Entente sur les prix

 

Définition auteur

 

Premier aperçu

Adam Smith soulignait qu’« il est rare que des gens du même métier se trouvent réunis, fût-ce pour quelque partie de plaisir ou pour se distraire, sans que la conversation finisse par quelque conspiration contre le public, ou par quelque machination pour faire hausser les prix  » (A. Smith, Recherches sur la nature et les causes de la richesse des nations, 1776, Livre I).

En droit européen, il rappelé avec force depuis de nombreuses années que les entreprises doivent mener des politiques autonomes de fixation des prix de sorte que la concurrence par les prix est considérée comme une des formes essentielles que la concurrence doit revêtir sur le marché (Comm. CE, 19 décembre 1984, Pâte de bois, aff. IV/29.725, pt 141). En droit français, l’importance de la concurrence par les prix est consacrée à l’article L 410-2 C. com, en disposant que « [s]auf dans les cas où la loi en dispose autrement, les prix des biens, des produits et des services (...) sont librement déterminés par le jeu de la concurrence ».

L’entente, quant à elle, qu’elle soit horizontale et/ou verticale, est l’expression, quelle qu’en soit la forme (accord, pratique concertée, décision d’association d’entreprises, convention, coalitions…), d’une volonté commune de deux ou plusieurs entreprises de se comporter sur le marché d’une manière déterminée (CJCE, 8 juillet 1999, Anic Partecipazioni, aff. C-49/92 P) (excluant de facto la qualification d’entente en cas de concertation intragroupe).

Dans une économie de marché où la concurrence par les prix occupe une place centrale, les règles de concurrence interdisent les ententes entre entreprises ayant pour objet ou pour effet de « fixer de façon directe ou indirecte les prix d’achat ou de vente ou d’autres conditions de transaction  » (art. 101, para. 1 a), TFUE) ou de « faire obstacle à la fixation des prix par le libre jeu du marché en favorisant artificiellement leur hausse ou leur baisse » (art. L. 420-1 2° C. com.).

Ainsi, la volonté commune de fixer les prix sur le marché d’une manière déterminée est considérée, en droit français comme en droit de l’Union européenne, comme l’une des pratiques les plus nocives pour la concurrence sur le marché :

  • dans une relation horizontale entre concurrents, l’entente sur les prix est qualifiée de restriction de concurrence par objet (Comm. eur., Lignes directrices sur l’applicabilité de l’article 101 TFUE aux accords de coopération horizontale, pt 160) ;
  • dans une relation verticale, les accords qui ont pour objet de « restreindre la capacité de l’acheteur de déterminer son prix de vente, sans préjudice de la possibilité pour le fournisseur d’imposer un prix de vente maximal ou de recommander un prix de vente » contiennent des restrictions caractérisées ne permettant pas à l’accord de bénéficier de l’exemption par catégorie (art. 4 (a) du règl. (UE) 2022/720) ;
  • à travers une association d’entreprises, pour lesquelles il est interdit de diffuser des barèmes de prix à ses membres ou aux acteurs du marché (CJCE, 18 juin 1998, Commission c/ Italie, aff. C-35/96)
  • le simple échange d’informations, de nature à permettre aux entreprises de connaître les positions sur le marché ainsi que la stratégie commerciale de leurs concurrents et, de ce fait, à altérer sensiblement la concurrence qui subsiste entre les opérateurs économiques est sanctionné en droit de la concurrence, quand bien même les entreprises ne se seraient-elles pas entendues pour augmenter leurs prix (CJUE, 26 septembre 2018, Infineon Technologies AG, aff. C-99/17 P).
 

Pour aller plus loin

Tout d’abord, une entente sur les prix, considérée comme une restriction de la concurrence par objet, est susceptible de tomber dans le champ d’application de l’article 101 TFUE, que l’accord soit, ou non, considéré comme un accord d’importance mineure (CJUE, 13 décembre 2012, Expédia, aff. C‑226/11).

Ensuite, l’entente sur les prix fait référence non pas uniquement à la fixation anticoncurrentielle de prix intrinsèques mais vise aussi tout accord qui, directement ou indirectement, porte atteinte à la concurrence par les prix, qu’elle soit mise en œuvre au niveau horizontal ou au niveau vertical.

Au niveau horizontal, une grande variété d’ententes de fixation de prix a été sanctionnée, telle que :

  • le cartel classique de fixation de prix entre entreprises concurrentes ;
  • la fixation en commun par des banques concurrentes des commissions et des taux d’intérêts (CJCE, 24 septembre 2009, Erste Group Bank, aff. jtes. C-125/07 P, C-133/07 P, C-135/07 P et C-137/07 P) ou de composantes des taux d’intérêts (Trib. UE, 24 septembre 2019, HSBC e.a., aff. T-105/17) ;
  • la fixation en commun de pratiques de rabais ou de remises fidélisantes (CJCE, 26 novembre 1975, Groupement des fabricants de papiers peints de Belgique e.a., aff. 73-74) ou la décision commune de ne pas pratiquer de rabais ou remises (TPICE, 19 mars 2003, CMA CGM, aff. T-213/00) ;
  • le simple échange d’information, même passif, de nature à réduire l’incertitude qui doit prévaloir sur le marché, est susceptible d’être qualifié d’entente anticoncurrentielle.

