Investisseur privé en économie de marché

 

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Premier aperçu

La notion d’investisseur privé en économie de marché est le standard juridique de référence, utilisé par la Commission européenne (ci-après la « Commission ») et contrôlé par la Cour de Justice de l’Union européenne (ci-après la « Cour »), pour apprécier l’existence ou non d’une aide d’Etat au sens de l’article 107 TFUE en cas d’intervention publique dans la vie économique d’un État membre.

Ce standard est né de la coexistence de deux principes de droit de l’Union européenne :

  • d’une part, le droit pour les États membres d’intervenir dans l’économie. En ne préjugeant « en rien [du] régime de la propriété dans les Etats membres », l’article 345 TFUE reconnaît en effet que les États membres sont libres d’entreprendre, des activités économiques, au même titre que des entreprises privées, par exemple par le biais de prise d’une participation – même majoritaire – dans une entreprise ;
  • d’autre part, le devoir des États membres de ne pas fausser la concurrence en favorisant une entreprise ou une production donnée ; l’article 107 du TFUE prévoyant qu’une aide accordée par un État membre est incompatible avec le marché intérieur si elle fausse ou menace de fausser la concurrence en favorisant certaines entreprises / productions et si elle affecte les échanges entre les États membres.

L’application concomitante de ces dispositions par la Commission a résulté dans la création d’un test spécifique (dit de l’« investisseur privé en économie de marché ») dont l’objet est de vérifier si, dans des circonstances et des conditions similaires, un opérateur privé aurait effectué les mêmes investissements que l’Etat membre en question ; et de déceler, en cas de réponse négative, l’existence d’une aide publique entrant dans le champ de l’article 107 TFUE.

À l’image de la notion de « bon père de famille » consacrée par le droit français, la notion d’investisseur privé en économie de marché permet donc de mesurer le caractère « normal » ou « raisonnable » du comportement économique d’un État membre afin de s’assurer que ce comportement n’enfreint pas les dispositions du TFUE relatives aux aides d’Etat.

 

Pour aller plus loin

Le test a été très tôt consacré par le juge de l’Union (CJCE, 10 juillet 1986, Belgique c/ Commission, aff. 40/85, pt 13 : « En vue de vérifier si une […] mesure présente le caractère d’une aide étatique, il est pertinent d’appliquer le critère […] indiqué dans la décision de la Commission »), qui l’a encadré et en a régulièrement précisé la portée, en jugeant par exemple que « si le comportement de l’investisseur privé, auquel doit être comparée l’intervention des pouvoirs publics […] n’est pas nécessairement celui de l’investisseur ordinaire plaçant des capitaux en vue de leur rentabilisation à plus ou moins court terme, il doit, au moins, être celui d’un holding privé ou d’un groupe privé d’entreprises […] guidé par des perspectives de rentabilité à plus long terme » (CJCE, 21 mars 1991, Italie c/ Commission, aff. C-305/89, pt 20 ; CJCE, 14 septembre 1994, Royaume d’Espagne c/ Commission, aff. 42/93, pt 14 ; CJCE, 3 mai 1996, RFA c/ Commission, aff. C-399/95 R ; TPICE, 18 décembre 2008, Componenta c/ Commission, aff. T-455/05, pt 86 ; Trib. UE, 21 mai 2010, France e.a. c/ Commission, aff. jtes T-425/04, T-444/04, T-450/04 et T-456/04, spéc. pt 216).

L’utilisation du test de l’investisseur privé relève du pouvoir discrétionnaire de la Commission. Pour autant, la pratique de la Cour l’a progressivement conduite à contrôler la méthode employée par la Commission en s’assurant notamment du caractère in concreto de l’analyse. La Cour juge en effet que la Commission doit mener son analyse « compte tenu des circonstances de chaque cas d’espèce » (Trib. UE, 15 décembre 2009, EDF c/ Commission, aff. T-156/04, pt 233) et se replacer dans le contexte économique et temporel en vigueur lors de l’investissement public (CJCE, 3 octobre 1991, Italie c/ Commission, aff. C-261/89, pt 12).

