Dès que ces dernières considérations entrent en jeu les politiques industrielles se compliquent et peuvent donner lieu à des formes très éloignées du modèle théorique précédent. Il en est de même lorsque les gouvernements se laissent capturer par des intérêts particuliers.
Le caractère sélectif des politiques industrielles et les avantages qu’elles procurent aux entreprises choisies (subventions, crédits, réductions fiscales, etc.) conduisent à exacerber les activités de lobbying et les risques de capture. La politique industrielle peut alors dériver vers une sorte de clientélisme et profiter à des entreprises qui n’en ont pas besoin mais savent se faire entendre. Cette dérive n’a rien cependant d’inéluctable. Le manque d’une résistance à toute épreuve de la puissance publique face aux lobbies et son déficit d’information pour sélectionner à bon escient les entreprises ne sont pas des obstacles insurmontables qui conduiraient par conséquent à éviter de mettre en œuvre des politiques industrielles malgré leurs mérites théoriques. La preuve en est donnée par les politiques industrielles adoptées aujourd’hui. Elles sont mieux préalablement informées, mieux conçues en comprenant notamment des clauses d’extinction et des subventions remboursables, plus transparentes, et enfin mieux contrôlées et évaluées.
Les considérations de politique extérieure, quant à elles, compliquent la donne de deux façons. En premier lieu, elles peuvent servir de prétexte pour protéger et accorder des rentes à certains secteurs : la politique industrielle sert alors de faux-nez à des politiques protectionnistes et mercantilistes. En second lieu, elles imposent d’articuler soigneusement la politique industrielle aux politiques de commerce extérieur et de défense nationale. A défaut de protection assurée contre la concurrence étrangère déloyale, une politique industrielle même bien conçue peut se solder par un échec. Pour des raisons de souveraineté, il peut être justifié de mener une politique industrielle en faveur d’entreprises traditionnelles sans espoir de gains exceptionnels de productivité et de croissance.
A propos d’adéquation entre différentes politiques, il est important de rappeler que la politique de concurrence n’est pas l’ennemie de la politique industrielle et réciproquement. Sauf bien sûr à considérer dans une vision simpliste et erronée que la politique industrielle a pour but de créer des champions de grande taille et la politique de concurrence celui de sanctionner la grande taille per se. L’Europe peut être citée en exemple avec sa politique de contrôle des aides d’Etat qui réduit les risques d’effets anticoncurrentiels des politiques industrielles nationales et plus récemment sa politique en matière d’alliances industrielles qui prend soin d’encourager plusieurs consortia par exemple pour les batteries et l’hydrogène et non à en favoriser ou vouloir en créer un seul.