Position dominante (notion)

 

Définition auteur

 

Premier aperçu

L’article 102, premier alinéa, TFUE énonce qu’est incompatible avec le marché intérieur et interdit, dans la mesure où le commerce entre les États membres est susceptible d’être affecté, le fait pour une ou plusieurs entreprises d’exploiter de façon abusive une position dominante sur le marché intérieur ou dans une partie substantielle de celui-ci. L’article L.420-2, premier alinéa, du code de commerce, prévoit, suivant une formulation quasiment identique, qu’est prohibée l’exploitation abusive par une entreprise ou un groupe d’entreprises d’une position dominante sur le marché intérieur ou une partie substantielle de celui-ci. Ainsi, la qualification d’une pratique donnée d’« exploitation abusive d’une position dominante » suppose nécessairement que l’entreprise qui met en œuvre cette pratique détienne au préalable une position dominante. Dit autrement, l’existence d’une situation de position dominante de la part d’une entreprise est la condition préalable et nécessaire à l’éventuel constat d’un abus de position dominante et, partant, à la mise en œuvre de l’article 102 TFUE (et/ou, le cas échéant, à celle de l’article L.420-2 du code de commerce).

Selon une jurisprudence ancienne et itérative, fruit d’un dialogue entre juristes et économistes, la position dominante concerne une situation de puissance économique détenue par une entreprise qui lui donne le pouvoir de faire obstacle au maintien d’une concurrence effective sur le marché pertinent en lui fournissant la possibilité de comportements indépendants dans une mesure appréciable vis-à-vis de ses concurrents, de ses clients et, finalement, des consommateurs. La position dominante peut être individuelle, en ce sens que l’entreprise en cause se trouve, seule, dans cette situation de puissance économique, ou collective, lorsque plusieurs entreprises juridiquement indépendantes les unes des autres agissent, d’un point de vue économique, comme une entité collective sur le marché pertinent.

Pour établir l’existence d’une situation de position dominante, il convient donc, en principe, de déterminer en amont le marché pertinent, en vue de définir le périmètre à l’intérieur duquel doit être appréciée la question de savoir si l’entreprise en cause est à même d’exploiter de façon abusive cette position dominante. Cette détermination du marché pertinent suppose elle-même de définir, en premier lieu, le marché de produits et, en second lieu, le marché géographique. Ce n’est qu’une fois que le marché pertinent aura été déterminé que pourra être recherché si l’entreprise en cause détient une position dominante sur ce marché. À cet égard, il convient toutefois de souligner que la seule constatation de l’existence d’une position dominante n’implique, en soi, aucun reproche à l’égard de l’entreprise concernée, mais fait cependant peser sur celle-ci la responsabilité particulière de ne pas porter atteinte, par son comportement, à une concurrence effective et non faussée dans le marché intérieur.

 

Pour aller plus loin

Pour déterminer l’existence d’une position dominante sur le marché pertinent, différents critères, indices et facteurs d’ordre notamment économique peuvent être examinés. En effet, l’existence d’une position dominante résulte en général de la réunion de plusieurs facteurs qui, pris isolément, ne seraient pas nécessairement déterminants.

Au premier rang de ces facteurs figure la part de marché de l’entreprise en cause, qui permet d’apprécier la situation dans laquelle cette entreprise se trouve vis-à-vis de ses concurrents, de ses clients et des consommateurs. À cet égard, il ressort de la jurisprudence que des parts de marché extrêmement importantes constituent par elles-mêmes, et sauf circonstances exceptionnelles, la preuve de l’existence d’une position dominante. En effet, la possession d’une part de marché extrêmement importante met l’entreprise qui la détient pendant une certaine durée, par le volume de production et d’offre qu’elle représente, dans une situation de force qui fait d’elle un partenaire obligatoire et qui, déjà de ce fait, lui assure, tout au moins pendant des périodes relativement longues, l’indépendance de comportement caractéristique de la position dominante (Trib. UE, 25 juin 2010, Imperial Chemical Industries c/ Commission, aff. T-66/01).

En pratique, il a déjà été jugé qu’une part de marché inférieure à 10 % excluait l’existence d’une position dominante (CJCE, 22 octobre 1986, Metro c/ Commission, aff. 75/84), alors qu’une part de marché supérieure ou égale à 50 % constituait, par elle-même et sauf circonstances exceptionnelles, la preuve de l’existence d’une position dominante (CJCE, 3 juillet 1991, AKZO c/ Commission, aff. C-62/86). Dans ce prolongement, il a également été jugé qu’une part de marché de 70 à 80 % constituait un indice clair de l’existence d’une position dominante (TPICE, 12 décembre 1991, Hilti c/ Commission, aff. T-30/89).

