Octroi de licence

 

Définition auteur

 

Premier aperçu

On distingue généralement deux grandes catégories de licences. Ne sera pas traité ici la première catégorie de licence, à savoir l’autorisation administrative permettant l’accès à certaines activités comme celles des professions libérales et des banques ou la diffusion de la radio ou de la télévision. La deuxième catégorie de licence est octroyée par le biais d’un contrat de droit privé.

En principe, le titulaire d’un droit de propriété intellectuelle ou industrielle (notamment le droit d’auteur, brevet, dessin ou modèle industriels, droit de marque) est libre d’exploiter personnellement l’œuvre ou l’invention protégées. Or, il peut également autoriser une autre personne à l’exploiter. Réaliser l’adaptation d’un roman en film, fabriquer un produit sur la base d’une technique protégée, créer et distribuer un objet selon un modèle protégé et distribuer un produit sous un nom de marque protégé sont des exemples parmi tant d’autres. Cette autorisation peut prendre deux formes, la cession et la licence du droit. Dans le premier cas, le titulaire transfert la propriété de ses droits de propriété intellectuelle à un tiers. Le donneur de licence lui-même n’est plus autorisé à exploiter le droit intellectuel respectif ou de le concéder à d’autres personnes tierces. Il n’a pas non plus de responsabilité à l’égard du droit tel que l’obligation de payer une taxe de renouvellement. C’est sous la deuxième forme d’autorisation, à savoir l’octroi d’une licence (concession de licence) que la présente entrée se concentrera. Celle-ci permet au donneur de licence (il est aussi communément appelé concédant) de conserver la propriété du droit et de continuer à l’exploiter lui-même. La licence peut être exclusive ou non-exclusive (simple). Dans le premier cas de figure, le donneur s’interdit de concéder des licences à d’autres tiers. Si la licence est non-exclusive, le concédant peut également permettre à d’autres licenciés d’exploiter le droit. En vertu du contrat de licence, exclusif ou non, le licencié (preneur de licence) peut également être autorisé à concéder à des tiers des sous-licences d’exploitation.

L’octroi de licence peut être gratuit, mais il est généralement accordé en échange d’un paiement. Ce dernier peut prendre la forme d’une somme forfaitaire ou d’une redevance périodique, qui peut être calculée, par exemple, sur la base du chiffre d’affaires réalisé par le preneur de licence.

Généralement, le régime des contrats de licence est celui du droit commun des contrats (articles 1101 et suivants du Code civil), mais à chaque type de contrat de licence peuvent incomber des conditions formelles particulières. Ainsi, par exemple, les articles L. 613-8, al. 5 et L. 131-2 al. 2 CPI exigent que le contrat de licence portant sur un brevet et les transmissions de droit d’auteur soient écrits. Pour être opposable aux tiers, l’article L. 613-9, al. 1 CPI requiert que la licence soit inscrite sur le Registre national des brevets.

L’octroi de licence se fait généralement de manière volontaire par le biais d’un contrat. De manière exceptionnelle, il peut également s’établir sans l’accord du titulaire du droit, par décision d’une autorité judiciaire ou administrative intervenant pour servir un intérêt d’ordre général. On parle ici de licence obligatoire. A titre d’exemple, on peut citer les articles L.613-16 et suivants du Code de la propriété intellectuelle (CPI) concernant les brevets délivrés pour des médicaments mis à la disposition du public en qualité ou quantité insuffisantes, ou à des prix anormalement élevés.

 

Pour aller plus loin

Les droits de la concurrence et de la propriété intellectuelle semblent orientés vers des objectifs concordants et ne sont plus considérés comme opposés. Néanmoins, certaines interfaces doivent être examinées plus en détail. En général, dans le cadre de sa liberté contractuelle, le titulaire d’un droit de propriété intellectuelle est libre de décider s’il veut accorder des licences, à qui il les accorde, et à quelles conditions. Pourtant, il pourrait, par exemple, enfreindre l’article 101 TFUE lors de la répartition de marchés, de la fixation des prix dans le cadre d’accords de licences croisées ou de pools de brevets. De la même manière, il pourrait enfreindre l’article 102 TFUE s’il exploite sa position dominante pour exiger des redevances excessives ou si l’opérateur dominant refuse d’octroyer une licence. Dans ces cas de figure, un nouvel opérateur pourrait se heurter à des barrières à l’entrée du marché.

