Pratiques concertées

 

Définition auteur

 

Premier aperçu

L’article 101, paragraphe 1, TFUE interdit les « accords entre entreprises », les « décisions d’associations d’entreprises », mais également les « pratiques concertées », qui sont susceptibles d’affecter le commerce entre États membres et qui ont pour objet ou pour effet d’empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence à l’intérieur du marché intérieur. L’article L. 420-1 du code de commerce prohibe quant à lui les « actions concertées, conventions, ententes expresses ou tacites ou coalitions » lorsqu’elles ont pour objet ou peuvent avoir pour effet d’empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence sur un marché.

Selon la jurisprudence, la notion de pratique concertée vise une forme de coordination entre entreprises qui, sans avoir été poussée jusqu’à la réalisation d’une convention proprement dite, substitue sciemment une coopération pratique entre elles aux risques de la concurrence (CJCE, 16 décembre 1975, Suiker Unie e.a. c/ Commission, aff. jtes 40/73 à 48/73, 50/73, 54/73 à 56/73, 111/73, 113/73 et 114/73, pt 26).

Une pratique concertée comporte trois éléments constitutifs.

Tout d’abord, une concertation entre des entreprises, laquelle suppose l’existence de contacts caractérisés par la réciprocité. Le Tribunal de l’Union européenne a précisé que cette condition était satisfaite lorsque la divulgation, par un concurrent à un autre, de ses intentions ou de son comportement futurs sur le marché, a été sollicitée ou, à tout le moins, acceptée par le second (TPICE, 15 mars 2000, Cimenteries CBR e.a. c/ Commission, aff. jtes T-25/95, T-26/95, T-30/95 à T-32/95, T-34/95 à T-39/95, T-42/95 à T-46/95, T-48/95, T-50/95 à T-65/95, T-68/95 à T-71/95, T-87/95, T-88/95, T-103/95 et T-104/95, pt 1849 ; TPICE, 8 juillet 2008, BPB c/ Commission, aff. T-53/03, pt 153).

Outre la concertation entre des entreprises, une pratique concertée implique un comportement sur le marché faisant suite à cette concertation et un lien de causalité entre ces deux éléments (CJCE, 8 juillet 1999, Hüls c/ Commission, aff. C-199/92 P, pt 161 ; CJCE, 8 juillet 1999, Commission c/ Anic Partecipazioni, aff. C-49/92 P, pt 118). À cet égard, il est présumé, sous réserve de la preuve contraire qu’il incombe aux opérateurs intéressés de rapporter, que les entreprises participant à la concertation et qui demeurent actives sur le marché tiennent compte des informations échangées avec leurs concurrents pour déterminer leur comportement sur ce marché. Il en sera d’autant plus ainsi lorsque la concertation a lieu sur une base régulière au cours d’une longue période (arrêts Hüls c/ Commission, préc., pt 162 et Commission c/ Anic Partecipazioni, préc., pt 121).

Tout comme pour un accord anticoncurrentiel, la prise en considération des effets concrets d’une pratique concertée est superflue lorsqu’il apparaît que l’infraction a pour objet d’empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence (CJCE, 4 juin 2009, T-Mobile Netherlands e.a., aff. C-8/08, pt 29).

 

Pour aller plus loin

Les critères de coordination et de coopération constitutifs d’une pratique concertée au sens de l’article 101, paragraphe 1, TFUE, loin d’exiger l’élaboration d’un véritable « plan », doivent être compris à la lumière de la conception inhérente aux dispositions du traité relatives à la concurrence, selon laquelle tout opérateur économique doit déterminer de manière autonome la politique qu’il entend suivre sur le marché intérieur et les conditions qu’il entend réserver à sa clientèle.

S’il est exact que cette exigence d’autonomie n’exclut pas le droit des opérateurs économiques de s’adapter intelligemment au comportement constaté ou à escompter de leurs concurrents, elle s’oppose cependant rigoureusement à toute prise de contact direct ou indirect entre de tels opérateurs, ayant pour objet ou pour effet d’aboutir à des conditions de concurrence qui ne correspondraient pas aux conditions normales du marché en cause, compte tenu de la nature des produits ou des prestations fournies, de l’importance et du nombre des entreprises et du volume dudit marché (arrêt Suiker Unie e.a./Commission, précité, pts 173 et 174).

