Les autorités de concurrence ne sont pas indépendantes au même sens que les tribunaux, mais jouissent de divers degrés d’indépendance opérationnelle. Le principe d’impartialité peut s’appliquer aux autorités lorsqu’elles prennent des décisions.
Le principe de l’indépendance judiciaire est reconnu par la plupart des pays du monde, et certainement par ceux qui disposent d’un système reconnaissable de droit de la concurrence. Au Royaume-Uni, le principe a été reconnu dans l’Act of Settlement de 1701, qui a confirmé que les juges n’exerçaient plus leurs fonctions selon le bon plaisir du souverain. Dans l’Union européenne, l’indépendance du Tribunal et de la Cour de justice est garantie par les traités (art. 19 TUE et art. 251-254 TFUE) et leur indépendance est un principe fondamental du droit communautaire. Aux États-Unis d’Amérique, le principe de l’indépendance des juges est inscrit dans la Constitution (art. III, sect. 1).
Derrière ce principe se cachent toutefois des questions importantes. L’indépendance signifie être libre des intérêts de l’État, c’est-à-dire de l’exécutif et du législatif, et des parties à un litige.
La liberté par rapport aux intérêts de l’État est illustrée au Royaume-Uni par une affaire de 1770 dans laquelle Lord Mansfield a rendu son jugement au milieu d’une foule hurlante à l’extérieur du tribunal. Il a dit : « Des raisons de politique sont invoquées, en raison du danger pour le royaume, des agitations et de la confusion générale. [...] La constitution ne permet pas aux raisons d’État d’influencer nos jugements : Dieu nous en préserve ! »
Pour déterminer si les juges (et donc les tribunaux) sont indépendants, les facteurs pertinents comprennent le mode de nomination du juge, la durée de son mandat, les garanties contre les pressions extérieures et l’apparence d’indépendance. Au sein d’un système judiciaire, il existe d’autres nuances, par exemple la façon d’empêcher les jeunes juges de s’en remettre à leurs collègues plus anciens dans l’espoir d’une promotion professionnelle. Ces questions sont traitées de différentes manières sont les régimes. Tous contribuent, dans une mesure plus ou moins grande, à l’étendue de l’indépendance judiciaire réelle, c’est-à-dire à la liberté d’un juge de trancher l’affaire en question librement et équitablement.
L’impartialité est étroitement liée à l’indépendance. Là encore, il est fondamental qu’un juge décide d’une affaire sur la base des preuves disponibles, sans influence, partialité ou préjugé, réel ou apparent. Les juges prêtent généralement serment lorsqu’ils acceptent leur fonction. Au Royaume-Uni, il s’agit d’administrer la justice « sans crainte ni faveur, sans affection ni mauvaise volonté ».
Il existe des critères subjectifs (découlant des préjugés ou de la partialité d’un juge particulier) et des critères objectifs (si la composition du tribunal offre une garantie suffisante d’impartialité) pour évaluer l’impartialité. Ces approches peuvent se confondre dans une affaire donnée.
Un exemple en est l’affaire Pinochet au Royaume-Uni, où la Chambre des lords a annulé une décision qu’elle avait rendue au motif que l’un des juges concernés avait un lien avec une organisation militante tel qu’il compromettait apparemment son indépendance. Il s’ensuit que les juges doivent divulguer tout intérêt personnel et, si nécessaire, se récuser de toute affaire dans laquelle leur impartialité pourrait être mise en doute.
En ce qui concerne les autorités de concurrence, des questions différentes se posent. Le « modèle de l’agence indépendante », selon lequel de nombreuses autorités de concurrence ont été établies en tant qu’organes distincts « indépendants », souvent dotés d’un pouvoir de décision, implique un certain degré d’indépendance opérationnelle. Il doit y avoir une base juridique solide pour les attributions de l’autorité (bien qu’elle n’ait normalement pas le même statut constitutionnel que les tribunaux) et les mêmes questions de nomination, de mandat, de rémunération, de discipline, de comportement et de révocation s’appliquent. Chaque système traite ces questions à sa manière.
Dans l’Union européenne, l’application de la politique de concurrence est confiée à la Commission par les traités (art. 245 TFUE). La Commission est libre, pendant son mandat, d’utiliser son pouvoir de décision pour faire appliquer la loi comme elle le souhaite. Elle est responsable devant le Parlement européen et les tribunaux de l’UE, mais pas devant les États membres. Aux États-Unis, le ministère de la Justice, qui fait partie de l’exécutif, applique la loi antitrust principalement par le biais des tribunaux. Les termes de son indépendance sont fixés par ses pouvoirs statutaires, mais ses activités peuvent être influencées, par le biais du système de nomination, par les politiques de l’administration actuelle. De même, la Federal Trade Commission, créée par une loi du Congrès, dispose d’une grande liberté d’action dans le cadre de sa juridiction, mais ses activités peuvent être influencées par la politique de l’administration. Au Royaume-Uni, la Competition and Markets Authority (CMA) est établie par la loi et jouit d’une grande liberté d’action ; elle est responsable de ses actions devant le Parlement (et les tribunaux). Le gouvernement contrôle ses membres, ses conditions de rémunération et son budget. Les préférences politiques du gouvernement sont exprimées par une communication (annuelle) à la CMA.
Le principe d’impartialité peut également s’appliquer aux autorités. Lorsqu’une autorité a une fonction décisionnelle, elle doit agir de manière équitable et impartiale, au risque de faire appel. Ainsi, en 2009, la décision de la Commission de la concurrence britannique dans l’affaire BAA Airports a été annulée par le Competition Appeal Tribunal (CAT) au motif qu’un membre du comité de décision avait des liens qui donnaient une apparence de partialité. Cette conclusion a été infirmée en appel, mais le principe selon lequel les décisions de l’autorité doivent être exemptes de tout préjugé réel ou apparent a été réaffirmé.
L’affaire Menarini, devant la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH), illustre comment ces principes s’appliquent différemment aux autorités et aux tribunaux. L’article 6, paragraphe 1, de la Convention européenne des droits de l’homme dispose que « [t]oute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement […], par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera, soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. »
La CEDH a examiné si les procédures de l’autorité italienne de la concurrence répondaient à ces exigences et a conclu qu’elles ne le faisaient pas ; mais la majorité a décidé que le contrôle judiciaire par les tribunaux administratifs était suffisant pour satisfaire à l’article 6. Un juge (le juge Pinto de Albuquerque) n’était pas d’accord pour dire que le contrôle des tribunaux administratifs était suffisant. L’approche majoritaire a depuis été approuvée et suivie par la Cour de justice de l’UE et l’article 47 de la Charte des droits fondamentaux reflète la formulation de l’article 6, paragraphe 1, de la Convention européenne.
Cela reflète largement la position du Royaume-Uni. Une autorité de concurrence doit chercher à agir équitablement, mais, en raison de son rôle d’enquête et d’application, elle ne peut pas nécessairement rendre une décision impartiale ; il appartient aux tribunaux de remédier à toute déficience, normalement par un appel sur le fond devant le CAT.