Exemption individuelle

 

Définition auteur

 

Premier aperçu

L’exemption individuelle constitue une dérogation au principe de prohibition des ententes anticoncurrentielles. Cette exemption est admise tant en droit de l’Union européenne qu’en droit français de la concurrence. En effet, si les articles 101, paragraphe 1, TFUE et L. 420-1 du code de commerce prévoient l’interdiction de telles pratiques par principe, les articles 101, paragraphe 3, TFUE et L. 420-4 I, 2° du code de commerce admettent, par exception, que certaines ententes pourront échapper à cette prohibition en dépit de leur caractère anticoncurrentiel, pourvu que certaines conditions soient réunies.

L’exemption ne peut être accordée que si quatre conditions sont satisfaites. La première d’entre elles suppose que la pratique en cause contribue à la promotion du progrès économique ou technique, ou bien à l’amélioration de la production ou de la distribution des produits. Autrement dit, la pratique en cause doit générer ce qu’il est convenu d’appeler des « gains d’efficacité ». Il peut s’agir, par exemple, d’une réduction des coûts, résultant notamment d’économies d’échelle ou de gamme, ou bien du développement de nouvelles techniques. Les gains d’efficacité peuvent encore être appréciés en considération de la qualité des biens considérés à travers l’offre de produits innovants ou améliorés. Des gains d’ordre environnemental pourront pareillement être pris en considération.

La deuxième condition implique qu’une partie équitable du profit qui résulte de l’accord litigieux soit réservée aux utilisateurs. L’esprit de ce texte est en effet que le bénéfice induit par la pratique anticoncurrentielle soit répercuté substantiellement sur les consommateurs. En premier lieu, ce bénéfice peut évidemment se traduire par des prix réduits. Mais il peut aussi résider en une offre de produits innovants ou améliorés. La vraisemblance de la répercussion des bénéfices sur les consommateurs sera appréciée par les autorités de concurrence à la lumière de différents facteurs, tels que la nature et l’ampleur des gains d’efficacité considérés, l’importance de la restriction de concurrence, l’élasticité de la demande, autant que la structure et les caractéristiques du marché. En pratique, la répercussion des gains d’efficacité sur les utilisateurs dépendra aussi pour beaucoup du niveau de pression concurrentielle : si celle-ci est faible, les entreprises contrevenantes seront tentées de conserver les bénéfices à leur seul profit ; alors qu’une pression concurrentielle élevée les poussera au contraire à en transférer une partie aux consommateurs.

La troisième condition renvoie au caractère indispensable des restrictions de concurrence pour obtenir les gains d’efficacité. En d’autres termes, les biens ou services concernés seraient nécessairement produits ou vendus de façon moins efficace en l’absence des restrictions considérées. Il ne s’agit ainsi pas de rechercher si l’accord aurait pu ou non être conclu, ou bien si l’opération concernée par ledit accord aurait pu être menée en l’absence de ces restrictions, mais de vérifier si de tels gains d’efficacité auraient pu être générés en l’absence de telles restrictions : l’exemption sera accordée si, et seulement si, il est établi qu’il n’y avait pas d’autre moyen économiquement réaliste de générer ces gains d’efficacité.

La quatrième et dernière condition requiert que la pratique litigieuse n’offre pas aux entreprises concernées la possibilité d’éliminer la concurrence pour une partie substantielle des produits en cause. L’esprit de cette condition est ainsi de préserver une certaine concurrence résiduelle, la restriction ne devant surtout pas être radicale, mais modérée. L’appréciation de cette exigence se fera de manière globale, en tenant compte des caractéristiques propres au marché affecté, et de la répartition des parts de marché entre les parties à l’accord, d’une part, et leurs concurrents, d’autre part. Lors de l’examen de cette condition, les autorités s’intéresseront donc non seulement à l’intensité de la concurrence entre les parties à l’accord, mais aussi à celle de la concurrence externe résiduelle.

