Expertise scientifique

 

Définition auteur

 

Premier aperçu

Les caractéristiques mêmes du droit de la concurrence exigent l’application d’une rigueur toute scientifique dans la résolution des affaires auxquelles il s’applique. Cela tient à la circonstance qu’alors même qu’il s’agit d’un droit répressif (antitrust) ou restrictif de certains droits fondamentaux (autorisation d’une concentration / liberté d’entreprendre), la part réservée à des raisonnements hypothétiques (scénario contrefactuel, théorie du dommage, …) est plus forte que dans d’autres branches similaires du droit. Il est ainsi attendu de la part d’une décision d’une autorité de concurrence que ses hypothèses, constatations, projections, et finalement conclusions juridiques respectent une démarche scientifique, c’est-à-dire que ses énoncés répondent à un critère de scientificité lequel « réside dans la possibilité de l’invalider, de la réfuter ou encore de la tester » (Popper, Conjectures et réfutations, La croissance du savoir scientifique, pp. 64-65).

Aucun procès ne saurait d’ailleurs être considéré comme « équitable » et impartial si la démarche suivie pour établir la preuve des faits ne procède pas d’une exigence de scientificité du raisonnement, « donnant à voir », à travers une motivation ciselée et balancée, la logique de la déduction suivie tant dans la cohérence des propositions entre elles qu’au regard de la consistance par rapport aux éléments factuels établis.

De la part de ceux qui l’administrent, le droit de la concurrence exige ainsi pour son application le respect d’une démarche mettant en œuvre une expertise scientifique. Parce qu’il intégrerait en son sein des personnes plus habiles à respecter une démarche scientifique, est-ce que cela exclut qu’il doive se soumettre à des expertises « scientifiques » externes, quitte à admettre que l’incertitude entrave parfois l’application du droit de la concurrence ? Telle n’apparaît pas sa position. Même dans des domaines comme la santé, où les questions scientifiques peuvent être des variables déterminantes pour apprécier la rectitude (ou non) du comportement des acteurs, ou comprendre comment les règles de droit structurent le fonctionnement du marché, le droit de la concurrence apparaît se retrancher derrière des raisonnements formels, soit en postulant entre la règle de droit et l’élément scientifique qui la justifie une improbable dissociabilité « pour les besoins de l’application » du droit de la concurrence, soit en écartant les explications des parties comme non crédibles, mais sans les confronter à des tiers.

 

Pour aller plus loin

Les procédures de concurrence peuvent mettre en cause des problématiques scientifiques, dont la résolution peut participer de la possibilité juridique de retenir un comportement illicite en droit de la concurrence. Dès lors qu’en matière répressive, le doute quant à la pertinence de la justification apportée doit nécessairement profiter à la partie mise en cause, il est impératif que, lorsqu’en droit de la concurrence la solution exige la résolution d’une problématique scientifique, celle-ci puisse être tranchée en faisant appel à ceux qui ont la compétence et l’expertise pour en décider.

C’est sans doute l’une des vertus des mécanismes qui imposent ainsi à l’Autorité de la concurrence de communiquer toute saisine entrant dans le champ de compétence d’un ministre ou d’une autre autorité administrative indépendante afin de recueillir son avis (que ce soit l’Arcep – article L. 36-10 du code des postes et des communications électroniques –, la CRE – article L. 134-16 du code de l’énergie –, l’ARCOM – article 41-4 de la loi du 30 septembre 1986 –, ou encore l’ACPR – article L. 511-4 du code monétaire et financier, par exemple). Il s’agit de lui permettre d’accéder à des expertises qu’elle n’a pas.

Ces mécanismes de consultation sont-ils suffisants lorsque l’expertise scientifique apparaît indissociable de la règle de droit sectoriel – dont l’élaboration a été confiée à des autorités spécialisées – et que celle-ci structure un fonctionnement de marché ? Le seul domaine où la question apparaît avoir été soulevée est, pour l’instant, celui de la pharmacie. Mais la question pourrait aussi se poser dans d’autres domaines hautement technologiques (numérique, aéronautique, énergie).

S’agissant de la pharmacie tout particulièrement, le législateur a en effet établi des autorités administratives qui disposent d’une compétence et de procédures particulières, comme par exemple l’ANSM pour ce qui relève de l’évaluation du rapport bénéfices/risques des produits de santé, la Haute Autorité de Santé (définie par l’article L. 161-37 du code de la santé publique comme une « autorité publique indépendante à caractère scientifique ») pour ce qui concerne l’évaluation des médicaments et des bonnes pratiques médicales et la justesse des informations divulguées au marché par les opérateurs.

Dans ce secteur, la position de l’Autorité selon laquelle les considérations scientifiques «  lui sont étrangères et […] ne relèvent pas de [sa] compétence » (décision n°17-D-25 du 20 décembre 2017, point 358) de sorte qu’elle n’est notamment pas compétente pour apprécier les actions des laboratoires auprès des autorités de santé qui « portent sur des données scientifiques et médicales » (avis n°13-A-24 du 19 décembre 2013, point 423) ou « concern[ent] un débat scientifique devant être tranchée par une autorité publique de santé  » (décision n°10-D-16 du 17 mai 2010, point 83) ou que les autorités de santé sont « seules compétentes pour se prononcer sur les questions d’ordre strictement scientifique et médical » (décision n°13-D-11 du 14 mai 2013, point 435) n’apparaît pas satisfaisante si, simultanément, elle se reconnaît la possibilité, pour les propres besoins du droit de la concurrence, d’apprécier la portée des règles concernées en prétendant les isoler de leur contexte. On peut penser que séparer l’interprétation de la règle de l’appréciation de l’élément scientifique qui en a justifié la formulation revient en réalité à implicitement mais nécessairement retenir une appréciation scientifique sans la révéler. Et l’on peut douter que cela procède d’une démarche scientifique.

 

Jurisprudences pertinentes

Union européenne

CJUE, 23 janvier 2018, Hoffmann-La Roche, aff. C-179/16, EU:C:2018:25

France

CA Paris, pôle 5 ch. 7, 11 juillet 2019, RG 18/01945 (recours contre la décision de l’Autorité no 17-D-25 du 20 décembre 2017)

Aut. conc., déc. no 17-D-25 du 20 décembre 2017 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur des dispositifs transdermiques de fentanyl

Aut. conc., avis no 13-A-24 du 19 décembre 2013 relatif au fonctionnement de la concurrence dans le secteur de la distribution du médicament à usage humain en ville

Aut. conc., déc. no 13-D-11 du 14 mai 2013 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur pharmaceutique

Aut. conc., déc. no 10-D-16 du 17 mai 2010 relative à des pratiques mises en œuvre par la société Sanofi-Aventis France

Aut. conc., déc. no 09-D-28 du 31 juillet 2009 relative à des pratiques de Janssen-Cilag France dans le secteur pharmaceutique]

 

Bibliographie

POPPER (K.), Conjectures et réfutations : la croissance du savoir scientifique, trad. M.-I. et M. B. de Launay Paris, Payot, 1985

Auteurs

  • Fréget Glaser & Associés (Paris)
  • Fréget Glaser & Associés (Paris)

Citation

Olivier Fréget, Ossman Badir, Expertise scientifique, Dictionnaire de droit de la concurrence, Concurrences, Art. N° 110009

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Éditeur Concurrences

Date 1er février 2023

Nombre de pages 842

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