Les critères de coordination et de coopération constitutifs d’une pratique concertée au sens de l’article 101, paragraphe 1, TFUE, loin d’exiger l’élaboration d’un véritable « plan », doivent être compris à la lumière de la conception inhérente aux dispositions du traité relatives à la concurrence, selon laquelle tout opérateur économique doit déterminer de manière autonome la politique qu’il entend suivre sur le marché intérieur et les conditions qu’il entend réserver à sa clientèle.
S’il est exact que cette exigence d’autonomie n’exclut pas le droit des opérateurs économiques de s’adapter intelligemment au comportement constaté ou à escompter de leurs concurrents, elle s’oppose cependant rigoureusement à toute prise de contact direct ou indirect entre de tels opérateurs, ayant pour objet ou pour effet d’aboutir à des conditions de concurrence qui ne correspondraient pas aux conditions normales du marché en cause, compte tenu de la nature des produits ou des prestations fournies, de l’importance et du nombre des entreprises et du volume dudit marché (arrêt Suiker Unie e.a./Commission, précité, pts 173 et 174).
La charge de prouver l’existence d’une pratique concertée incombe à l’autorité administrative. Cependant, même lorsque celle-ci découvre des pièces attestant de manière explicite une prise de contact illégitime entre des opérateurs, elles ne seront normalement que fragmentaires et éparses, de sorte qu’il se révèle souvent nécessaire de reconstituer certains détails par des déductions. Tout comme pour les accords anticoncurrentiels, l’existence d’une pratique concertée doit, dans la plupart des cas, être inférée d’un certain nombre de coïncidences qui considérées ensemble, peuvent constituer, en l’absence d’une autre explication cohérente, la preuve d’une violation des règles de la concurrence (arrêt du 7 janvier 2004, Aalborg Portland e.a./Commission, C-204/00 P, C-205/00 P, C-211/00 P, C-213/00 P, C-217/00 P et C-219/00 P, EU:C:2004:6, pts 55 à 57).
Ainsi, selon la jurisprudence, il suffit que l’autorité administrative démontre que l’entreprise concernée a participé à des réunions entre entreprises au caractère manifestement anticoncurrentiel, sans s’y être manifestement opposée, pour prouver sa participation à l’entente. Il incombe alors à cette entreprise d’avancer des indices de nature à établir que sa participation auxdites réunions était dépourvue de tout esprit anticoncurrentiel, en démontrant qu’elle avait indiqué à ses concurrents qu’elle participait à ces réunions dans une optique différente de la leur (arrêt Hüls/Commission, préc., pt 155). La circonstance qu’une entreprise ne donne pas suite aux résultats de ces réunions n’est pas de nature à écarter sa responsabilité, à moins qu’elle ne se soit distanciée publiquement de leur contenu (arrêt du 16 novembre 2000, Sarrió/Commission, C-291/98 P, EU:C:2000:631, pt 50).
Il a également été jugé qu’un parallélisme de comportements sur le marché peut, à certaines conditions, être considéré comme apportant la preuve de l’existence d’une concertation, en l’occurrence si la concertation en constitue la seule explication plausible (CJCE, 31 mars 1993, Ahlström Osakeyhtiö e.a. c/ Commission, aff. jtes C-89/85, C-104/85, C-114/85, C-116/85, C-117/85 et C-125/85 à C-129/85, pt 71).
En fin de compte, les notions d’« accord », de « décision d’association d’entreprises » et de « pratique concertée » appréhendent, du point de vue subjectif, des formes de collusion qui partagent la même nature et ne se distinguent que par leur intensité et par les formes dans lesquelles elles se manifestent (arrêt Commission/Anic Partecipazioni, préc., point 131). Le concept de « pratique concertée » a ainsi été introduit dans les traités aux fins de permettre l’application du droit de la concurrence à des collusions ne prenant pas la forme d’un accord formel de volontés et, par là même, plus difficiles à identifier et à établir (Trib. UE, 5 octobre 2020, Les Mousquetaires et ITM Entreprises c/ Commission, aff. T-255/17, pt 237).
Cependant, malgré l’effectivité de la notion de pratiques concertées pour lutter contre les ententes sur le marché, la distinction entre ces pratiques et les autres formes d’infraction à l’article 101, paragraphe 1, TFUE tend à s’estomper, lorsque les autorités administratives ont recours au concept d’« infraction unique, complexe et continue », sous la dénomination de laquelle des accords et des pratiques concertées peuvent coexister.
Dans le cadre de ce type d’infractions complexes, qui impliquent plusieurs producteurs pendant plusieurs années poursuivant un objectif de régulation en commun du marché, il est établi que l’on ne peut exiger de l’autorité administrative qu’elle qualifie précisément l’infraction, pour chaque entreprise et à chaque instant donné, d’accord ou de pratique concertée, dès lors que, en toute hypothèse, l’une et l’autre de ces formes d’infraction sont visées à l’article 101 TFUE. L’autorité administrative est ainsi en droit de qualifier une telle infraction complexe d’accord « et/ou » de pratique concertée, dans la mesure où cette infraction comporte des éléments devant être qualifiés d’« accord » et des éléments devant être qualifiés de « pratique concertée » (TPICE, 20 avril 1999, Limburgse Vinyl Maatschappij e.a. c/ Commission, aff. jtes T-305/94 à T-307/94, T-313/94 à T-316/94, T-318/94, T-325/94, T-328/94, T-329/94 et T-335/94, pts 696 à 698).