Cette position a conduit la Cour à refuser, dans la mise en œuvre du test, les analyses ex post « pour rechercher si l’État a adopté ou non le comportement d’un investisseur avisé dans une économie de marché, il y a lieu de se replacer dans le contexte de l’époque au cours de laquelle les mesures de soutien […] ont été prises pour évaluer la rationalité économique du comportement de l’État et donc de s’abstenir de toute appréciation fondée sur une situation postérieure », la Commission devant s’appuyer sur les « informations disponibles et [en tenant compte des] évolutions prévisibles à la date desdits apports » (CJCE, 16 mai 2002, France c/ Commission, aff. C-482/99, pts 71 et 70).

Très fréquemment utilisé dans la pratique de la Commission et la jurisprudence de la Cour, le recours au critère de l’investisseur privé s’étend aujourd’hui bien au-delà de l’hypothèse d’une prise de participation publique dans le capital d’une entreprise et a été décliné au gré des différentes facettes de l’État intervenant comme un opérateur économique : cession de biens, fourniture de prestation, achat de service, abandon de créance, mise à disposition de capitaux, consentement à un prêt ou à une garantie, etc. Cette utilisation extensive conduit parfois à renommer ce standard « test de l’opérateur privé en économie de marché » comme pour mieux souligner que son application très large recouvre tous les visages économiques que peuvent prendre l’État et ses démembrements.

 

Jurisprudences pertinentes

CJCE, 16 mai 2002, France c/ Commission, aff. C-482/99, EU:C:2002:294

CJCE, 3 mai 1996, RFA c/ Commission, aff. C-399/95 R, EU:C:1996:193

CJCE, 14 septembre 1994, Royaume d’Espagne c/ Commission, aff. 42/93, EU:C:1994:326

CJCE, 3 octobre 1991, Italie c/ Commission, aff. C-261/89, EU:C:1991:367

CJCE, 21 mars 1991, Italie c/ Commission, aff. C-305/89, EU:C:1991:142

CJCE, 10 juillet 1986, Belgique c/ Commission, aff. 40/85, EU:C:1986:305

Trib. UE, 21 mai 2010, France e.a. c/ Commission, aff. jtes T-425/04, T-444/04, T-450/04 et T-456/04, EU:T:2010:216

Trib. UE, 15 décembre 2009, EDF c/ Commission, aff. T-156/04, EU:T:2009:505

TPICE, 18 décembre 2008, Componenta c/ Commission, aff. T-455/05, EU:T:2008:597

 

Bibliographie

Communication de la Commission relative à la notion d’« aide d’État » visée à l’article 107, paragraphe 1, du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, JOUE n° C 262 du 19 juillet 2016, p. 1

Communication de la Commission relative à l’application des articles 92 et 93 CEE et de l’article 5 de la directive 80/723/CEE aux entreprises du secteur manufacturier, JOCE n° C 307 du 13 novembre 1993, p. 3

Communication de la Commission relative à l’application des articles 92 et 93 CEE aux prises de participation des autorités publiques dans les capitaux des entreprises, Bull. CE 9-1984

Directive 2006/111/CE de la Commission du 16 novembre 2006 relative à la transparence des relations financières entre les États membres et les entreprises publiques ainsi qu’à la transparence financière dans certaines entreprises, JOUE n° L 318 du 17 novembre 2006, p. 17

Auteur

Citation

Marie-Pascale Heusse, Investisseur privé en économie de marché, Dictionnaire de droit de la concurrence, Concurrences, Art. N° 89171

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Éditeur Concurrences

Date 1er février 2023

Nombre de pages 842

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Définition institution

Le critère de référence pour repérer l’existence d’une aide d’État est celui de « l’investisseur privé, agissant dans les conditions normales d’une économie de marché ». Autrement dit, il s’agit « d’apprécier si, dans le cadre d’une opération donnée, l’Etat a accordé un avantage à une entreprise en ne se comportant pas comme un opérateur en économie de marché ». Son application impose de vérifier si, placé dans une situation analogue, un investisseur privé aurait agi de la même façon que l’actionnaire public intervenant au profit de l’entreprise, ou encore de s’interroger sur les possibilités qu’aurait eues l’entreprise de trouver des capitaux sur le marché privé dans les mêmes conditions. Des précisions portant notamment sur la détermination de la conformité d’une opération avec les conditions de marché sont apportées par la Commission (arrêt T‑386/14, FIH Holding A/S, établie à Copenhague (Danemark), FIH Erhvervsbank A/S, établie à Copenhague). © Economie.gouv

 
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