Institutions européennes de la concurrence

 

Définition auteur

 

Premier aperçu

La politique de concurrence de l’Union est mise en œuvre par la Commission européenne et par les Autorités Nationales de la Concurrence. Ces institutions n’ont cessé de prendre de l’importance.

La Commission européenne joue un rôle central, en instruisant les restrictions à la concurrence affectant les marchés de plusieurs Etats membres, les concentrations de dimension européenne, et tous les dossiers d’aide d’Etat. Elle coordonne aussi l’application du droit de la concurrence par les Autorités Nationales, notamment en ayant institué avec elles un Réseau Européen de la Concurrence, dans lequel sont diffusées toutes les décisions et débattues les principales orientations et nouvelles questions posées par les évolutions du droit de la concurrence.

Les Autorités Nationales appliquent leur droit national aux affaires internes à leur État, en conformité avec le droit européen.

 

Pour aller plus loin

Le Traité sur le fonctionnement de l’Union Européenne prévoit que l’Union dispose d’une compétence exclusive pour "l’établissement des règles de concurrence nécessaires au fonctionnement du marché intérieur" (article 3, TFUE).

1) Il s’ensuit que les principales dispositions de droit substantiel de la concurrence, au-delà des articles de base du Traité, sont adoptées par les Institutions de l’Union dotées de fonctions législatives. En l’occurrence sur une procédure spéciale : adoption par le Conseil, sur proposition de la Commission, après simple consultation du Parlement européen. C’est notamment le cas du règlement 1/2003 pour la mise en œuvre des articles 101 (ententes) et 102 (abus de position dominante), du règlement 139/2004 pour le contrôle des concentrations, et du règlement 2015/1589 pour le contrôle des aides d’Etat.

2) La mise en œuvre du droit de la concurrence dans l’Union s’opère par une combinaison entre la Commission européenne, qui joue un rôle central, et les Autorités Nationales de la concurrence.

Ainsi a été institutionnalisé un Réseau Européen de la Concurrence, qui contribue fortement à une application coordonnée à tous les niveaux du droit de la concurrence. Selon les domaines du droit de la concurrence, la combinaison entre la Commission et les Autorités Nationales est plus ou moins resserrée :

 Elle est forte dans le domaine des ententes et abus de position dominante, où le droit européen s’applique dès que le commerce entre Etats membres est susceptible d’être affecté. Depuis le règlement 1/2003, les rapports entre droit européen et droits nationaux de la concurrence, et par voie conséquence entre les autorités correspondantes, est largement clarifié : les Autorités Nationales ont compétence pour appliquer les articles 101 et 102 conformément à leurs règles de droit interne ; en revanche, la Commission conserve une priorité de compétence, qui dessaisit l’autorité nationale, lorsqu’elle ouvre une procédure. En outre, les Autorités Nationales doivent informer la Commission des procédures qu’elles ouvrent et de leur évolution, ce qui permet éventuellement à celle-ci d’assurer une bonne cohérence des décisions prises au niveau national. Elle le fait soit par contact direct avec l’autorité nationale, soit via le Réseau Européen de la concurrence lorsqu’il s’agit de débattre de questions plus générales ou systémiques.

 Pour les concentrations d’entreprises, la Commission a une compétence exclusive pour les opérations de dimension européenne, ainsi déterminées par une double série de seuils, en fonction du montant du chiffre d’affaires, mondial et européen. L’opération perd cependant sa dimension européenne si les entreprises réalisent 2/3 de leur chiffre d’affaires dans un seul Etat membre. La compétence exclusive de la Commission au-dessus des seuils résulte de l’évidente nécessité d’un "guichet unique" pour ces opérations, évitant les compétences concurrentes de multiples autorités nationales.

En dessous des seuils les Autorités Nationales redeviennent compétentes.

