Les procédures de concurrence peuvent mettre en cause des problématiques scientifiques, dont la résolution peut participer de la possibilité juridique de retenir un comportement illicite en droit de la concurrence. Dès lors qu’en matière répressive, le doute quant à la pertinence de la justification apportée doit nécessairement profiter à la partie mise en cause, il est impératif que, lorsqu’en droit de la concurrence la solution exige la résolution d’une problématique scientifique, celle-ci puisse être tranchée en faisant appel à ceux qui ont la compétence et l’expertise pour en décider.
C’est sans doute l’une des vertus des mécanismes qui imposent ainsi à l’Autorité de la concurrence de communiquer toute saisine entrant dans le champ de compétence d’un ministre ou d’une autre autorité administrative indépendante afin de recueillir son avis (que ce soit l’Arcep – article L. 36-10 du code des postes et des communications électroniques –, la CRE – article L. 134-16 du code de l’énergie –, l’ARCOM – article 41-4 de la loi du 30 septembre 1986 –, ou encore l’ACPR – article L. 511-4 du code monétaire et financier, par exemple). Il s’agit de lui permettre d’accéder à des expertises qu’elle n’a pas.
Ces mécanismes de consultation sont-ils suffisants lorsque l’expertise scientifique apparaît indissociable de la règle de droit sectoriel – dont l’élaboration a été confiée à des autorités spécialisées – et que celle-ci structure un fonctionnement de marché ? Le seul domaine où la question apparaît avoir été soulevée est, pour l’instant, celui de la pharmacie. Mais la question pourrait aussi se poser dans d’autres domaines hautement technologiques (numérique, aéronautique, énergie).
S’agissant de la pharmacie tout particulièrement, le législateur a en effet établi des autorités administratives qui disposent d’une compétence et de procédures particulières, comme par exemple l’ANSM pour ce qui relève de l’évaluation du rapport bénéfices/risques des produits de santé, la Haute Autorité de Santé (définie par l’article L. 161-37 du code de la santé publique comme une « autorité publique indépendante à caractère scientifique ») pour ce qui concerne l’évaluation des médicaments et des bonnes pratiques médicales et la justesse des informations divulguées au marché par les opérateurs.
Dans ce secteur, la position de l’Autorité selon laquelle les considérations scientifiques « lui sont étrangères et […] ne relèvent pas de [sa] compétence » (décision n°17-D-25 du 20 décembre 2017, point 358) de sorte qu’elle n’est notamment pas compétente pour apprécier les actions des laboratoires auprès des autorités de santé qui « portent sur des données scientifiques et médicales » (avis n°13-A-24 du 19 décembre 2013, point 423) ou « concern[ent] un débat scientifique devant être tranchée par une autorité publique de santé » (décision n°10-D-16 du 17 mai 2010, point 83) ou que les autorités de santé sont « seules compétentes pour se prononcer sur les questions d’ordre strictement scientifique et médical » (décision n°13-D-11 du 14 mai 2013, point 435) n’apparaît pas satisfaisante si, simultanément, elle se reconnaît la possibilité, pour les propres besoins du droit de la concurrence, d’apprécier la portée des règles concernées en prétendant les isoler de leur contexte. On peut penser que séparer l’interprétation de la règle de l’appréciation de l’élément scientifique qui en a justifié la formulation revient en réalité à implicitement mais nécessairement retenir une appréciation scientifique sans la révéler. Et l’on peut douter que cela procède d’une démarche scientifique.