Avec l’essor des plateformes numériques d’envergure mondiale et le développement des services fondés sur les technologies numériques, le pouvoir de marché considérable acquis par certains acteurs eu égard à leur expertise technologique, l’importance des effets de réseau, la collecte massive de données ou les économies d’échelle dont ils bénéficient, ont conduit les autorités de concurrence française et européenne à mener une réflexion approfondie sur la mise à jour de leur grille d’analyse, de leurs méthodes et des outils à leur disposition.
A cet égard, il est à relever que la Commission Européenne a fait évoluer sa lecture de l’article 22 du Règlement 139/2004 sur les concentrations, qui permet à un ou plusieurs Etats Membres de demander à la Commission d’examiner une opération de concentration qui n’est pas de dimension européenne (sous les seuils), mais qui affecte le commerce entre Etats Membres et menace d’affecter de manière significative la concurrence sur le territoire du ou des Etats Membres qui en formulent la demande.
A cet égard, suite aux annonces de la société Illumina, société américaine leader du séquençage ADN, de son projet de rachat de la start-up française Grail qui a mis au point des tests sanguins de dépistage du cancer, l’Autorité de la concurrence a fait usage du mécanisme de renvoi de l’article 22, et sollicité de la Commission qu’elle contrôle l’opération.
La Commission européenne a accepté la requête soumise par la France, à laquelle se sont par la suite joints la Belgique, la Grèce, l’Islande, les Pays-Bas et la Norvège, acceptation par ailleurs admise par le Tribunal de l’Union par une décision du 13 juillet 2022, dans laquelle ce dernier admet, dans son principe, la compétence de la Commission pour examiner cette opération, qui ne présentait pas de dimension européenne.
L’adoption du DMA relance également le débat de la portée de la jurisprudence dite Continental Can. En effet, dans un arrêt ancien du 21 février 1973, soit avant que l’Union Européenne ne soit doté d’un outil de contrôle ex ante des concentrations, la Cour de Justice avait considéré que pouvait caractériser un abus le fait, pour une entreprise en position dominante, d’acquérir un de ses concurrents, en éliminant ainsi pratiquement la concurrence sur le marché concernée dans une partie substantielle du marché européen.
Depuis l’adoption du règlement (CE) no 139/2004, la portée de cette jurisprudence fait débat, certains la considérant comme obsolète. À l’inverse, il est à relever que dans ses conclusions générales présentées le 13 octobre 2022 dans l’affaire C-449/21, l’avocate générale Juliane Kokott préconise l’application de la jurisprudence Continental Can aux concentrations qui se situent en deçà des seuils prévus par les textes, de sorte que de telles opérations pourraient, a posteriori, faire l’objet d’un contrôle par les autorités de concurrence sur la base de l’interdiction de l’abus de position dominante.