Le règlement d’exemption par catégorie des accords de transfert de technologie (règl. (UE) n° 316/2014) clarifie la façon dont l’article 101 TFUE s’applique à certaines catégories d’accords de licences et les critères utilisés pour évaluer ces accords. Ce règlement s’accompagne de lignes directrices qui fournissent des orientations sur l’application des règles. De la même manière, le règlement d’exemption par catégorie des accords de recherche et de développement (règl. (UE) n° 1217/2010) pose les conditions dans lesquelles un tel accord peut être exempté au titre de l’article 101, paragraphe 3, TFUE.

La jurisprudence européenne a peu à peu clarifié l’interférence entre le droit de la propriété intellectuelle et le droit de la concurrence pour distinguer les cas dans lesquels le titulaire d’un droit intellectuel abuse de sa position dominante. Elle a établi pour principe que le droit de l’Union protège l’exercice de droits exclusifs, mais que des circonstances exceptionnelles peuvent entraîner l’illégalité de l’exercice d’un droit de propriété intellectuelle.

Ainsi, la Cour a déjà statué en 1978, dans l’affaire Hoffmann-La Roche, que l’exercice du droit de marque n’est pas contraire à l’interdiction de l’abus d’une position dominante pour le seul motif qu’il est le fait d’une entreprise qui détient une position dominante sur le marché, ce qu’elle affirme dix ans plus tard pour l’exercice des brevets et d’un modèle protégé et ensuite en 1995 également pour l’exercice du droit d’auteur. Bien que la Cour y considère que le refus de concéder une licence constitue la substance même du droit exclusif, elle demande, dans les circonstances particulières de l’affaire irlandaise Magill, aux auteurs de livrer les informations nécessaires afin de permettre la commercialisation d’un produit nouveau, pour lequel existe une demande potentielle de la part des consommateurs, à savoir la publication d’un guide hebdomadaire général de télévision.

Dans l’affaire IMS Health, la Cour démontre, en se basant sur les affaires Magill ainsi que Bronner, comment la théorie des infrastructures essentielles, sans que ce terme ne soit employé par la Cour,peut s’appliquer, de manière exceptionnelle, au droit de propriété intellectuelle, dans le cas d’espèce, à une structure modulaire protégée par le droit d’auteur, devenu un de facto standard dans le secteur pharmaceutique allemand. Dans l’affaire Microsoft, le Tribunal étend la jurisprudence IMS Health au secteur numérique et plus spécialement sur les informations relatives à l’interopérabilité. Le Tribunal résume en 2007 les circonstances exceptionnelles dans lesquelles le refus d’octroyer une licence par le titulaire d’un droit de propriété intellectuelle se trouvant en position dominante est susceptible de violer l’article 82 CE (devenu art. 102 TFUE), à moins qu’il ne soit objectivement justifié  : (i) que la licence porte sur un produit ou un service indispensable pour l’exercice d’une activité donnée sur un marché voisin et (ii) que le refus est de nature à exclure toute concurrence effective sur ce marché voisin et (iii) que le refus fait obstacle à l’apparition d’un produit nouveau pour lequel il existe une demande potentielle des consommateurs.

Dans son arrêt Huawei, la Cour de justice se prononce en 2015 pour la première fois sur le cas particulier des conditions FRAND (fair, reasonable and non-discriminatory). Elle donne une instruction détaillée sur l’obligation de négociation équitable, raisonnable et non-discriminatoire d’un accord de licence portant sur un brevet essentiel à une norme.

