Action et recours privés

 

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Premier aperçu

Les dommages résultant d’atteintes au droit de la concurrence, national ou communautaire, peuvent faire l’objet d’actions en réparation et/ou en cessation portées devant les juridictions des Etats-membres, sur le fondement des règles de la responsabilité civile délictuelle et quasi-délictuelle. Celles-ci, de même que l’organisation juridictionnelle et les règles procédurales applicables devant les juridictions nationales, relèvent, aux termes du traité, de la souveraineté des Etats-membres. Ainsi, en France, le choix d’une spécialisation des juridictions a prévalu, mais seulement devant les juridictions consulaires et judiciaires, les juridictions administratives ayant compétence sans restriction comparable pour connaître de ces litiges lorsqu’ils ont un lien avec l’attribution ou l’exécution d’un contrat public. Enfin, le droit commun de cette responsabilité, dans les Etats-membres, requiert habituellement la preuve, rapportée par le demandeur, d’une faute, d’un préjudice et d’un lien de causalité entre les deux.

La complexité de ces affaires qui requièrent une analyse tant économique que juridique, le coût des procédures, la situation inégale des parties, enfin les difficultés tenant à la charge de la preuve, qu’il s’agisse de la faute imputée aux auteurs de pratiques anticoncurrentielles, comme du préjudice subi à titre individuel par les victimes, expliquent la démarche poursuivie depuis les années 2000 par les institutions communautaires pour parvenir à une mise en œuvre effective des droits subjectifs détenus par les ressortissants de l’Union européenne en dépit de ces obstacles, au prix d’exceptions parfois radicales apportées à ces principes.

La Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE) a posé dès 2001, dans l’arrêt Courage (C-453/99), les principes d’efficience et d’équivalence du droit européen de la concurrence qui seront la pierre angulaire de cette construction, et rappelé la responsabilité partagée des juridictions nationales et des autorités de concurrence dans la mise en œuvre des règles de concurrence. Ce rôle complémentaire a été souligné à son tour par le règlement (CE) n° 1/2003 du Conseil du 16 décembre 2002, relatif à la mise en œuvre des règles de concurrence prévues aux articles 101 et 102 TFUE, notablement par l’institution d’un effet liant, pour les juridictions nationales, des décisions définitives prises par la Commission européenne dans les actions en réparation consécutives (actions dites de « follow-on »), et par le rôle d’« amicus curiae » dévolu à cette dernière.

C’est au vu des mêmes principes d’efficience et d’équivalence que la CJUE a défini dans sa décision Manfredi (C-295/04) des standards communs à tous les Etats-membres pour la détermination des préjudices résultant de pratiques anticoncurrentielles puis, dans ses décisions Pfleiderer (C-360/09) et Donau Chemie (C-536/11), aménagé un équilibre délicat entre les contraintes du « public enforcement », en approuvant la nécessaire confidentialité accordée aux demandeurs de clémence en contrepartie de leur contribution à la mise au jour des infractions les plus graves, et celles, non moins exigeantes, du « private enforcement », pour permettre aux victimes de pratiques anticoncurrentielles d’obtenir la réparation de leurs préjudices par un meilleur accès aux preuves y compris celles détenues par les autorités de concurrence.

 

Pour aller plus loin

La directive européenne n° 2014/104 du 26 novembre 2014, relative à certaines règles régissant les actions en dommages-intérêts en droit national pour les infractions au droit de la concurrence national et communautaire (« la directive dommages »), et transposée en France par l’ordonnance n° 2017-303 et le décret n° 2017-305 du 9 mars 2017, a consacré ces avancées, et ces compromis, en posant des règles nouvelles et parfois révolutionnaires tout en veillant à respecter les équilibres définis par la CJUE.

Seuls ses traits essentiels seront rappelés ici.

La directive facilite l’accès aux preuves détenues par les tiers et notamment les autorités de concurrence, tout en instituant une interdiction absolue de communication des déclarations aux fins de clémence ainsi que des transactions. Il appartient au juge saisi de la demande de communication de documents -ou de catégories de documents- de mettre en balance les intérêts en jeu au vu du principe de proportionnalité, ainsi que l’a rappelé la Cour de Cassation (Com. 8.7.2020, pourvoi n° 1925065, Renault Trucks).

Elle crée une série de présomptions propres à alléger le fardeau de la preuve pour chacun des trois éléments constitutifs de la responsabilité civile :
 la constatation de l’infraction par une autorité de concurrence constitue une présomption irréfragable de la faute au sens de la responsabilité civile lorsque cette autorité est située dans le même Etat-membre que celui de la juridiction saisie de l’action en réparation, ou une preuve prima facie dans le cas contraire ;
 une deuxième présomption, réfragable, s’applique au lien de causalité entre faute et préjudice dans les affaires d’entente horizontale ;
 deux autres présomptions, également susceptibles de preuve contraire, portent sur l’existence du préjudice, l’une en faveur de l’acheteur direct ou indirect qui est présumé ne pas avoir transféré le surcoût résultant d’un cartel, l’autre en faveur de l’acheteur indirect qui est présumé -sous certaines conditions- être la victime d’un tel transfert de surcoût.

