C’est principalement par le prisme du non-respect de l’engagement FRAND et de l’article 102 TFUE (patent ambush, patent hold-up, refus de licence et exercice abusif d’ester en justice) que le droit de la concurrence s’est saisi de la question, car si le système de normalisation a d’abord fonctionné de façon satisfaisante, un grand nombre de litiges sont apparus dans les vingt dernières années, révélant des tensions entre les différentes parties au processus de normalisation.
Avant 2010, le droit de la concurrence était lacunaire sur la question des engagements FRAND et les affaires Rambus (2009), Motorola (2014) et Samsung (2014), furent clôturées par des engagements rendus obligatoires sur le fondement de l’article 9 du règlement 1/2003.
La première clarification sur la possibilité de sanctionner le non-respect d’un engagement FRAND est intervenue lors d’une question préjudicielle posée à la CJUE en 2014. La cour a considéré, d’une part, que le titulaire d’un brevet essentiel à une norme établie par un organisme de normalisation, qui s’est engagé irrévocablement envers cet organisme à octroyer aux tiers une licence à des conditions FRAND, n’abuse pas de sa position dominante en introduisant une action en contrefaçon. La licéité d’un tel comportement est cependant subordonnée à plusieurs conditions. Premièrement, l’action ne peut pas être introduite sans que le titulaire n’ait averti le contrefacteur. Deuxièmement, si le contrefacteur allégué a exprimé sa volonté de conclure un contrat aux conditions FRAND, le titulaire du brevet essentiel doit lui transmettre une offre écrite répondant à ces conditions FRAND. Il incombe, dès lors, au contrefacteur de donner suite à cette offre de bonne foi ou de proposer une contre-offre, et, si cette contre-offre n’est pas acceptée, de constituer une sureté et d’opérer un décompte des actes s’il utilise la technologie brevetée (CJUE, 16 juillet 2015, C-170/13, Huawei).
Le contenu exact des licences FRAND demeure cependant abscons, et les interrogations qu’elles suscitent dépassent la question de leur non-respect en droit de la concurrence.
Premièrement, le non-respect d’un tel engagement interroge le droit des obligations et le droit international privé. C’est ainsi la force contraignante de l’engagement qui pose question. On sait qu’« un engagement de délivrer des licences à des conditions FRAND crée des attentes légitimes auprès des tiers que le titulaire du brevet essentiel leur octroie effectivement des licences à de telles conditions » (CJUE, 16 juillet 2015, C-170/13, Huawei, pt 53). Mais s’agit-il d’une promesse de licence ? D’un engagement de négocier ? D’une stipulation pour autrui ? L’engagement FRAND serait ainsi défini comme tel : un organisme de normalisation (le stipulant) oblige le titulaire d’un brevet d’invention (le promettant) à accomplir l’obligation qu’est la conclusion d’une licence FRAND au profit d’un tiers qu’est l’utilisateur de la norme concernée (le bénéficiaire). Pour d’autres, l’engagement FRAND peut s’analyser comme un contrat irrévocable (et donc déjà formé) dont le prix, s’il n’est pas déterminé, est au moins déterminable. La question de la qualification de ces engagements FRAND est d’autant plus importante qu’elle peut déterminer le juge compétent. Signalons par exemple une ordonnance du juge de la mise en état qui a reconnu sa compétence sur le fondement de l’article 8.1 du règlement Bruxelles I Bis en qualifiant le contrat liant les parties de stipulation pour autrui (tribunal judiciaire de Paris, ordonnance du juge de la mise en état, 6 février 2020, RG n°19/02085, confirmé par CA Paris, pôle 5-16, 3 mars 2020, RG °21426, Ipcom/Lenovo).
Deuxièmement, et outre la question du non-respect de l’engagement, les licences FRAND attirent l’attention à deux égards : d’abord sur la fixation du montant de la licence FRAND ; ensuite, sur leur rayonnement au-delà du droit des pratiques anticoncurrentielles et de la normalisation.
S’agissant, d’abord, du prix, il n’existe pas de solution unique : ce qui peut être considéré comme raisonnable et équitable diffère d’un secteur à l’autre et varie dans le temps. L’objectif d’une licence FRAND n’est pas de fixer un montant, mais plutôt un ensemble de montants à l’intérieur duquel les prix proposés permettront d’atteindre les objectifs précités. Le juge et la Commission européenne s’accordent sur le fait que les parties concernées sont les mieux placées pour s’accorder sur ce que constituent des redevances équitables dans le cadre de négociations de bonne foi (Communication de la Commission, Définition de l’approche de l’Union en ce qui concerne les brevets essentiels à des normes, 29 novembre 2017, com 2017, 712 final et CA Paris, 16 avr. 2019, n° 15/17037, Conversant c/ LG). Il existe ainsi diverses méthodes permettant de procéder à la détermination d’un prix dit « raisonnable ». On sait, d’emblée, que les méthodes basées sur le coût sont inadaptées en raison des difficultés liées à l’appréciation des coûts imputables au développement d’une technologie. En 2017, la Commission européenne a apporté quelques éléments utiles. Premièrement, les conditions d’octroi de licences doivent indiquer un lien avec la valeur économique de la technologie brevetée sans inclure d’élément résultant de la décision d’intégrer la technologie dans la norme. Deuxièmement, la détermination d’une valeur FRAND devrait tenir compte de la valeur ajoutée actualisée de la technologie brevetée, indépendamment du succès commercial du produit. Troisièmement, l’évaluation FRAND devrait permettre d’inciter les titulaires de brevets essentiels à continuer d’intégrer leurs meilleures technologies disponibles dans les normes. Quatrièmement, les parties doivent tenir compte d’une redevance globale raisonnable pour la norme, en évaluant la valeur ajoutée globale de la technologie. Il est également possible de fixer, non pas le prix, mais une méthode de négociation FRAND (M. Cartapanis, Innovation et droit de la concurrence, LGDJ, 2018, pt 704 et s.)
S’agissant, ensuite, de leur rayonnement, les licences FRAND ont vocation à dépasser le domaine de la normalisation. Signalons par exemple la décision de l’Autorité française de la concurrence qui a imposé à Google de négocier, au titre de mesures conservatoires, la rémunération due au titre des droits voisins pour la reprise de leurs contenus protégés avec les éditeurs et agences de presse dans des conditions FRAND. Elles ont également vocation à dépasser le champ des pratiques anticoncurrentielles (notons par exemple l’autorisation, par la Commission européenne, de la concentration Bonnier Broadcasting / Telia sous conditions d’accès aux chaînes en clair et aux chaînes payantes de base, ainsi qu’aux chaînes de sport payantes premium sur une base FRAND).