De son côté, la Commission européenne a fait savoir, dans sa communication intitulée « Orientations sur les priorités retenues par la Commission pour l’application de l’article [102 TFUE] aux pratiques d’éviction abusives des entreprises dominantes », qu’elle considérait que des parts de marché modestes étaient généralement un bon indicateur de l’absence d’un fort pouvoir de marché, et que si la part de marché de l’entreprise en cause représentait moins de 40 % du marché pertinent, il était peu probable qu’elle s’y trouve en position dominante.

Pour évaluer l’importance de la part de marché de l’entreprise dominante, il convient toutefois de tenir compte des parts de marché respectives de ses différents concurrents. En effet, la valeur absolue de cette part de marché n’est parfois qu’un indicateur abstrait, et ce n’est que si la disproportion entre la part de marché de l’entreprise en cause et les parts de marché de ses concurrents est importante que l’on peut présumer l’existence d’une position dominante. Ainsi, il n’est pas totalement exclu qu’une entreprise qui détiendrait une part de marché de 30 % puisse se trouver en situation de position dominante face à une multitude de concurrents dont les parts de marché respectives seraient extrêmement faibles, alors que tel ne serait probablement pas le cas si cette même entreprise devait uniquement faire face à trois concurrents principaux dont les parts de marché respectives s’élèveraient à plus de 20 %.

Parmi les autres facteurs qui peuvent être pris en compte pour déterminer la position d’une entreprise sur le marché pertinent, on retrouve un ensemble de facteurs pouvant schématiquement s’analyser comme des avantages structurels, tels que, par exemple, l’importance des droits de propriété intellectuelle détenus, l’importance des autres droits de nature réglementaire, les barrières à l’entrée du marché pertinent, les avantages liés à la position de premier entrant, les investissements de recherche et développement, l’évolution de la structure du marché ou encore les ressources financières de l’entreprise en cause.

 

Jurisprudences pertinentes

CJCE, 3 juillet 1991, AKZO c/ Commission, aff. C-62/86, EU:C:1991:286

CJCE, 22 octobre 1986, Metro c/ Commission, aff. 75/84, EU:C:1986:399

CJCE, 9 novembre 1983, Nederlandsche Banden-Industrie-Michelin c/ Commission, aff. 322/81, EU:C:1983:313

CJCE, 13 février 1979, Hoffmann-La Roche c/ Commission, aff. 85/76, EU:C:1979:36

CJCE, 14 février 1978, United Brands et United Brands Continentaal c/ Commission, aff. 27/76, EU:C:1978:22

Trib. UE, 25 juin 2010, Imperial Chemical Industries c/ Commission, aff. T-66/01, EU:T:2010:255

TPICE, 17 septembre 2007, Microsoft c/ Commission, aff. T-201/04, EU:T:2007:289

TPICE, 12 décembre 1991, Hilti c/ Commission, aff. T-30/89, EU:T:1991:70

 

Bibliographie

Communication de la Commission, Orientations sur les priorités retenues par la Commission pour l’application de l’article 82 du traité CE aux pratiques d’éviction abusives des entreprises dominantes, JOUE no C 45 du 24 février 2009, p. 7

BOSCO (D.) et PRIETO (C.), Droit européen de la concurrence : ententes et abus de position dominante, Bruxelles, Bruylant, 2013, chap. 2 « La domination du marché », p. 815

COMBE (E.), Économie et politique de la concurrence, 2e éd., Paris, Dalloz, 2020, chap. 5 « L’abus de position dominante », p. 281

DESAUNETTES-BARBERO (L.) et THOMAS (E.), Droit matériel européen des abus de position dominante : textes et commentaires, Bruxelles, Bruylant, 2019, titre 4 « L’abus », p. 117

Auteur

  • European Court of Justice (Luxembourg)

Citation

Maxime Hauviller, Position Dominante (Notion), Dictionnaire de droit de la concurrence, Concurrences, Art. N° 86012

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Éditeur Concurrences

Date 1er février 2023

Nombre de pages 842

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Définition institution

La notion de position dominante a été définie par la Cour de Justice de l’Union Européenne dans l’affaire 2/76 United Brands Company et United Brands Continentaal BV contre Commission des Communautés européennes comme étant : « une position de puissance économique détenue par une entreprise qui lui donne le pouvoir de faire obstacle au maintien d’une concurrence effective sur le marché en cause en lui fournissant la possibilité de comportements indépendants dans une mesure appréciable vis-à-vis de ses concurrents, de ses clients et, finalement, des consommateurs. » © Cour de Justice de l’Union Européenne