La charge de prouver l’existence d’une pratique concertée incombe à l’autorité administrative. Cependant, même lorsque celle-ci découvre des pièces attestant de manière explicite une prise de contact illégitime entre des opérateurs, elles ne seront normalement que fragmentaires et éparses, de sorte qu’il se révèle souvent nécessaire de reconstituer certains détails par des déductions. Tout comme pour les accords anticoncurrentiels, l’existence d’une pratique concertée doit, dans la plupart des cas, être inférée d’un certain nombre de coïncidences qui considérées ensemble, peuvent constituer, en l’absence d’une autre explication cohérente, la preuve d’une violation des règles de la concurrence (arrêt du 7 janvier 2004, Aalborg Portland e.a./Commission, C-204/00 P, C-205/00 P, C-211/00 P, C-213/00 P, C-217/00 P et C-219/00 P, EU:C:2004:6, pts 55 à 57).

Ainsi, selon la jurisprudence, il suffit que l’autorité administrative démontre que l’entreprise concernée a participé à des réunions entre entreprises au caractère manifestement anticoncurrentiel, sans s’y être manifestement opposée, pour prouver sa participation à l’entente. Il incombe alors à cette entreprise d’avancer des indices de nature à établir que sa participation auxdites réunions était dépourvue de tout esprit anticoncurrentiel, en démontrant qu’elle avait indiqué à ses concurrents qu’elle participait à ces réunions dans une optique différente de la leur (arrêt Hüls/Commission, préc., pt 155). La circonstance qu’une entreprise ne donne pas suite aux résultats de ces réunions n’est pas de nature à écarter sa responsabilité, à moins qu’elle ne se soit distanciée publiquement de leur contenu (arrêt du 16 novembre 2000, Sarrió/Commission, C-291/98 P, EU:C:2000:631, pt 50).

Il a également été jugé qu’un parallélisme de comportements sur le marché peut, à certaines conditions, être considéré comme apportant la preuve de l’existence d’une concertation, en l’occurrence si la concertation en constitue la seule explication plausible (CJCE, 31 mars 1993, Ahlström Osakeyhtiö e.a. c/ Commission, aff. jtes C-89/85, C-104/85, C-114/85, C-116/85, C-117/85 et C-125/85 à C-129/85, pt 71).

En fin de compte, les notions d’« accord », de « décision d’association d’entreprises » et de « pratique concertée » appréhendent, du point de vue subjectif, des formes de collusion qui partagent la même nature et ne se distinguent que par leur intensité et par les formes dans lesquelles elles se manifestent (arrêt Commission/Anic Partecipazioni, préc., point 131). Le concept de « pratique concertée » a ainsi été introduit dans les traités aux fins de permettre l’application du droit de la concurrence à des collusions ne prenant pas la forme d’un accord formel de volontés et, par là même, plus difficiles à identifier et à établir (Trib. UE, 5 octobre 2020, Les Mousquetaires et ITM Entreprises c/ Commission, aff. T-255/17, pt 237).

Cependant, malgré l’effectivité de la notion de pratiques concertées pour lutter contre les ententes sur le marché, la distinction entre ces pratiques et les autres formes d’infraction à l’article 101, paragraphe 1, TFUE tend à s’estomper, lorsque les autorités administratives ont recours au concept d’« infraction unique, complexe et continue », sous la dénomination de laquelle des accords et des pratiques concertées peuvent coexister.

Dans le cadre de ce type d’infractions complexes, qui impliquent plusieurs producteurs pendant plusieurs années poursuivant un objectif de régulation en commun du marché, il est établi que l’on ne peut exiger de l’autorité administrative qu’elle qualifie précisément l’infraction, pour chaque entreprise et à chaque instant donné, d’accord ou de pratique concertée, dès lors que, en toute hypothèse, l’une et l’autre de ces formes d’infraction sont visées à l’article 101 TFUE. L’autorité administrative est ainsi en droit de qualifier une telle infraction complexe d’accord « et/ou » de pratique concertée, dans la mesure où cette infraction comporte des éléments devant être qualifiés d’« accord » et des éléments devant être qualifiés de « pratique concertée » (TPICE, 20 avril 1999, Limburgse Vinyl Maatschappij e.a. c/ Commission, aff. jtes T-305/94 à T-307/94, T-313/94 à T-316/94, T-318/94, T-325/94, T-328/94, T-329/94 et T-335/94, pts 696 à 698).