Cependant, des mécanismes de renvoi sont prévus : Soit permettant à la Commission de renvoyer une concentration vers l’autorité d’un Etat membre dont l’opération affecterait très particulièrement le marché ; soit, plus souvent, permettant à l’autorité nationale ou aux entreprises de renvoyer à la Commission des opérations à faible valeur mais forte sensibilité. Récemment, la Commission a étendu cette possibilité de renvoi vers elle à la demande d’autorités nationales, à des opérations pour lesquelles ces autorités n’étaient pas elles-mêmes compétentes.

 Enfin, dans le domaine des aides d’Etat, le principe est celui de la compétence exclusive de la Commission. Toute aide doit être notifiée à la Commission, en vue d’une décision sur sa compatibilité. Certaines catégories d’aides en sont dispensées dans des conditions définies par des "règlements d’exemption". Par ailleurs, la Commission a développé un volumineux corpus de "lignes directrices", par lesquelles elle précise le sens de ses décisions futures. Les Autorités Nationales ne jouent aucun rôle décisionnaire dans le domaine des aides d’Etat, à l’exception des juridictions nationales qui doivent déclarer inopérantes les aides "illégales" (c’est-à-dire qui auraient dû être notifiées et ne l’ont pas été), et les autorités en charge de la récupération par l’Etat des aides déclarées "incompatibles avec le marché intérieur" par la Commission. Il convient enfin de signaler que dans le cadre de l’Espace Economique européen, une Autorité de Surveillance AELE fonctionne vis-à-vis de la Norvège, de l’Islande et du Liechtenstein, comme la Commission européenne vis-à-vis des Etats membres de l’Union. Cette Autorité se concerte sur le fond de manière suivie avec la Commission. Elle est compétente lorsque seul le commerce intra-AELE est en cause, et lorsque plus d’un tiers du chiffre d’affaires des entreprises concernées est couvert par l’Accord EEE. Dans les autres cas, c’est la Commission européenne qui instruit. La Norvège surtout lui fournit un flux régulier de notifications d’aides d’Etat.


Les modalités de prise de décisions par la Commission Européenne sont complexes et sophistiquées :

 seules les décisions importantes et les décisions finales statuant sur une affaire sont prises par le Collège des commissaires. La proposition de décision vient de la Direction Générale de la Concurrence, après avoir reçu l’aval du Service Juridique de la Commission. Elle est soumise aux Cabinets des 26 commissaires, puis à la réunion des chefs de Cabinet qui préparent la réunion hebdomadaire de la Commission. S’il y a des divergences entre services ou commissaires, elles sont en général réglées lors de ces réunions préparatoires, de sorte que le Collège des commissaires puisse formellement adopter la décision sans débat.

 les dossiers de concurrence suivent un traitement très normé, impliquant une série de décisions intermédiaires de la Commission. Ces décisions sont prises par habilitation du Commissaire à la Concurrence, ou par délégation à la hiérarchie de la Direction Générale, selon leur importance.

 la coopération est étroite avec le Service Juridique de la Commission, qui dispose d’une équipe dédiée à la concurrence (ententes et acquisitions d’entreprise), et d’une autre aux aides d’Etat. La raison en est que les décisions en matière de concurrence font de plus en plus souvent l’objet de recours contentieux devant la Cour de Justice : non seulement de la part des destinataires des décisions de la Commission, mais aussi des concurrents de ces destinataires. Le Service Juridique s’assure donc que les décisions de la Commission, qu’il devra défendre devant la Cour, sont juridiquement suffisamment robustes.

 avant d’être adoptés par la Commission, les projets de décision sont encore soumis pour avis aux Comités consultatifs des représentants des autorités nationales des Etats membres. La coopération au sein du Réseau des Autorités de Concurrence est devenue suffisamment forte pour que les avis de ces Comités ne suscitent que rarement de la controverse.


Le service opérationnel de la Commission en charge de l’instruction des dossiers de concurrence est la Direction Générale de la Concurrence, forte de 850 fonctionnaires environ.

