La directive européenne n° 2014/104 du 26 novembre 2014, relative à certaines règles régissant les actions en dommages-intérêts en droit national pour les infractions au droit de la concurrence national et communautaire (« la directive dommages »), et transposée en France par l’ordonnance n° 2017-303 et le décret n° 2017-305 du 9 mars 2017, a consacré ces avancées, et ces compromis, en posant des règles nouvelles et parfois révolutionnaires tout en veillant à respecter les équilibres définis par la CJUE.
Seuls ses traits essentiels seront rappelés ici.
La directive facilite l’accès aux preuves détenues par les tiers et notamment les autorités de concurrence, tout en instituant une interdiction absolue de communication des déclarations aux fins de clémence ainsi que des transactions. Il appartient au juge saisi de la demande de communication de documents -ou de catégories de documents- de mettre en balance les intérêts en jeu au vu du principe de proportionnalité, ainsi que l’a rappelé la Cour de Cassation (Com. 8.7.2020, pourvoi n° 1925065, Renault Trucks).
Elle crée une série de présomptions propres à alléger le fardeau de la preuve pour chacun des trois éléments constitutifs de la responsabilité civile :
– la constatation de l’infraction par une autorité de concurrence constitue une présomption irréfragable de la faute au sens de la responsabilité civile lorsque cette autorité est située dans le même Etat-membre que celui de la juridiction saisie de l’action en réparation, ou une preuve prima facie dans le cas contraire ;
– une deuxième présomption, réfragable, s’applique au lien de causalité entre faute et préjudice dans les affaires d’entente horizontale ;
– deux autres présomptions, également susceptibles de preuve contraire, portent sur l’existence du préjudice, l’une en faveur de l’acheteur direct ou indirect qui est présumé ne pas avoir transféré le surcoût résultant d’un cartel, l’autre en faveur de l’acheteur indirect qui est présumé -sous certaines conditions- être la victime d’un tel transfert de surcoût.
La directive innove, enfin, en posant des règles originales de nature à « récompenser » les bénéficiaires de mesures de clémence, en décidant qu’ils échappent au mécanisme de la solidarité civile vis-à-vis des victimes de pratiques anticoncurrentielles -spécialement dans le cas des cartels-, sauf pour les victimes à apporter la preuve que leur action en réparation engagée contre les autres cartellistes a été vaine.
S’agissant de l’évaluation du dommage, la directive rappelle le principe unanimement adopté en Europe de la compensation intégrale du dommage, écartant le choix états-unien des dommages punitifs.
Plusieurs guides et recommandations non contraignants élaborés par la Commission Européenne complètent ce nouvel ensemble :
– Communication relative à la quantification du préjudice (2013/C 167/07),
– Guide pratique relatif à cette quantification (C(2013)3440),
– Orientations à l’intention des juridictions nationales sur la façon d’estimer le surcoût répercuté « passing-on » sur les acheteurs indirects (2019/C 267/07).
Ils se caractérisent par une nouvelle approche, économique, de la détermination du préjudice, où la construction d’un scénario contrefactuel joue un rôle essentiel.
Les mécanismes d’actions collectives aux fins de réparation de préjudices de masse sont absents de la directive dommages, bien qu’ils aient fait l’objet d’une communication de la Commission Européenne (COM 2013/401) complétée par une Recommandation (2013/396/UE), relative à des principes communs applicables aux mécanismes de recours collectifs en réparation et en cessation dans les Etats-membres de l’UE. Les Etats-membres ont tous comblé cette lacune dans leur législation nationale. Ce sera, en France, la loi Hamon n° 2014-344 du 17 mars 2014.
La mise en œuvre de la directive a donné lieu à de nouvelles décisions, majeures, de la CJUE. Ainsi, l’affaire Cogeco (C-637/17) a été l’occasion, pour la CJUE de se prononcer sur l’application dans le temps des règles nouvelles applicables à la prescription énoncées dans la directive, au visa, une fois de plus, du principe d’effectivité du droit de la concurrence européen dont elle préserve l’effet utile. La Cour se montrera tout aussi novatrice dans sa décision Skanska (C-724/17) en déclarant le principe de continuité économique applicable aux actions en réparation de sorte qu’une société-mère peut être déclarée civilement responsable des conséquences d’une infraction aux règles de concurrence commise par sa filiale, écartant ainsi le principe de la responsabilité personnelle dans ce domaine spécifique de la responsabilité civile délictuelle et quasi-délictuelle.
L’affaire Sumal (C-882/19) sera pour la Cour l’occasion d’approfondir cette notion d’entité économique unique dans le domaine de la responsabilité civile, en décidant, symétriquement, qu’une filiale peut aussi être déclarée civilement responsable des préjudices résultant d’infractions aux règles de concurrence dont sa société-mère a été reconnue coupable.