, ch. 7, 3 décembre 2020, Brenntag, RG 13/13058

CA Paris, pôle 5, ch. 7, 18 juin 2020, L’Oréal, RG 19/08826

CA Paris, pôle 5, ch. 7, 15 mars 2018, L M e.a., RG 16/14231

CA Paris, pôle 5, ch. 5-7, 6 juillet 2017, Smith & Smith Characters e.a., RG 2016/22365

CA Paris, pôle 5, ch. 5-7, 27 octobre 2016, Beiersdorf e.a., RG 15/01673

CA Paris, pôle 5, ch. 5-7, 25 septembre 2014, Bigard, RG 2013/05595

Aut. conc., déc. n° 20-D-19 du 25 novembre 2020 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur des marchés de fourniture de produits alimentaires de l’établissement public national France AgriMer

Aut. conc. déc. n° 12-D-09 du 13 mars 2012 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur des farines alimentaires

 

Bibliographie

Aut. conc., Communiqué du 16 mai 2011 relatif à la méthode de détermination des sanctions pécuniaires

BOUTARD LABARDE (M.-Ch.), CANIVET (G.), CLAUDEL (E.), MICHEL-AMSELLEM (V.) et VIALENS (J.), L’application en France du droit des pratiques anticoncurrentielles, Paris, LGDJ, 2008

Communication de la Commission relative aux procédures de transaction engagées en vue de l’adoption de décisions en vertu des articles 7 et 23 du règlement (CE) no 1/2003 du Conseil dans les affaires d’entente, JOUE no C 167 du 2 juillet 2008, p. 1

Communication de la Commission sur l’immunité d’amendes et la réduction de leur montant dans les affaires portant sur des ententes, JOCE no C 298 du 8 décembre 2006, p. 17

CORNU (G.) (dir.), Vocabulaire juridique, 12e éd., Paris, PUF, 2018

ILIOPOULOU (A.), « Le principe d’égalité et de non-discrimination », in Droit administratif européen, J.-B. Auby et J. Dutheil de la Rochère (dir.), Bruxelles, Bruylant, 2007

KARPENSCHIF (M.), « L’investisseur privé en économie de marché », Concurrences no 3-2011, art. no 37424, www.concurrences.com

LENAERTS (K.), « L’égalité de traitement en droit communautaire, un principe unique aux apparences multiples », CDE 1991, p. 3

PEIFFERT (O.), « Comparaison n’est pas raison : Pour une clarification du critère de sélectivité d’une aide d’État », Concurrences no 3-2017, art. no 84402, p. 52

VOSS (K.), « The Principle of Equality : A Limit to the Commission’s Discretion in EU Competition Law Enforcement ? », Global Antitrust Review, 2013, no 6, p. 149

Auteurs

Citation

Adriano Capuocciolo, Hugues Villey-Desmeserets, Principe d’égalité de traitement, Dictionnaire de droit de la concurrence, Concurrences, Art. N° 89186

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Éditeur Concurrences

Date 1er février 2023

Nombre de pages 842

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Définition institution

"3. Le principe d’égalité de traitement, qui exige que des situations comparables ne soient pas traitées de manière différente et que des situations différentes ne soient pas traitées de manière égale, à moins qu’un tel traitement ne soit objectivement justifié, constitue un principe général du droit de l’Union, consacré par les articles 20 et 21 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne." Affaire C-550/07 P - Akzo Nobel Chemicals Ltd et Akcros Chemicals Ltd contre Commission européenne

 
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