Si les contours et les critères de la définition d’une concentration demeurent imprécis, les autorités de concurrence et leurs juridictions de contrôle ont fourni de nombreuses indications sur la manière dont elles apprécient cette notion. C’est à l’aulne de leurs lignes directrices ou communications et de leurs décisions que la notion de concentration se définit en droit de la concurrence.
Quelle que soit sa forme, la notion de concentration implique des activités économiques indépendantes antérieurement à l’opération, c’est-à-dire l’existence d’offres ou de demandes distinctes de biens ou de services sur un marché. Une opération au sein d’un même groupe d’entreprises ou entre entreprises qui sont contrôlées, directement ou indirectement, par la même entreprise ou la même personne, n’est donc pas une concentration. À cet égard, une « personne », au sens de l’article L. 430-1, comprend les personnes morales de droit privé, les organismes de droit public lorsqu’ils agissent par l’intermédiaire d’une entreprise, et les personnes physiques lorsqu’elles exercent des activités économiques pour leur compte propre ou si elles contrôlent au moins une autre entreprise avant l’opération. Par ailleurs, si la qualification d’une présence sur le marché ne soulève pas de difficulté particulière pour une entreprise ou une personne, des actifs constituent une activité économique seulement si un chiffre d’affaires peut leur être rattaché sans ambiguïté.
La notion d’influence déterminante est au cœur de la définition d’une concentration qui se réalise sous forme de prise de contrôle ou de création d’une entreprise commune. Elle désigne la possibilité de contrôler les décisions stratégiques d’une entreprise, telles que la nomination et la révocation de ses dirigeants, le vote du budget et l’approbation du plan d’affaires. D’autres décisions peuvent également être considérées comme stratégiques, comme le vote d’investissements dont le seuil est susceptible de bloquer la gestion de l’entreprise, c’est-à-dire à un niveau qui va au-delà de la protection habituellement accordée à des actionnaires minoritaires. Ce contrôle peut être positif (l’entreprise peut adopter ces décisions) ou négatif (l’entreprise peut bloquer ces décisions) et s’apprécie avec un faisceau d’indices établi sur les circonstances de droit et de fait d’un cas d’espèce. Cette analyse est donc indifférente aux montages juridiques retenus par les parties à une opération, même si le changement de contrôle ne résulte pas d’une intention des entreprises de le réaliser. L’influence déterminante peut en effet résulter de relations contractuelles ou de l’exercice de droits de vote minoritaires en droit, mais suffisants, en pratique, pour prendre unilatéralement des décisions stratégiques. À cet égard, la détention minoritaire du capital dans une entreprise est susceptible de constituer un indice d’une influence déterminante en présence d’un éparpillement de l’actionnariat ou d’une absence régulière de représentation d’autres actionnaires minoritaires lors des votes en assemblée générale de l’entreprise. Toute évolution dans la détention minoritaire du capital d’une entreprise dans ces conditions doit être analysée au regard de ces critères. En outre, d’autres éléments, telles des relations contractuelles ou des relations financières, ajoutés aux droits conférés à un actionnaire minoritaire, peuvent établir un contrôle de fait. Dans des situations particulières, les autorités de contrôle ont également pu établir une influence déterminante sans aucune participation au capital.
Toute concentration implique par ailleurs un changement durable, que ce soit au niveau du contrôle exercé sur une entreprise ou de la structure qui résulte de l’opération. Dans la mesure où la concentration ne relève pas d’une pratique, c’est-à-dire d’un accord entre entreprises, mais d’un changement dans la structure d’un marché en créant une nouvelle offre ou une nouvelle demande sur un marché, elle ne doit pas revêtir un caractère temporaire ou transitoire pour être qualifiée au regard des dispositions du titre III, livre IV, du code de commerce.
Enfin, des opérations multiples constituent une seule et même opération de concentration dès lors qu’elles sont interdépendantes, au sens où une opération n’aurait pas été effectuée sans l’autre. Il convient en effet de traiter comme une concentration unique les opérations étroitement liées : elles font nécessairement l’objet d’un lien conditionnel.
Les trois formes de concentration énoncées à l’article L. 430-1 du code de commerce soulèvent par ailleurs des questions spécifiques.
La fusion entraîne la disparition d’au moins une des personnalités morales des entreprises concernées par l’opération : elle conduit à la création d’une nouvelle entreprise ou à la disparition de l’une d’entre elle. La fusion de fait est un cas particulier qui ne fait pas disparaître les personnalités morales des entreprises concernées : elle consiste en la réunion d’activités économiques indépendantes au sein d’un seul et même ensemble économique, caractérisé par une gestion économique unique et durable qui s’apprécie par le biais d’un faisceau d’indices, tels que l’existence de participations croisées, la consolidation des comptes, la compensation des profits et des pertes, la répartition des recettes ou leur responsabilité solidaire.
La prise de contrôle revêt deux formes, selon la nature du contrôle qui peut être exclusif ou conjoint. Si une entreprise peut, seule, adopter ou bloquer les décisions stratégiques d’une entreprise, elle dispose sur celle-ci d’un contrôle exclusif. Dans le cas où plusieurs entreprises doivent s’entendre pour adopter ou bloquer ces décisions, c’est-à-dire que chacune des entreprises a la possibilité de bloquer des décisions stratégiques, il s’agit d’un contrôle conjoint qui résulte généralement d’un pacte d’actionnaires qui prévoit notamment les modalités de vote. Lorsqu’il n’existe aucune modalité de votes explicite et que les décisions stratégiques d’une entreprise sont soumises à des alliances fluctuantes entre leurs actionnaires, aucun contrôle ne peut être caractérisé, au sens du droit de la concurrence.
La création d’une entreprise commune de plein exercice est sans doute la forme de concentration la plus complexe à caractériser. L’article L. 430-1 du code de commerce prévoit qu’elle doit accomplir de manière durable toutes les fonctions d’une entité économique autonome et revêt, à ce titre, de nombreuses formes, l’entreprise commune pouvant même préexister à l’opération. En effet, la création d’une entreprise commune peut résulter de la création d’une structure commune nouvelle, de l’apport d’actifs que des entreprises détenaient en propre ou de l’acquisition par un ou plusieurs nouveaux actionnaires d’un contrôle sur une entreprise commune préexistante, qui lui confère un caractère de plein exercice. Le contrôle exercé par chaque entreprise sur l’entreprise commune doit être réel.
Une entreprise commune est de plein exercice si elle dispose de ressources suffisantes (ressources humaines et financières) pour opérer de façon autonome sur un marché en y accomplissant les fonctions qui sont normalement exercées par les autres entreprises actives sur ce marché. À défaut, l’entreprise commune n’est pas « concentrative » et relève des dispositions de l’article 101 du Traité sur le Fonctionnement de l’Union européenne ou de l’article 420-1 du code de commerce.