Extraterritorialité

 

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Premier aperçu

L’extraterritorialité concerne l’application par un Etat d’une norme juridique au-delà de la compétence territoriale de cet Etat.

En raison du développement du commerce international, de la globalisation croissante des marchés nationaux, et, plus récemment, de la montée en puissance du secteur digital, il est de plus en plus fréquent que les pratiques émanant d’entreprises située dans un pays A aient des conséquences sur le jeu de la concurrence dans un pays B ou que la mise en œuvre de son droit de la concurrence par un pays C ait des conséquences sur le jeu de la concurrence dans un pays D.

Depuis l’arrêt de la Cour permanente de justice internationale (CPJI) sur l’affaire du Lotus, le droit international interdit à tout État l’exercice de sa puissance sur le territoire d’un autre État, sauf règle de droit international contraire. Toutefois, la jurisprudence admet que les États peuvent néanmoins exercer leur compétence normative ou juridictionnelle dès lors qu’il existe un fondement de compétence soit territorial ( le fait que la pratique ou la transaction étrangère peut être regardée comme ayant un effet sur le territoire de l’état) , soit personnelle (c’est-à-dire la compétence dont peut user chaque État sur ses nationaux où qu’il se trouvent), soit réelle (c’est-à-dire l’atteinte à l’étranger aux intérêts fondamentaux de l’État), soit conventionnelle ( c’est-à-dire l’existence un accord international liant les pays en cause) .

Le débat contemporain sur l’extraterritorialité du droit de la concurrence concerne principalement deux types de situations : celles dans lesquelles l’exercice des compétences de l’Etat entend reposer sur un lien territorial, parfois interprété très largement, et celles dans lesquelles la mise en œuvre de son droit par un Etat a des effets considérés comme indésirables ou contraire au droit de la concurrence de pays tiers.

 

Pour aller plus loin

Le lien territorial

Aux Etats Unis, la notion d’extraterritorialité du droit de la concurrence a été poussée très loin dans l’arrêt Alcoa. Dans cet arrêt, le juge Hand a estimé que tout comportement anticoncurrentiel par des entreprises localisées à l’extérieur du territoire des Etats Unis était régi par le droit américain, dans la mesure où un tel comportement avait pour objet d’affecter le commerce des Etats Unis et lui portait atteinte.

En réaction à cet arrêt qui suggérait que le droit américain s’appliquait à tout accord conclu à l’étranger entre étrangers restreignant la concurrence sur le marché américain « quelque indirects, lointains ou négligeables que puissent être tant les rapports de l’accord avec ledit marché, que ses conséquences dans celui-ci », différent pays ont adopté des « lois de blocage » interdisant à leurs entreprises de coopérer à une enquête antitrust étrangère.

Ces conflits ont poussé les Etats, d’une part, à développer la coopération internationale dans l’application du droit de la concurrence afin de limiter les conflits associés à l’application extraterritoriale unilatérale de ce droit et, d’autre part, à exercer une certaine retenue dans la mise en œuvre extraterritoriale de leur droit de la concurrence.

Parmi les moyens de coopération figurent les principes de courtoisie positive et négative. La courtoisie positive suppose qu’un pays examine la demande que lui adresse un autre pays en vue d’engager ou d’élargir une procédure d’application de ses réglementations afin de mettre un terme à une pratique gravement préjudiciable aux intérêts du pays requérant. La courtoisie négative suppose qu’un pays s’engage à tenir compte des intérêts importants d’un pays tiers dans l’application de ses propres règles concurrence. Par exemple, l’accord de coopération CE/EU de 1991 en matière de concurrence comprend en son article V des règles de courtoisie positives complétées par un accord de 1998.

Dans les années qui suivirent l’arrêt Alcoa, la jurisprudence américaine a témoigné d’une certaine hésitation quant à l’étendue des effets et la nature de l’objet nécessaires pour que le Sherman Act soit applicable à une pratique étrangère. Dans l’affaire Timberlane Lumber Co. v. Bank of America, la cour d’appel du 9ième circuit a estimé que le test de l’effet résultant de la jurisprudence Alcoa était incomplet car il ne prenait pas en compte les intérêts légitimes du pays tiers ou la nature globale des relations entre le pays tiers et les Etats Unis. La Cour d’appel a proposé un test incluant notamment la question de savoir si, au regard des principes de courtoisie et de loyauté, la pratique devrait être considérée comme tombant sous le coup du droit antitrust américain.