L’entente horizontale sur les prix est considérée comme l’une des violations les plus flagrantes au droit de la concurrence. Elle peut toutefois, en principe, faire l’objet d’une exemption s’il est démontré que l’accord permet d’atteindre des gains d’efficience en vertu de l’article 101, paragraphe 3, TFUE (Comm. CE, 24 juillet 2002, Visa International, aff. COMP/29.373). Une telle approche se distingue de l’analyse menée par les juridictions américaines à l’égard de ce type de pratiques lesquelles sont considérées, par la Cour suprême, comme des restrictions per se insusceptible de faire l’objet d’une justification (United States v. Socony-Vacuum Oil Co., Inc., 310 U.S. 150 (1940))

Au niveau vertical, une grande variété d’ententes de fixation de prix est également susceptible d’être sanctionnée, telle que :

  • l’imposition directe par un fournisseur d’un prix minimal de revente de ses produits à son distributeur ;
  • l’imposition indirecte par un fournisseur d’un prix minimum de vente à travers un accord :

o qui fixerait la marge du distributeur, o qui fixerait le niveau maximal des remises qu’un distributeur peut accorder, o qui subordonnerait l’octroi d’avantage tarifaire ou le remboursement de coûts promotionnels au respect d’un niveau de prix déterminé, o qui interdirait d’afficher les prix ou obligerait le distributeur à afficher les prix de vente au détail recommandés.

  • l’imposition d’un prix minimum de vente à travers des comportements qui tendraient à faire appliquer lesdits prix de revente (menaces, des intimidations, avertissements, sanctions, des retards ou suspensions de livraison ou la résiliation de l’accord en cas de non-respect d’un niveau de prix donné).

En revanche, la communication par le fournisseur à l’acheteur d’une liste de prix conseillés ou de prix maximaux n’est pas considérée en soi comme conduisant à des prix de vente imposés, du moins lorsque la part de marché de chacune des parties à l’accord n’excède pas le seuil de 30% fixé par le règlement (UE) 2022/720.

L’entente verticale sur les prix est considérée comme une restriction caractérisée de concurrence dès lors qu’elles peuvent affaiblir de différentes manières la concurrence intramarque et/ou intermarque(pour des exemples concrets des effets restrictifs de concurrence communément rencontrés par ces accords, voir Lignes directrices sur les restrictions verticales 2022, §181). A l’instar de l’entente horizontale, l’entente verticale peut, en principe, faire l’objet d’une exemption au titre de l’article 101, paragraphe 3 (pour des exemples concrets des gains d’efficience générés par les prix de vente imposés, voir Lignes directrices sur les restrictions verticales 2022, pt 182). Une telle approche se distingue de l’analyse menée par les juridictions américaines à l’égard de ce type de pratiques sous l’impulsion de l’arrêt Leegin de la Cour Suprême, visant à appliquer la règle de raison aux accords de fixation de prix minimum de revente, impliquant de procéder à une balance des effets pro-concurrentiels et anti-concurrentiels de l’accord (Leegin Creative Leather Prod., Inc. v. PSKS, Inc. 551 U.S. 877 (2007)).

Enfin, la charge de la preuve et le degré de matérialité des preuves rapportées par les autorités de concurrence apparaît déterminante :

  • en matière d’ententes horizontales, la Cour de justice fait peser une présomption réfragable en cas de collusion explicite donnant lieu à un ou plusieurs contacts entre deux entreprises (le fait que seul un des participants aux réunions litigieuses dévoile ses intentions ne suffit pas à exclure l’existence d’une entente – TPICE, 12 juillet 2001, Tate & Lyle, aff. jtes. T-202/98 T-204/98 et T-207/98, pt 54 ; pourvoi rejeté par la CJCE, 29 avril 2004, British Sugar, aff. C-359/01 P). En revanche, la simple constatation d’un parallélisme de comportement sur un marché ne suffit pas à caractériser l’existence d’une entente sur les prix ;
  • en matière d’ententes verticales, la preuve de l’accord de volonté des parties peut être établie en se fondant sur des éléments de toute nature (preuves documentaires ou contractuelles, preuves comportementales).

Pour faciliter la détection des cartels de fixation de prix, les autorités de concurrence ont développé les programmes de clémence afin d’inciter les participants à une entente de dévoiler aux autorités de concurrence la pratique mise en œuvre.