 

Pour aller plus loin

Jadis, la possibilité d’accorder une exemption individuelle relevait d’une compétence exclusive de la Commission européenne, suivant une procédure de notification préalable des accords (règl. (CE) n° 17 du Conseil du 6 février) : tout accord entre entreprises visé à l’article 85, paragraphe 1, du traité devait être notifié à la Commission antérieurement à sa mise en œuvre afin d’obtenir une exemption. En dépit de la sécurité juridique qu’il induisait, ce système de contrôle ex ante était aussi générateur de coûts pour les entreprises et conduisait à l’engorgement des services compétents de la Commission. À la faveur du règlement (CE) n° 1/2003, l’exemption est désormais accordée, soit par la Commission, soit par les autorités ou juridictions nationales compétentes, à l’issue d’une procédure de contrôle ex post ouverte à l’encontre d’entreprises poursuivies pour entente anticoncurrentielle, à qui il appartient d’établir que les conditions de l’exemption sont réunies.

L’exemption est dite « individuelle » en ce qu’elle n’est accordée par l’autorité de concurrence qu’à une ou plusieurs entreprises considérées individuellement, pour une pratique donnée, après avoir vérifié que les conditions requises pour bénéficier de l’exemption sont bien réunies au cas d’espèce. L’exemption « individuelle » s’oppose ainsi à l’exemption dite « catégorielle ». Celle-ci, également admise par les articles 101, paragraphe 3, TFUE et L. 420-4 II du code de commerce, peut être prévue par un règlement « d’exemption » adopté par la Commission européenne ou un décret pris après avis conforme de l’Autorité de la concurrence, au profit de certaines catégories d’accords présumés satisfaire ces conditions. Telle présomption pourra être renversée s’il est établi, après examen au cas par cas, que ces conditions ne sont finalement pas satisfaites, mais dispense ainsi les entreprises parties à ces catégories d’accords d’avoir à démontrer qu’elles sont réunies a priori.

Outre l’exemption des pratiques anticoncurrentielles générant des gains d’efficacité, le droit français admet aussi à l’article L. 420-4 I 1° du code de commerce l’exemption des accords « qui résultent de l’application d’un texte législatif ou d’un texte réglementaire pris pour son application ». À ce titre, les entreprises concernées ne peuvent se prévaloir que d’un « texte législatif » ou d’un « texte réglementaire pris pour son application » en vigueur au moment où a été mis en œuvre le comportement reproché, à l’exclusion donc des textes de nature réglementaire qui n’appliqueraient pas directement une loi. L’existence d’un lien de causalité entre les dispositions visées et le comportement litigieux doit par ailleurs être établie : ne peut donc être valablement invoqué qu’un texte ayant vocation à autoriser des pratiques anticoncurrentielles, ledit texte devant constituer la cause directe et nécessaire de la pratique concernée. En d’autres mots, celle-ci doit apparaître comme l’unique comportement susceptible de répondre aux exigences du texte invoqué.

Le droit français se distingue encore du droit de l’Union européenne en ce qu’il admet qu’une exemption individuelle puisse être accordée non seulement aux auteurs d’une entente anticoncurrentielle, mais également à l’entreprise coupable d’un abus de position dominante (art. L. 420-4 I C. com.). Certes, le TFUE ne comporte pas de disposition analogue à l’article 101, paragraphe 3, en ce qui concerne les abus de position dominante. Cette différence n’est toutefois qu’apparente, pour deux raisons au moins. La première est que la communication de la Commission du 24 février 2009 portant « Orientations sur les priorités retenues par la Commission pour l’application de l’article 82 du traité CE aux pratiques d’éviction abusives des entreprises dominantes » (pt 30) admet elle-même la possibilité d’une exemption d’un abus de position dominante en raison des gains d’efficacité qu’une telle pratique pourrait générer dans des conditions comparables à celles prévues à l’article 101, paragraphe 3, TFUE. La seconde est qu’en droit français comme en droit de l’Union européenne, cette possibilité d’exemption des abus de position dominante demeure pour l’heure très théorique, en l’absence d’application notable dans la pratique décisionnelle.

