Si la distinction objet/effet anticoncurrentiel est établie depuis les premiers arrêts Société Technique Minière et Grundig, la doctrine s’est longtemps interrogée sur la réalité de cette distinction au regard de l’analyse jurisprudentielle effectuée sous couvert du contexte économique et juridique dans lequel s’insérait l’accord pour caractériser l’objet anticoncurrentiel.
En effet, la pratique décisionnelle avait entamé au niveau européen une évolution prônant une conception plus large de cette notion. Dans les arrêts T-Mobile Netherlands et Allianz Hungária, la Cour de justice a par exemple considéré que pour avoir un objet anticoncurrentiel, il suffisait que la pratique concernée soit susceptible de produire des effets négatifs sur la concurrence, ou, en d’autres termes, soit « concrètement apte, en tenant compte du contexte juridique et économique dans lequel elle s’inscrit, à empêcher, à restreindre ou à fausser le jeu de la concurrence au sein du marché commun » (CJCE, 4 juin 2009, T-Mobile Netherlands, aff. C-8/08, pt 31 ; CJUE, 14 mars 2013, Allianz Hungária, aff. C-32/11, pt 38), prenant en considération notamment la structure de ce marché, l’existence de canaux de distribution alternatifs et leur importance respective ainsi que le pouvoir de marché des entreprises concernées (Allianz Hungária, préc., pt 48).
Il a fallu attendre l’arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne dit « Groupement des cartes bancaires » pour revenir à une conception stricte de l’objet anticoncurrentiel.
Désormais, l’objet anticoncurrentiel est réservé aux pratiques collusoires entre entreprises révélant un degré suffisant de nocivité à l’égard de la concurrence pour qu’il puisse être considéré que l’examen de leurs effets n’est pas nécessaire, car ces pratiques sont, par leur nature même, nuisibles au bon fonctionnement du jeu normal de la concurrence (Groupement des cartes bancaires, préc., pts 55 à 58 ; Cass. com., 29 janvier 2020, no 18-10.967).
En dépit de l’affirmation de cette conception stricte, la jurisprudence maintient que l’examen de l’objet anticoncurrentiel passe notamment par l’appréciation du contexte économique et juridique dans lequel la pratique litigieuse s’insère, c’est-à-dire la prise en considération de la nature des biens ou des services affectés ainsi que des conditions réelles du fonctionnement et de la structure du ou des marchés en question (Generics (UK), préc., pt 68).
Le caractère alternatif des notions d’objet et d’effet anticoncurrentiel, qui constitue davantage un instrument procédural au service de l’analyse à laquelle procèdent les autorités qu’une différence de nature entre les accords, n’empêche pas les autorités de les examiner cumulativement, lorsqu’elles le jugent opportun (conclusions AG Bobek, 5 septembre 2019, Budapest Bank, aff. C-228/18, pts 27-28).
En effet, les autorités et juridictions peuvent analyser et démontrer qu’un seul et même comportement a tant pour objet que pour effet de restreindre la concurrence : ce peut être le cas notamment pour qualifier des accords relevant d’une zone grise, par prudence ou souci procédural (CJUE, 2 avril 2020, Budapest Bank, aff. C-228/18, pts 39-40 ; L. Idot, « Restriction de concurrence par objet », Europe 2020, comm. 197). Dans ce cas, elles restent toutefois tenues d’apporter les preuves nécessaires en les distinguant selon la nature de la restriction considérée (Budapest Bank, préc., pt 43).
De plus, la jurisprudence n’est pas revenue sur son approche visant à entrevoir l’intention des parties à l’accord comme un élément utile mais non nécessaire pour déterminer le caractère restrictif dudit accord (Groupement des cartes bancaires, préc., pt 54).
En outre, si la catégorie des accords ayant un objet anticoncurrentiel constitue une catégorie restrictive par rapport aux accords ayant un effet anticoncurrentiel, elle comprend elle-même une catégorie plus limitative dite des « restrictions caractérisées ».
En effet, la Commission européenne considère « en règle générale » les restrictions caractérisées comme des restrictions par objet qui sont interdites dans les règlements d’exemption par catégorie.
Pour autant, ces deux notions ne se confondent pas. D’une part, la liste (non exhaustive) des restrictions par objet ne coïncide pas avec celle, plus restreinte, des restrictions caractérisées. D’autre part, l’existence d’une restriction caractérisée permet uniquement de priver un accord du bénéfice de l’exemption par catégorie. Ainsi, tant les restrictions par objet que les restrictions caractérisées peuvent, au moins en théorie, bénéficier d’une exemption individuelle.
Une partie de la doctrine soutient également que la notion de restriction par objet ne doit pas non plus se confondre avec la notion d’infraction per se issue du droit américain (not. L. Idot, R. Kovar). Elle est soutenue par le Tribunal de l’Union européenne, qui a explicitement rejeté l’assimilation entre ces deux notions, car un « un tel raisonnement suppose admise l’existence d’infractions per se, non susceptibles d’être exemptées, ce que le droit communautaire de la concurrence, dont l’applicabilité est subordonnée à l’existence d’une pratique ayant un objet anticoncurrentiel ou produisant un tel effet sur un marché déterminé, ne consacre nullement » (TPICE, 15 juillet 1994, Matra Hachette, aff. T-17/93, pt 85 ; Trib. UE, 8 septembre 2016, Sun, aff. T-460/13, pt 295). Enfin, s’agissant plus spécifiquement des effets anticoncurrentiels, la Cour de justice a affirmé dans l’arrêt Société Technique Minière que les effets de l’accord doivent avoir affecté le jeu de la concurrence de façon sensible. Ainsi, les effets anticoncurrentiels d’un accord ne sont pris en compte que s’ils sont significatifs (CJCE, 9 juillet 1969, Völk, aff. 5-69, pt 7). La communication de minimis de la Commission européenne du 30 août 2014 fixe des seuils de parts de marché des parties concernées en deçà desquelles un accord restrictif par effet n’est pas considéré comme restreignant sensiblement le jeu de la concurrence au sens de l’article 101 TFUE.
Pour apprécier le caractère sensible de la restriction de concurrence par effet, les autorités tiennent compte d’un faisceau d’indices comprenant entre autres la gravité de la pratique, la part de marché concernée par l’entente, la nature des produits, le nombre d’entreprises concernées.