Pratiques discriminatoires

 

Définition auteur

 

Premier aperçu

Dans l’absolu, la discrimination consiste soit à traiter différemment deux personnes qui sont dans une situation identique, soit à traiter identiquement deux personnes qui sont dans une situation différente. En droit de la concurrence, les pratiques discriminatoires, par lesquelles leur auteur soumet sans justification objective les opérateurs économiques à des conditions non-égalitaires, peuvent être appréhendées soit comme pratique restrictive de concurrence, soit comme pratique anticoncurrentielle.

S’agissant, en premier lieu, du droit des pratiques restrictives, l’article L. 442-1 du Code de commerce, dans sa rédaction retouchée par la loi n° 2021-1357 du 18 octobre 2021 visant à protéger la rémunération des agriculteurs, permet d’engager la responsabilité civile de l’opérateur économique qui, concernant les produits alimentaires et les produits destinés à l’alimentation des animaux de compagnie, pratique à l’égard de l’autre partie ou obtient d’elle, des prix, des délais de paiement ou des conditions ou modalités de vente discriminatoires et non justifiés par des contreparties réelles prévues par la convention, en créant, de ce fait, pour ce partenaire, un désavantage ou un avantage dans la concurrence.

S’agissant, en second lieu, des pratiques anticoncurrentielles, est, en vertu de l’article L. 420-2 du Code de commerce, constitutif d’un abus de position dominante le fait, par une entreprise ou un groupe d’entreprises en position dominante sur un marché, de recourir à des conditions de vente discriminatoires. Le recours à de telles conditions est également caractéristique, d’après le même texte, d’un abus de dépendance économique lorsqu’il émane d’une entreprise ou d’un groupe d’entreprises qui exploite l’état de dépendance économique dans lequel se trouve à son égard une entreprise cliente ou fournisseur, dès lors qu’une telle pratique est susceptible d’affecter le fonctionnement ou la structure de la concurrence. Dans un sens proche, l’article 102 du TFUE qualifie d’abus de position dominante le fait, par une ou plusieurs entreprises, d’exploiter de façon abusive une position dominante sur le marché intérieur ou dans une partie substantielle de celui-ci en appliquant à l’égard de partenaires commerciaux des conditions inégales à des prestations équivalentes, qui aboutit à leur infliger un désavantage dans la concurrence. Pour être caractéristique d’une pratique anticoncurrentielle, la différence de traitement discriminatoire doit être génératrice d’une atteinte à la concurrence.

 

Pour aller plus loin

Antérieurement à l’ordonnance n° 2019-359 du 24 avril 2019 portant refonte du titre IV du livre IV du code de commerce relatif à la transparence, aux pratiques restrictives de concurrence et aux autres pratiques prohibées, certaines pratiques discriminatoires ont été regardées comme caractéristiques de pratiques restrictives de concurrence. Dans ce sens, il ressort d’une réponse ministérielle rendue au cours de l’année 2015 que le fait, pour un vendeur, de renoncer à réclamer le paiement de pénalités de retard peut engager sa responsabilité civile pour pratique discriminatoire sur le fondement de l’ancien article L. 442-6 du Code de commerce dès lors qu’il est démontré que cette renonciation, effectuée sans contrepartie, a entraîné un préjudice indemnisable pour un concurrent de l’acheteur (Rép. min. n° 18436 ; JOAN Q, 4 déc. 1995, p. 515). S’agissant des obligations inhérentes à la facturation, il ressort, à l’opposé, d’un arrêt rendu par la Chambre commerciale de la Cour de cassation le 8 février 2005 que le fait que les mentions apposées sur une facture de coopération ou de participation publicitaire soient insuffisantes au regard de l’obligation de facturation détaillée, édictée par l’article L. 441-9 du Code de commerce, n’est pas à lui seul de nature à établir ou à faire présumer l’existence d’une pratique discriminatoire (Cass. Com., 8 févr. 2005, n° 02-12.855). Une pratique discriminatoire peut par ailleurs, à suivre l’Autorité de la concurrence, être restrictive de concurrence lorsqu’elle a pour objet ou pour effet d’évincer un concurrent du marché, ou encore, lorsque des clients de l’entreprise en position dominante se voient désavantagés dans la concurrence sur leur propre marché (Aut. conc., 27 janv. 2009, déc. n° 09-D-04 – Aut. conc., 30 juin 2010, déc. n° 10-MC-01). Si ses conséquences vont au-delà, impactent négativement le marché, portent atteinte à la concurrence, la pratique discriminatoire peut devenir une pratique anticoncurrentielle.