 

Jurisprudences pertinentes

CJUE, 21 janvier 2016, Eturas e.a., aff. C-74/14, EU:C:2016:42

CJUE, 19 mars 2015, Dole Food et Dole Fresh Fruit Europe c/ Commission, aff. C-286/13 P, EU:C:2015:184

CJCE, 4 juin 2009, T-Mobile Netherlands e.a., aff. C-8/08, EU:C:2009:343

CJCE, 7 janvier 2004, Aalborg Portland e.a. c/ Commission, aff. jtes C-204/00 P, C-205/00 P, C-211/00 P, C-213/00 P, C-217/00 P et C-219/00 P, EU:C:2004:6

CJCE, 16 novembre 2000, Sarrió c/ Commission, aff. C-291/98 P, EU:C:2000:631

CJCE, 8 juillet 1999, Hüls c/ Commission, aff. C-199/92 P, EU:C:1999:358

CJCE, 8 juillet 1999, Commission c/ Anic Partecipazioni, aff. C-49/92 P, EU:C:1999:356

CJCE, 31 mars 1993, Ahlström Osakeyhtiö e.a. c/ Commission, aff. jtes C-89/85, C-104/85, C-114/85, C-116/85, C-117/85 et C-125/85 à C-129/85, EU:C:1993:120

CJCE, 16 décembre 1975, Suiker Unie e.a. c/ Commission, aff. jtes 40/73 à 48/73, 50/73, 54/73 à 56/73, 111/73, 113/73 et 114/73, EU:C:1975:174

CJCE, 14 juillet 1972, Imperial Chemical Industries c/ Commission, aff. 48/69, EU:C:1972:70

Trib. UE, 5 octobre 2020, Les Mousquetaires et ITM Entreprises c/ Commission, aff. T-255/17, EU:T:2020:460

TPICE, 8 juillet 2008, BPB c/ Commission, aff. T-53/03, EU:T:2008:254

TPICE, 15 mars 2000, Cimenteries CBR e.a. c/ Commission, aff. jtes T-25/95, T-26/95, T-30/95 à T-32/95, T-34/95 à T-39/95, T-42/95 à T-46/95, T-48/95, T-50/95 à T-65/95, T-68/95 à T-71/95, T-87/95, T-88/95, T-103/95 et T-104/95, EU:T:2000:77

TPICE, 20 avril 1999, Limburgse Vinyl Maatschappij e.a. c/ Commission, aff. jtes T-305/94 à T-307/94, T-313/94 à T-316/94, T-318/94, T-325/94, T-328/94, T-329/94 et T-335/94, EU:T:1999:80

 

Bibliographie

BELLIS (J.-F.), Droit européen de la concurrence, 2e éd., Bruxelles, Bruylant, 2017

BOSCO (D.) et PRIETO (C.), Droit européen de la concurrence : ententes et abus de position dominante, Bruxelles, Bruylant, 2013

WHISH (R.) et BAILEY (D.), Competition Law, 10e éd., Oxford University Press, 2021

Auteur

  • General Court of the European Union (Luxembourg)

Citation

Valérie Noël, Pratiques concertées, Dictionnaire de droit de la concurrence, Concurrences, Art. N° 12331

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Éditeur Concurrences

Date 1er février 2023

Nombre de pages 842

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Définition institution

Coordination entre entreprises qui, sans être allées jusqu’à conclure un accord formel, ont sciemment adopté une coopération pratique plutôt que de s’exposer aux risques d’un marché concurrentiel. Une pratique concertée peut consister dans une prise de contact directe ou indirecte entre entreprises dont l’intention ou l’effet est soit d’influencer le comportement du marché, soit de faire connaître à leurs concurrents le comportement qu’elles entendent adopter à l’avenir. Commission européenne

 
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