Politique Industrielle

 

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Premier aperçu

La politique industrielle a longtemps été proscrite, officiellement sinon dans les faits. Pour ses contempteurs la meilleure des politiques industrielles était de ne pas en mener. L’argument se résumant à l’incapacité de l’Etat de résister aux lobbies et d’identifier à l’avance les futurs champions et les secteurs d’avenir. Pour ses partisans, le terme même devait être évité. Un document de travail de la Banque mondiale sur les principes de la politique industrielle s’intitule ironiquement « La politique qui ne doit pas être nommée ». Il date de 2019. Depuis le terme n’est plus tabou, y compris à Bruxelles.

L’absence d’une définition généralement admise de ce qu’est la politique industrielle explique en partie la querelle. Pour certains elle se borne aux aides publiques à l’industrie manufacturière, pour d’autres elle concerne tous les secteurs d’activité et comprend les mesures de soutien à la R&D ainsi que la formation professionnelle. Ni l’une ni l’autre approche ne conviennent car elles ignorent deux traits fondamentaux des politiques industrielles. En premier lieu, ce sont des politiques sélectives : elles ciblent certaines entreprises et certains secteurs. Et non toutes les entreprises, ni même toutes celles du seul secteur manufacturier. Ce sont des politiques dites verticales, et non horizontales comme le sont par exemple la politique de concurrence ou la politique fiscale sur les bénéfices des sociétés.

En second lieu, les deux approches occultent l’objectif même de la politique industrielle, à savoir viser des gains de productivité et son corolaire une plus forte croissance économique. Comme le propose l’économiste Dani Rodrik, le terme de ‘politique de productivité’ serait mieux approprié que la vague qualification ‘industrielle’. D’autant qu’il se réfère alors plus largement au défi que cherchent à relever les politiques industrielles : réorienter la structure de production vers des activités nouvelles qui offrent des perspectives de productivité et d’expansion plus élevées.

Un tel changement structurel appelle l’intervention publique car le marché se heurte à toute une série d’effets externes. Citons les retombées d’apprentissage (spillovers), par exemple lors du déploiement d’une technologie qui réduit le coût pour les autres industriels à l’instar de l’installation à grande échelle d’éoliennes. Citons également les défaillances de coordination et d’agglomération. Une entreprise investit et se localise sans tenir compte des bénéfices ou pertes que sa décision peut entraîner pour les autres entreprises de la filière ou de la zone d’activité. A la sélectivité et à la productivité s’ajoute donc un troisième attribut fondamental de la politique industrielle : la correction d’externalités sans laquelle la réorientation structurelle serait plus lente et de moindre ampleur.

Ce triptyque peut s’enrichir de caractéristiques secondaires comme un objectif d’emploi local, ou une portée délibérément circonscrite à des entreprises manufacturières ou à des entreprises de haute technologie. Il est important de noter qu’ainsi définie par ces trois attributs, la politique industrielle n’est pas au service des entreprises en difficulté et sans avenir, ni même plus largement de l’industrie toute entière, mais bien au service de l’intérêt général, et que son adoption se justifie parfaitement dans une économie fermée, c’est-à-dire en dehors de toutes considérations de compétitivité internationale, de souveraineté, et d’échanges avec des nations qui ne respectent pas les règles du commerce international.

 

Pour aller plus loin

Dès que ces dernières considérations entrent en jeu les politiques industrielles se compliquent et peuvent donner lieu à des formes très éloignées du modèle théorique précédent. Il en est de même lorsque les gouvernements se laissent capturer par des intérêts particuliers.

Le caractère sélectif des politiques industrielles et les avantages qu’elles procurent aux entreprises choisies (subventions, crédits, réductions fiscales, etc.) conduisent à exacerber les activités de lobbying et les risques de capture. La politique industrielle peut alors dériver vers une sorte de clientélisme et profiter à des entreprises qui n’en ont pas besoin mais savent se faire entendre. Cette dérive n’a rien cependant d’inéluctable. Le manque d’une résistance à toute épreuve de la puissance publique face aux lobbies et son déficit d’information pour sélectionner à bon escient les entreprises ne sont pas des obstacles insurmontables qui conduiraient par conséquent à éviter de mettre en œuvre des politiques industrielles malgré leurs mérites théoriques. La preuve en est donnée par les politiques industrielles adoptées aujourd’hui. Elles sont mieux préalablement informées, mieux conçues en comprenant notamment des clauses d’extinction et des subventions remboursables, plus transparentes, et enfin mieux contrôlées et évaluées.

Les considérations de politique extérieure, quant à elles, compliquent la donne de deux façons. En premier lieu, elles peuvent servir de prétexte pour protéger et accorder des rentes à certains secteurs : la politique industrielle sert alors de faux-nez à des politiques protectionnistes et mercantilistes. En second lieu, elles imposent d’articuler soigneusement la politique industrielle aux politiques de commerce extérieur et de défense nationale. A défaut de protection assurée contre la concurrence étrangère déloyale, une politique industrielle même bien conçue peut se solder par un échec. Pour des raisons de souveraineté, il peut être justifié de mener une politique industrielle en faveur d’entreprises traditionnelles sans espoir de gains exceptionnels de productivité et de croissance.

A propos d’adéquation entre différentes politiques, il est important de rappeler que la politique de concurrence n’est pas l’ennemie de la politique industrielle et réciproquement. Sauf bien sûr à considérer dans une vision simpliste et erronée que la politique industrielle a pour but de créer des champions de grande taille et la politique de concurrence celui de sanctionner la grande taille per se. L’Europe peut être citée en exemple avec sa politique de contrôle des aides d’Etat qui réduit les risques d’effets anticoncurrentiels des politiques industrielles nationales et plus récemment sa politique en matière d’alliances industrielles qui prend soin d’encourager plusieurs consortia par exemple pour les batteries et l’hydrogène et non à en favoriser ou vouloir en créer un seul.

 

Bibliographie

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RODRIK (D.), « Industrial Policy for the Twenty-First Century », in One Economics, Many Recipes, Princeton University Press, 2007, chap. 4

Auteur

Citation

François Lévêque, Politique industrielle, Dictionnaire de droit de la concurrence, Concurrences, Art. N° 108403

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Éditeur Concurrences

Date 1er février 2023

Nombre de pages 842

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