Les droits de la concurrence et de la propriété intellectuelle semblent orientés vers des objectifs concordants et ne sont plus considérés comme opposés. Néanmoins, certaines interfaces doivent être examinées plus en détail. En général, dans le cadre de sa liberté contractuelle, le titulaire d’un droit de propriété intellectuelle est libre de décider s’il veut accorder des licences, à qui il les accorde, et à quelles conditions. Pourtant, il pourrait, par exemple, enfreindre l’article 101 TFUE lors de la répartition de marchés, de la fixation des prix dans le cadre d’accords de licences croisées ou de pools de brevets. De la même manière, il pourrait enfreindre l’article 102 TFUE s’il exploite sa position dominante pour exiger des redevances excessives ou si l’opérateur dominant refuse d’octroyer une licence. Dans ces cas de figure, un nouvel opérateur pourrait se heurter à des barrières à l’entrée du marché.
Le règlement d’exemption par catégorie des accords de transfert de technologie (règl. (UE) n° 316/2014) clarifie la façon dont l’article 101 TFUE s’applique à certaines catégories d’accords de licences et les critères utilisés pour évaluer ces accords. Ce règlement s’accompagne de lignes directrices qui fournissent des orientations sur l’application des règles. De la même manière, le règlement d’exemption par catégorie des accords de recherche et de développement (règl. (UE) n° 1217/2010) pose les conditions dans lesquelles un tel accord peut être exempté au titre de l’article 101, paragraphe 3, TFUE.
La jurisprudence européenne a peu à peu clarifié l’interférence entre le droit de la propriété intellectuelle et le droit de la concurrence pour distinguer les cas dans lesquels le titulaire d’un droit intellectuel abuse de sa position dominante. Elle a établi pour principe que le droit de l’Union protège l’exercice de droits exclusifs, mais que des circonstances exceptionnelles peuvent entraîner l’illégalité de l’exercice d’un droit de propriété intellectuelle.
Ainsi, la Cour a déjà statué en 1978, dans l’affaire Hoffmann-La Roche, que l’exercice du droit de marque n’est pas contraire à l’interdiction de l’abus d’une position dominante pour le seul motif qu’il est le fait d’une entreprise qui détient une position dominante sur le marché, ce qu’elle affirme dix ans plus tard pour l’exercice des brevets et d’un modèle protégé et ensuite en 1995 également pour l’exercice du droit d’auteur. Bien que la Cour y considère que le refus de concéder une licence constitue la substance même du droit exclusif, elle demande, dans les circonstances particulières de l’affaire irlandaise Magill, aux auteurs de livrer les informations nécessaires afin de permettre la commercialisation d’un produit nouveau, pour lequel existe une demande potentielle de la part des consommateurs, à savoir la publication d’un guide hebdomadaire général de télévision.
Dans l’affaire IMS Health, la Cour démontre, en se basant sur les affaires Magill ainsi que Bronner, comment la théorie des infrastructures essentielles, sans que ce terme ne soit employé par la Cour,peut s’appliquer, de manière exceptionnelle, au droit de propriété intellectuelle, dans le cas d’espèce, à une structure modulaire protégée par le droit d’auteur, devenu un de facto standard dans le secteur pharmaceutique allemand. Dans l’affaire Microsoft, le Tribunal étend la jurisprudence IMS Health au secteur numérique et plus spécialement sur les informations relatives à l’interopérabilité. Le Tribunal résume en 2007 les circonstances exceptionnelles dans lesquelles le refus d’octroyer une licence par le titulaire d’un droit de propriété intellectuelle se trouvant en position dominante est susceptible de violer l’article 82 CE (devenu art. 102 TFUE), à moins qu’il ne soit objectivement justifié : (i) que la licence porte sur un produit ou un service indispensable pour l’exercice d’une activité donnée sur un marché voisin et (ii) que le refus est de nature à exclure toute concurrence effective sur ce marché voisin et (iii) que le refus fait obstacle à l’apparition d’un produit nouveau pour lequel il existe une demande potentielle des consommateurs.
Dans son arrêt Huawei, la Cour de justice se prononce en 2015 pour la première fois sur le cas particulier des conditions FRAND (fair, reasonable and non-discriminatory). Elle donne une instruction détaillée sur l’obligation de négociation équitable, raisonnable et non-discriminatoire d’un accord de licence portant sur un brevet essentiel à une norme.