Elle est divisée en 3 grandes sections (ententes, concentrations, aides d’Etat), qui recoupent des directions sectorielles (énergie et environnement, communication et médias, services financiers, industries de base, transports et autres services). Chaque dossier est instruit par une équipe ("Case team") issue d’un de ces secteurs.

La Direction Générale s’appuie aussi sur un service de "Chief economist", et sur une direction chargée de la politique générale de concurrence.

La procédure suivie au sein de la Commission est de type "administrative", au contraire des systèmes de concurrence impliquant une décision de la part d’une juridiction.

Il a ainsi été critiqué que la Commission puisse à la fois instruire les enquêtes, décider de leur issue, et éventuellement appliquer des sanctions, parfois très lourdes.

La Commission y répond de deux manières :
 d’une part en ayant institué de sérieux éléments de "contradictoire" dans sa procédure interne : droit de réponse à la communication des griefs ; droit à un hearing présidé par un "hearing officer" indépendant des services de la Direction de la Concurrence.
 d’autre part en constatant que les décisions de la Commission sont soumises au contrôle de la CJCE, de pleine juridiction en matière de concurrence.

 

Jurisprudences pertinentes

Affaire C-857/19, 25 février 2021, Slovak Telekom a.s.

Cass. com., 18 sept. 2019, n° 18-12.601

Affaire C-111/10, (Grande Chambre) 4 décembre 2013, Commission c/ Conseil

Conseil d’Etat, 13 juillet 2012, SNCM, n° 355616

Affaire C-17/10, (Grande Chambre) 14 février 2012, Toshiba Corporation e.a.

Affaire C-275/10, 8 décembre 2011, Residex Capital IV

Affaire C-439/08, (Grande Chambre) 7 décembre 2010, VEBIC

Affaire 14/68, 13 février 1969, Walt Wilhelm

Affaires jointes 56-64 et 58-64, 13 juillet 1966, arrêt Grundig

 

Bibliographie

Droit européen de la concurrence, C. Prieto et D. Bosco, p.1117 et s. Bruylant 2013

Droit de la concurrence, droit interne et droit de l’UE, A. et G. Decocq, p. 383 et s. LGDJ 2016

Contentieux du droit de la concurrence de l’UE, sous la direction de V. Giacobbo-Peyronnel et C. Verdure, p.81 et s., Bruylant 2017

Guide de droit des affaires, sous la direction de F. Picod, p. 153 et s., LexisNexis 2021

Droit de la concurrence : droit européen, Louis Vogel, Editions Bruylant/2020

"EU Antitrust Enforcement Powers and Procedural Rights and Guarantees : The Interplay between EU Law, National Law, the Charter of Fundamental Rights of the EU and the European Convention on Human Rights", Wouter P.J. Wils

“The European Commission and the ECN : Imagining the New Era – I would not start from here”, Ian Forrester, European Competition Law Annual 2014 : Institutional Change and Competition Authorities, Philip Lowe and Mel Marquis (Eds.) [Hart Publishing, 2015]

La pleine juridiction du juge de l’Union européenne en droit de la concurrence, Géraldine Gaulard, Editions Bruylant, 12/11/2020

Standing Up for Convergence and Relance in Antitrust, Frédéric Jenny, Concurrences, 20/06/2021

« Regards sur la modernisation du contrôle des aides d’Etat », Laurence Idot, Concurrences n° 4- 2014, décembre 2014

« Décision de demande de renseignement : quelles limites aux pouvoirs de la Commission ? », Muriel Chagny, AJ Contrats d’affaires : concurrence, distribution, N° 2, 2014, p. 89

Auteur

  • Clifford Chance (Paris)

Citation

Michel Petite, Institutions européennes de concurrence , Dictionnaire de droit de la concurrence, Concurrences, Art. N° 105425

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Éditeur Concurrences

Date 1er février 2023

Nombre de pages 842

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