La directive innove, enfin, en posant des règles originales de nature à « récompenser » les bénéficiaires de mesures de clémence, en décidant qu’ils échappent au mécanisme de la solidarité civile vis-à-vis des victimes de pratiques anticoncurrentielles -spécialement dans le cas des cartels-, sauf pour les victimes à apporter la preuve que leur action en réparation engagée contre les autres cartellistes a été vaine.

S’agissant de l’évaluation du dommage, la directive rappelle le principe unanimement adopté en Europe de la compensation intégrale du dommage, écartant le choix états-unien des dommages punitifs.

Plusieurs guides et recommandations non contraignants élaborés par la Commission Européenne complètent ce nouvel ensemble :
 Communication relative à la quantification du préjudice (2013/C 167/07),
 Guide pratique relatif à cette quantification (C(2013)3440),
 Orientations à l’intention des juridictions nationales sur la façon d’estimer le surcoût répercuté « passing-on » sur les acheteurs indirects (2019/C 267/07). Ils se caractérisent par une nouvelle approche, économique, de la détermination du préjudice, où la construction d’un scénario contrefactuel joue un rôle essentiel.

Les mécanismes d’actions collectives aux fins de réparation de préjudices de masse sont absents de la directive dommages, bien qu’ils aient fait l’objet d’une communication de la Commission Européenne (COM 2013/401) complétée par une Recommandation (2013/396/UE), relative à des principes communs applicables aux mécanismes de recours collectifs en réparation et en cessation dans les Etats-membres de l’UE. Les Etats-membres ont tous comblé cette lacune dans leur législation nationale. Ce sera, en France, la loi Hamon n° 2014-344 du 17 mars 2014.

La mise en œuvre de la directive a donné lieu à de nouvelles décisions, majeures, de la CJUE. Ainsi, l’affaire Cogeco (C-637/17) a été l’occasion, pour la CJUE de se prononcer sur l’application dans le temps des règles nouvelles applicables à la prescription énoncées dans la directive, au visa, une fois de plus, du principe d’effectivité du droit de la concurrence européen dont elle préserve l’effet utile. La Cour se montrera tout aussi novatrice dans sa décision Skanska (C-724/17) en déclarant le principe de continuité économique applicable aux actions en réparation de sorte qu’une société-mère peut être déclarée civilement responsable des conséquences d’une infraction aux règles de concurrence commise par sa filiale, écartant ainsi le principe de la responsabilité personnelle dans ce domaine spécifique de la responsabilité civile délictuelle et quasi-délictuelle.

L’affaire Sumal (C-882/19) sera pour la Cour l’occasion d’approfondir cette notion d’entité économique unique dans le domaine de la responsabilité civile, en décidant, symétriquement, qu’une filiale peut aussi être déclarée civilement responsable des préjudices résultant d’infractions aux règles de concurrence dont sa société-mère a été reconnue coupable.

 

Jurisprudences pertinentes

Union Européenne

CJUE, 15 avril 2021, aff. C-882/19, Sumal

CJUE, 6 juin 2013, aff. C-536/11, Donau Chemie

CJUE, 14 juin 2011, aff. C-360/09, Pfeiderer

CJUE, 16 juillet 2006, aff C-295/04, Manfredi

CJUE, 20 septembre 2001, aff. C-453/99, Courage

France

Com., 8 juillet 2020, pourvoi n° 1925065, Renault Trucks

Auteur

Citation

Jacqueline Riffault-Silk, Action et recours privés, Dictionnaire de droit de la concurrence, Concurrences, Art. N° 86754

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Éditeur Concurrences

Date 1er février 2023

Nombre de pages 842

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Définition institution

L’action publique en droit de la concurrence désigne l’action menée par la puissance publique, par exemple l’autorité de la concurrence ou le ministère public, pour découvrir et sanctionner les auteurs de violations des règles relatives à la concurrence. L’action privée recouvre au contraire les procédures engagées par une personne physique ou morale, une organisation ou une entité publique (par exemple, dans les affaires de soumission concertée, une collectivité locale ou un organisme de passation des marchés) afin qu’un tribunal constate une violation du droit de la concurrence et ordonne la réparation du préjudice subi ou prenne des mesures provisoires ou conservatoires (injunctive reliefs). Les actions privées peuvent être des actions autonomes (stand-alone action), mais aussi des actions de suivi (follow-on action) engagées à la suite d’une décision prise dans le cadre d’une action publique. Dans la majorité des juridictions, la plupart des actions privées sont des actions de suivi. © OCDE

Voir également Dommages et Recours collectif

Voir aussi :

 
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