Une entreprise occupe une position dominante lorsqu’elle est en mesure d’agir indépendamment de ses concurrents, clients, fournisseurs et, en définitive, du consommateur final. Une entreprise en position dominante, détenant un tel pouvoir de marché, pourrait fixer ses prix à un niveau supraconcurrentiel, vendre des produits de qualité inférieure ou ramener son niveau d’innovation à un seuil inférieur à celui qui serait le sien sur un marché concurrentiel. En droit européen de la concurrence, il n’est pas illégal de détenir une position dominante, car celle-ci peut être obtenue par des moyens concurrentiels légitimes, par exemple en concevant et en vendant un meilleur produit. En revanche, les règles de concurrence n’autorisent pas les entreprises à abuser de leur position dominante (abus de position dominante). Le système européen de contrôle des opérations de concentration (procédure de contrôle des opérations de concentration) diffère de ce principe en ce sens qu’il interdit aux entités fusionnées d’acquérir ou de renforcer une position dominante au moyen d’une opération de concentration. Une position dominante peut également être détenue en commun par deux ou plusieurs entités économiques indépendantes liées par des liens économiques sur un marché donné. Il s’agit dans ce cas d’une position dominante collective (ou encore conjointe ou oligopolistique). Comme le Tribunal l’a indiqué dans l’arrêt Gencor, sur le plan juridique ou économique, il n’existe aucune raison d’exclure de la notion de lien économique la relation d’interdépendance existant entre membres d’un oligopole restreint étant chacun en mesure de prévoir leurs comportements réciproques et étant donc fortement incités à aligner leur comportement sur le marché. Voir l’article 102 du Traité sur le fonctionnement de l’UE et le règlement sur les concentrations, en ce qui concerne la position dominante collective voir également la décision 97/26/CE de la Commission du 24 avril 1996 dans l’affaire IV/M.619 - Gencor/Lonrho (JO L 11 du 14.1.1997, p. 30) et l’arrêt du Tribunal de première instance du 25 mars 1999 dans l’affaire T-102/96, Gencor Ltd/Commission, Recueil 1999, p. II-0753. Commission européenne

(...) Une entreprise en position dominante est une entreprise qui a acquis une position si forte sur le marché qu’elle peut élaborer sa stratégie commerciale en faisant abstraction, dans une certaine mesure, de la pression exercée par ses concurrents. Pour déterminer si une entreprise est en position dominante, l’Autorité recourt à un faisceau de critères : parts de marché, niveaux des prix ou des marges, nature des relations avec les clients, barrières à l’entrée… La position dominante d’une entreprise peut résulter de privilèges de fait ou de droit accordés par la puissance publique ou bien d’une position acquise par les mérites propres, par exemple au travers d’une stratégie commerciale ou d’investissements particulièrement pertinents. En tant que telle, la position dominante ne constitue en rien une infraction au droit de la concurrence. En revanche, une entreprise en position dominante a des responsabilités particulières et ne doit pas abuser de sa position. (...) © Autorité de la concurrence

Une entreprise est dite « dominante » lorsqu’elle détient une part substantielle d’un marché donné, et que cette part est nettement plus importante que celle de son concurrent le plus sérieux. On considère généralement qu’une entreprise est dominante lorsqu’elle détient une part de marché de 40 pour cent ou plus. Les entreprises dominantes peuvent poser des problèmes de concurrence lorsqu’elles sont en mesure de fixer leurs prix en toute indépendance. Une industrie comportant une entreprise dominante connaît donc souvent une situation d’oligopole car elle se caractérise par l’existence d’un petit nombre d’entreprises. Il s’agit néanmoins d’un oligopole asymétrique, puisque les entreprises ne sont pas toutes de la même taille. En règle générale, l’entreprise dominante se trouve confrontée à un certain nombre de concurrents de petite taille, qui constituent la « frange concurrentielle ». Cette frange concurrentielle comprend parfois un certain nombre d’entrants potentiels. Par conséquent, l’entreprise dominante peut être un monopoleur confronté à des entrants potentiels. Comme dans le cas du monopoleur, la courbe de demande de l’entreprise dominante est décroissante. Mais, à la différence du monopoleur, l’entreprise dominante doit prendre en compte dans ses décisions de prix ou de niveau de production les entreprises de la frange concurrentielle. Par rapport à ces dernières, elle est en principe censée bénéficier d’un avantage concurrentiel (des coûts plus faibles, par exemple). La notion de « frange concurrentielle » découle de la théorie de la fixation des prix par une entreprise dominante. On admet généralement que l’entreprise dominante fixe ses prix après avoir accordé une fraction du marché à la frange concurrentielle, qui accepte ce prix en l e considérant comme donné. Les entreprises dominantes peuvent être visées par la politique de la concurrence lorsqu’elles acquièrent ou maintiennent leur position dominante grace à des pratiques anticoncurrentielles. © OCDE

Voir aussi Oligopole, Abus de position dominante et Abus de dépendance économique

 
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