L’appréhension de la pratique discriminatoire comme abus de position dominante n’est pas toujours aisée. Par ailleurs, elle pourrait, dans une certaine mesure, être regardée comme étant en contradiction avec la liberté contractuelle, qui passerait alors au second plan par rapport à la protection du marché. A suivre la jurisprudence de l’Autorité de la concurrence, la discrimination constitutive, qui réside dans des différences de traitement injustifiées, peut soit consister à renforcer de manière artificielle l’entreprise qui la met en œuvre dans la compétition qu’elle livre sur le marché dominé ou sur un autre marché, soit porter atteinte au jeu concurrentiel sans que l’entreprise qui la met en œuvre ne soit directement partie prenante sur le marché affecté (Aut. conc., 28 févr. 2013, déc. n° 13-D-07 ; Contrat, conc., consomm. 2013, comm. n° 91, obs. M. Chagny).

Il importe, pour qu’une pratique discriminatoire soit qualifiable d’abus de position dominante, qu’elle soit à l’origine d’un désavantage dans la concurrence, au sens notamment de l’article 102 du TFUE, qu’elle soit susceptible d’avoir pour effet une distorsion de la concurrence entre l’auteur de la pratique et ses partenaires commerciaux (CJUE, 19 avr. 2018, aff. n° C-525/16 ; RTD eur. 2018, p. 812, obs. L. Idot). La position de l’Autorité de la concurrence est de la même veine. Cette dernière a ainsi considéré, dans une décision en date du 25 juillet 2017, que la promotion croisée des programmes d’une chaine de télévision sur l’antenne d’une autre ne constitue pas un abus de position dominante dès lors, d’une part, que cette pratique consiste, pour une chaîne, à annoncer la diffusion d’un programme d’une autre chaîne par un message à caractère purement informatif, d’autre part, que la pratique litigieuse n’est pas discriminatoire dans la mesure où les deux chaines sont contrôlées par le même groupe audiovisuel et qu’elle n’est pas de nature à évincer la concurrence sur le marché de la publicité télévisuelle (Aut. conc., 25 juill. 2017, déc. n° 17-D-11).

L’appréhension de la discrimination comme caractéristique d’un abus de position dominante s’est montrée à l’origine de difficultés s’agissant de la pratique, qui concerne principalement le secteur du numérique, dite de l’auto-préférence. S’agissant de cette dernière pratique, il ressort d’un arrêt rendu par le Tribunal de l’Union européenne le 10 novembre 2021 que sont interdites les pratiques ayant pour base une discrimination interne opérée entre le propre service de comparaison de produits de l’entreprise mise en cause et les services de comparaison de produits concurrents, par le biais d’un effet de levier à partir d’un marché dominé, caractérisé par de fortes barrières à l’entrée, à savoir le marché des services de recherche générale (Trib. UE, 10 nov. 2021, aff. T.-612/17).

 

Jurisprudences pertinentes

Union européenne

CJUE, 19 avril 2018, MEO – Serviços de Comunicações e Multimédia SA c/ Autoridade da Concorrência, aff. C-525/16, EU:C:2018:270

Trib. UE, 10 novembre 2021, Google LLC, anciennement Google Inc. et Alphabet, Inc. c/ Commission, aff. T-612/17, EU:T:2021:763

France

Cass. com., 8 février 2005, no 02-12.855

Aut. conc., déc. no 17-D-11 du 25 juillet 2017 relative à des pratiques mises en oeuvre dans le secteur de la publicité télévisuelle

Aut. conc., déc. no 13-D-07 du 28 février 2013 relative à une saisine de la société E-kanopi

Aut. conc., déc. no 10-MC-01 du 30 juin 2010 relative à la demande de mesures conservatoires présentée par la société Navx

Cons. conc., déc. no 09-D-04 du 27 janvier 2009 relative à des saisines de la société les Messageries Lyonnaises de Presse à l’encontre de pratiques mises en œuvre par le groupe des Nouvelles Messageries de la Presse Parisienne dans le secteur de la distribution de la presse

 

Bibliographie

Loi no 2021-1357 du 18 octobre 2021 visant à protéger la rémunération des agriculteurs, JORF no 0244 du 19 octobre 2021

Ordonnance no 2019-359 du 24 avril 2019 portant refonte du titre IV du livre IV du code de commerce relatif à la transparence, aux pratiques restrictives de concurrence et aux autres pratiques prohibées, JORF no 0097 du 25 avril 2019

CHAGNY (M.), « Le nouveau droit des pratiques restrictives de concurrence après la refonte du titre IV du livre IV du code de commerce », RLC 2019/84, p. 24

CHONE-GRIMALDI (A.-S.), « Les abus de position dominante dans le secteur numérique (réflexions à partir de la décision Google-Android) », D. 2020, p. 343

SAUTEL (O.), « La discrimination en prix : la position des autorités de concurrence à la lumière de la théorie économique », RLC 2016/55, p. 43

Auteur

  • University Littoral-Côte d’Opale

Citation

Rodolphe Mesa, Pratiques discriminatoires, Dictionnaire de droit de la concurrence, Concurrences, Art. N° 86662

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Éditeur Concurrences

Date 1er février 2023

Nombre de pages 842

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Définition institution

Voir Discrimination par les prix

 
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