 

Jurisprudences pertinentes

Union européenne

CJUE, 26 septembre 2018, Infineon Technologies AG, aff. C-99/17 P, EU:C:2018:773

CJUE, 13 décembre 2012, Expédia, aff. C‑226/11, EU:C:2012:795

CJUE, 6 octobre 2009, GlaxoSmithKline Services, aff. jtes C-501/06 P, C-513/06 P, C–515/06 P et C-519/06 P, EU:C:2009:610

CJCE, 24 septembre 2009, Erste Group Bank, aff. jtes. C-125/07 P, C-133/07 P, C-135/07 P et C-137/07 P, EU:C:2009:576

CJCE, 29 avril 2004, British Sugar, aff. C-359/01 P, EU:C:2004:255

CJCE, 7 janvier 2004, Aalborg Portland e.a. c/ Commission, aff. jtes C-204/00 P, C-205/00 P, C-211/00 P, C-213/00 P, C-217/00 P et C-219/00 P, EU:C:2004:6

CJCE, 6 janvier 2004, BAI et Commission c/ Bayer, aff. jtes C-2/01 P et C-3/01 P, EU:C:2004:2

CJCE, 8 juillet 1999, Anic Partecipazioni, aff. C-49/92 P, EU:C:1999:356

CJCE, 18 juin 1998, Commission c/ Italie, aff. C-35/96, EU:C:1998:303

CJCE, 26 novembre 1975, Groupement des fabricants de papiers peints de Belgique e.a., aff. 73-74, EU:C:1975:160

CJCE, 15 juillet 1970, ACF Chemiefarma, aff. 41-69, EU:C:1970:71

Trib. UE, 24 septembre 2019, HSBC e.a., aff. T-105/17, EU:T:2019:675

TPICE, 27 septembre 2006, GlaxoSmithKline Services, aff. T-168/01, EU:T:2006:265

TPICE, 19 mars 2003, CMA CGM, aff. T-213/00, EU:T:2003:76

TPICE, 12 juillet 2001, Tate & Lyle, aff. jtes. T-202/98, T-204/98 et T-207/98, EU:T:2001:185

TPICE, 26 octobre 2000, Bayer, aff. T-41/96, EU:T:2000:242

Comm. CE, déc. 2002/914/CE du 24 juillet 2002, Visa International, aff. COMP/29.373, JOCE n° L 318 du 22 novembre 2002, p. 17

Comm. CE, déc. 85/202/CEE du 19 décembre 1984, Pâte de bois, aff. IV/29.725, JOCE n° L 85 du 26 mars 1985, p. 1

États-Unis

Leegin Creative Leather Products, Inc. v. PSKS, Inc., 551 U.S. 877 (2007)

United States v. Socony-Vacuum Oil Co., Inc., 310 U.S. 150 (1940)

France

Cass. com., 3 juin 2013, Beauté Prestige International, n° 12-13.961, 12-14.401, 12-14.584, 12-14.595, 12-14.597, 12-14.598, 12-14.624, 12-14.625, 12-14.632, 12-14.648

Cass. com., 7 janvier 2011, Philips France, n° 09-14.316 et 09-14.667

Cass. com., 7 avril 2010, Puériculture de France, n° 09-11.853

CA Paris, pôle 5, ch. 7, 16 janvier 2020, Société Canna France, RG 19/03410

CA Paris, pôle 5, ch. 5-7, 16 mai 2013, Kontiki, RG 2012/01227

CA Paris, pôle 5, ch. 5-7, 26 janvier 2012, Beauté Prestige International, RG 2010/23945

CA Paris, 1re ch., sect. H, 28 janvier 2009, Epsé Joué Club, RG 2008/00255

CA Paris, 4 avril 2006, Truffaut, RG 2005/14057

Aut. conc., déc. n° 21-D-26 du 8 novembre 2021 relative à des pratiques mises en œuvre au sein du réseau de distribution des produits de marque Mobotix

Aut. conc., déc. n° 20-D-20 du 3 décembre 2020 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur des thés haut de gamme

 

Bibliographie

Communication de la Commission, Lignes directrices sur les restrictions verticales, C(2022) 4238 final, 28 juin 2022

Communication de la Commission, Communication concernant les accords d’importance mineure qui ne restreignent pas sensiblement le jeu de la concurrence au sens de l’article 101, paragraphe 1, du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (communication de minimis), JOUE n° C 291 du 30 août 2014, p. 1

Communication de la Commission, Lignes directrices sur l’applicabilité de l’article 101 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne aux accords de coopération horizontale, JOUE n° C 11, du 14 janvier 2011 p. 1

Règlement (UE) 2022/720 de la Commission du 10 mai 2022 concernant l’application de l’article 101, paragraphe 3, du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne à des catégories d’accords verticaux et de pratiques concertées, JOUE n° L 134 du 11 mai 2022, p. 4

KAPLOW (L.), Competition Policy and Price Fixing, Princeton University Press, 2013

WHISH (R.) et BAILEY (D.), Competition Law, 10e éd., Oxford University Press, 2021

Auteurs

Citation

Adriano Capuocciolo, Hugues Villey-Desmeserets, Entente sur les prix, Dictionnaire de droit de la concurrence, Concurrences, Art. N° 86390

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Éditeur Concurrences

Date 1er février 2023

Nombre de pages 842

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Définition institution

Accord conclu entre plusieurs vendeurs pour fixer ou augmenter les prix de manière à restreindre la concurrence entre les entreprises participantes et à accroître leurs profits. En concluant un tel accord, les entreprises s’efforcent de se comporter collectivement comme un monopole. © OCDE

Voir aussi Entente (ou cartel) et Manipulation des procédures d’appel d’offre

 
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