En 1982 le Foreign Trade Antitrust Improvements Act (FTAIA) a tenté d’unifier la jurisprudence tout en limitant la portée de l’extraterritorialité du droit antitrust américain. Il impose deux conditions pour l’applicabilité du Sherman Act à une pratique étrangère : la pratique doit avoir un effet direct, substantiel et raisonnablement prévisible sur le marché américain et cet effet doit « donner lieu à plainte » au titre du Sherman Act.

En Europe, dans son arrêt « Matières colorantes », la Cour de Justice a retenu que « Lorsqu’une société établie dans un État tiers, en se prévalant de son pouvoir de direction sur ses filiales établies dans la Communauté, fait appliquer par celles-ci une décision de hausse de prix dont la réalisation uniforme avec d’autres entreprises constitue une pratique interdite par l’article 85, paragraphe 1, du traité CEE, le comportement des filiales doit être imputé à la société mère ».

Dans l’arrêt « pâtes de bois », la Cour de Justice, sans se référer directement à la doctrine des effets a précisé : « (….) qu’une infraction à l’article 85, telle que la conclusion d’un accord qui a eu pour effet de restreindre la concurrence à l’intérieur du marché commun, implique deux éléments de comportement, à savoir la formation de l’entente et sa mise en œuvre. Faire dépendre l’applicabilité des interdictions édictées par le droit de la concurrence du lieu de la formation de l’entente aboutirait à l’évidence à fournir aux entreprises un moyen facile de se soustraire auxdites interdictions. Ce qui est déterminant est donc le lieu où l’entente est mise en œuvre ».

Cette distinction a permis à la Cour de Justice d’affirmer que l’application de l’article 85 du Traité de Rome en l’espèce dépendait nécessairement du lieu où l’entente avait été mise en œuvre par opposition au lieu où l’entente avait été conclue.

Les effets extraterritoriaux de la mise en œuvre d’un droit national

Pour illustrer les conséquences extraterritoriales de la mise en œuvre du droit de la concurrence par un Etat et les limites de la courtoisie positive on peut se référer à la décision de 2016 de l’Autorité de la concurrence Coréenne (KFTC) imposant des sanctions à la société Qualcomm pour abus de ses conditions de licence d’un brevet essentiel (BEN) dans le domaine de la téléphonie mobile et lui enjoignant de négocier des accords de licence avec des preneurs de licence Qualcomm disposés à respecter des conditions équitables, raisonnables et non discriminatoires (FRAND). L’injonction de la KFTC s’appliquait au portefeuille mondial de brevets de Qualcomm, déposés en Corée ou dans d’autres pays, et couvrait l’ensemble des preneurs de licence disposés à accepter les conditions FRAND. La KFTC a retenu qu’ « étant donné qu’il est difficile et inefficace de différencier le marché coréen des marchés étrangers aux fins de l’application de l’injonction corrective imposant à Qualcomm de mettre fin aux effets anticoncurrentiels de son comportement, il est raisonnable de ne pas limiter l’injonction corrective et son champ d’application au seul territoire coréen et aux brevets déposés en Corée pour obtenir l’effet visé de mettre effectivement un terme aux effets anticoncurrentiels sur le marché coréen. » La KFTC a estimé que les considérations relatives à la courtoisie internationale n’avaient pas lieu d’être puisqu’aucune procédure d’application du droit n’avait été engagée par un pays étranger (interprétation restrictive de la notion de courtoisie positive) .