 

Jurisprudences pertinentes

Union européenne

CJUE, 16 juillet 2015, Huawei c/ ZTE, aff. C-170/13, EU:C:2015:477

CJCE, 29 avril 2004, IMS Health, aff. C-418/01, EU:C:2004:257

CJCE, 6 avril 1995, RTE et ITP c/ Commission des Communautés européennes, aff. jtes C-241/91 P et C-242/91 P, EU:C:1995:98 (dit « Magill »)

CJCE, 26 novembre 1998, Bronner, aff. C-7/97, EU:C:1998:569

CJCE, 5 octobre 1988, Volvo c/ Veng, aff. 238/87, EU:C:1988:477

CJCE, 5 octobre 1988, CICRA et Maxicar c/ Renault, aff. 53/87, EU:C:1988:472

CJCE, 23 mai 1978, Hoffmann-La Roche c/ Centrafarm, aff. 102/77, EU:C:1978:108

TPICE, 17 septembre 2007, Microsoft Corp. c/ Commission des Communautés européennes, aff. T-201/04, EU:T:2007:289

Allemagne

BGH, 6 mai 2009 - KZR 39/06, Orange-Book-Standard, GRUR 2009, 694

BGH, 13 juillet 2004 - KZR 40/02, Standard-Spundfaß, GRUR 2004, 966

 

Bibliographie

Règlement (UE) n° 316/2014 de la Commission du 21 mars 2014 relatif à l’application de l’article 101, paragraphe 3, du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne à des catégories d’accords de transfert de technologie, JOUE n° L 93 du 28 mars 2014, p. 17

Communication de la Commission, Lignes directrices concernant l’application de l’article 101 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne à des catégories d’accords de transfert de technologie, JOUE n° C 89 du 28 mars 2014, p. 3

Règlement (UE) n° 1217/2010 de la Commission du 14 décembre 2010 relatif à l’application de l’article 101, paragraphe 3, du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne à certaines catégories d’accords de recherche et de développement, JOUE n° L 335 du 18 décembre 2010, p. 36

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Auteurs

  • University of Würzburg
  • University of Paris I Panthéon-Sorbonne

Citation

Florian Bien, Rebekka Flamind, Octroi de licence, Dictionnaire de droit de la concurrence, Concurrences, Art. N° 86387

Visites 3640

Éditeur Concurrences

Date 1er février 2023

Nombre de pages 842

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Définition institution

Autorisation légale de faire, par exemple de fabriquer un produit. Le licencié se voit transférer un droit qu’il n’avait pas auparavant. Certaines licences sont octroyées gratuitement mais la plupart d’entre elles sont accordées à titre onéreux. Les licences sont des contrats juridiques qui peuvent contenir des restrictions quant à l’usage de la licence. Deux grandes catégories de licences sont d’intérêt pour la politique de la concurrence. Il s’agit tout d’abord des licences qui prennent la forme d’une autorisation administrative à l’accès (quelquefois qualifiée de concession) pour l’exercice de certaines activités. Tel est Ie cas pour les industries de la communication (radio et télévision par exemple), pour certaines professions libérales (médecine) et certaines activités de services (banques, débits de boisson). Les licences sont souvent assorties de conditions ou de réglementations restrictives pour l’entreprise, notamment en matière de prix et de qualité ou de volume des prestations. Les concessions ou autorisations administratives représentent une importante barrière à l’accès aux activités concernées. La deuxième catégorie de licences a trait aux brevets, aux droits d’auteur et de reproduction et aux marques. Il s’agit d’un contrat par lequel le titulaire du droit de propriété (Ie détenteur du brevet) autorise une tierce personne à fabriquer, reproduire, acheter ou vendre l’objet de ce droit, en général moyennant Ie paiement d’une somme forfaitaire et de redevances. Dans la plupart des cas, la licence permet au détenteur du brevet de maximiser Ie profit qu’il peut tirer de celui-ci. Ce profit ne serait pas supérieur s’il exploitait lui-même son invention, si bien que l’un ou l’autre mode d’exploitation revient au même pour lui. En principe, le détenteur du brevet n’est pas tenu d’exploiter son invention ou d’accorder une licence d’exploitation. Il peut donc y avoir une restriction à la diffusion des technologies, qui constitue une forme de barrière à l’entrée. La réglementation de nombreux pays prévoit la possibilité de déchéance du brevet ou de licence obligatoire (ou de licence d’office) en cas de défaut d’exploitation abusif ou de restrictions anticoncurrentielles en matière d’octroi de licences. Dans la pratique, la procédure de licence obligatoire est rarement utilisée. OCDE

Voir Licence obligatoire et FRAND

 
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