 

Jurisprudences pertinentes

CPJI, SÉRIE A – N° 70, Le 7 septembre 1927

United States v. Aluminum Co. of Am. (Alcoa), 148 F.2d 416 (1945)

ICI C Commission, Arrêt de la Cour Européenne de Justice du 14 Juillet 1972 , Affaire 48-69

Arrêt de la Cour du 14 juillet 1972. Imperial Chemical Industries Ltd. contre Commission des Communautés européennes. Affaire 48-69

Timberlane Lumber Co. v. Bank of America749 F. 2d 1378 - Court of Appeals, 9th Circuit 1984

CJUE, Arrêt du 27 septembre 1988. A. Ahlström Osakeyhtiö et autres contre Commission des Communautés européennes, Affaires jointes 89, 104, 114, 116, 117 et 125 à 129/85

Accord du 23 septembre 1991 entre les Communautés européennes et le gouvernement des État-Unis d’Amérique concernant l’application de leurs règles de concurrence

Accord du 3 Juin 1998 entre les Communautés européennes et le gouvernement des États-Unis d’Amérique concernant la mise en œuvre des principes de courtoisie active dans l’application de leurs règles de concurrence

Décision de la KFTC du 20 janvier 2017 (Qualcomm), Affaire n° 2015Sigam2118, traduite en anglais par l’American Consumer Institute Center for Citizen Research

 

Bibliographie

Edward L. Rholl, Inconsistent Application of the Extraterritorial Provisions of the Sherman Act : A Judicial Response Based Upon the Much Maligned "Effects" Test, 73 Marq. L. Rev. 435 (1990).

Idot L., « Mondialisation, liberté et régulation de la concurrence », Revue Internationale de Droit Economique, n°2002/2, p. 175

Idot L., « L’efficacité des décisions dans l’espace », Revue concurrence consommation 2000,

OECD, Comité de la concurrence, Groupe de travail n° 3 sur la coopération et l’application de la loi : « Table ronde sur le champ d’application extraterritorial des mesures correctives relevant du droit de la concurrence », Décembre 2017

Stern B., « Quelques observations sur les règles internationales relatives à l’application extraterritoriale du droit », Annuaire français de droit international, Année 1986, Volume 32, p. 7

Auteur

  • ESSEC Business School (Cergy)

Citation

Frédéric Jenny, Extraterritorialité, Dictionnaire de droit de la concurrence, Concurrences, Art. N° 12253

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Éditeur Concurrences

Date 1er février 2023

Nombre de pages 842

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Définition institution

Terme généralement employé pour désigner le fait, pour un État souverain, d’avoir juridiction sur des étrangers à l’égard d’actes commis en dehors des frontières de cet État. On pourrait dire qu’au sens très large, l’UE applique ses règles de concurrence d’une manière extraterritoriale lorsqu’elle invoque la théorie des effets. Commission européenne

Application de la loi d’un pays en dehors de son territoire national. Dans le contexte de la politique de la concurrence, le problème de l’extraterritorialité se pose lorsque les pratiques commerciales auxquelles se livre une entreprise dans son pays d’origine ont un effet anticoncurrentiel dans un autre pays, ce dernier jugeant que ces pratiques sont illicites au titre de son droit de la concurrence. Pour prendre un exemple, une entente à l’exportation ne tombant pas sous le coup de la réglementation de la concurrence dans un pays A pourra constituer, dans un pays B, une entente sur les prix restreignant la concurrence et contraire à la réglementation de la concurrence de ce dernier pays. Un autre cas susceptible de se produire est celui d’une fusion entre deux entreprises concurrentes dans leur pays et ayant pour effet de restreindre sensiblement la concurrence sur le marché d’un autre pays. (Cette situation peut se produire si les entreprises qui fusionnent travaillent surtout pour l’exportation et représentent l’essentiel du marché du pays importateur). Les possibilités de voir aboutir des poursuites pour violation de la réglementation de la concurrence d’un autre pays sont fonction, dans une large mesure, de la nature des relations de souveraineté entre les pays en cause, du lieu où l’acte considéré comme répréhensible a été commis, du régime juridique en vigueur dans le pays d’origine, de la pratique commerciale ou des agissements incriminés et de l’existence, dans le pays lésé, de filiales et d’actifs importants contre lesquels une action en justice peut être poursuivie. © OCDE

 
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