 

Jurisprudences pertinentes

Union européenne

CJUE, 23 janvier 2018, Hoffmann-La Roche et Novartis, aff. C-179/16, EU:C:2018:25

CJUE, 7 février 2013, Slovenská sporitel’ňa, aff. C-68/12, EU:C:2013:71

CJCE, 6 octobre 2009, GlaxoSmithKline, aff. C-519/06 P, EU:C:2009:610

Trib. UE, 24 mai 2012, MasterCard, aff. T-111/08, EU:T:2012:260

France

Cass. com., 7 avril 2010, n° 09-13.494 et 09-66.021

Cass. com. 14 juin 2005, n° 04-13.948

Aut. conc., déc. n° 11-D-01 du 18 janvier 2011 relative à des pratiques relevées dans le secteur de la manutention portuaire à La Réunion

Aut. conc., déc. n° 10-D-28 du 20 septembre 2010 relative aux tarifs et aux conditions liées appliquées par les banques et les établissements financiers pour le traitement des chèques remis aux fins d’encaissement

 

Bibliographie

Règlement (CE) n° 1/2003 du Conseil du 16 décembre 2002 relatif à la mise en œuvre des règles de concurrence prévues aux articles 81 et 82 du traité, JOCE n° L 1 du 4 janvier 2003, p. 1

Règlement (CE) n° 17 du Conseil du 6 février, JOCE n° 13 du 21 février 1962, p. 204, art. 4

Communication de la Commission, Orientations sur les priorités retenues par la Commission pour l’application de l’article 82 du traité CE aux pratiques d’éviction abusives des entreprises dominantes, JOUE n° C 45 du 24 février 2009, p. 7

DECOCQ (A.) et (G.), Droit de la concurrence : droit interne et droit de l’Union européenne, 9e éd., Paris-La Défense, LGDJ, 2021

DIENY (E.), « Ententes. – Exemption individuelle. – Article 101, § 3 du TFUE », JCl. Concurrence – Consommation, fasc. 550, 2015

MALAURIE-VIGNAL (M.), Droit de la concurrence interne et européen, 8e éd., Paris, Sirey, 2019

PRIETO (C.) et BOSCO (D.), Droit européen de la concurrence : ententes et abus de position dominante, 2e éd., Bruxelles, Bruylant, 2022

Auteur

Citation

Antonin Pitras, Exemption individuelle, Dictionnaire de droit de la concurrence, Concurrences, Art. N° 86378

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Éditeur Concurrences

Date 1er février 2023

Nombre de pages 842

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Définition institution

Décision de la Commission, en application de l’article 81, paragraphe 3, du traité CE, d’exempter des accords notifiés de l’interdiction prévue à l’article 81, paragraphe 1, du traité CE, sur la base d’une appréciation individuelle. D’une manière générale, les accords restrictifs peuvent bénéficier d’une exemption si leur contribution au bien-être général (amélioration de la production, progrès technique ou économique et avantages pour le consommateur) compense leurs effets restrictifs sur la concurrence. © Commission européenne

L’appréciation au regard de l’article 101 du TFUE s’effectue en deux étapes :

La première consiste à déterminer si un accord entre entreprises, qui est susceptible d’affecter le commerce entre pays de l’UE, a un objet anticoncurrentiel ou des effets anticoncurrentiels réels ou potentiels. En effet, l’article 101, paragraphe 3, du TFUE n’entre en ligne de compte que si un accord entre entreprises restreint le jeu de la concurrence au sens de l’article 101, paragraphe 1, du TFUE. En cas d’accords non restrictifs, il est inutile d’examiner le profit résultant éventuellement de l’accord. Les lignes directrices de la Commission sur les restrictions verticales, les accords de coopération horizontale et les accords de transfert de technologie contiennent de nombreuses orientations sur l’application de l’article 101, paragraphe 1, du TFUE à différents types d’accords.

La seconde étape, qui n’a lieu d’être que s’il est avéré qu’un accord restreint le jeu de la concurrence, consiste à déterminer les effets proconcurrentiels produits par cet accord et à voir si ces effets proconcurrentiels l’emportent sur les effets anticoncurrentiels. La mise en balance des effets anticoncurrentiels et des effets proconcurrentiels s’effectue exclusivement dans le cadre établi par l’article 101, paragraphe 3, du TFUE. Les présentes lignes directrices examinent les quatre conditions énoncées à l’article 101, paragraphe 3, du TFUE, à savoir : (i) gains d’efficacité ; (ii) apport d’une partie équitable du profit aux consommateurs ; (iii) caractère indispensable des restrictions ; (iv) pas d’élimination de concurrence. Étant donné que ces quatre conditions sont cumulatives, dès lors qu’il est constaté que l’une d’elles n’est pas remplie, il est inutile d’examiner les trois autres. Il n’est donc pas exclu que, dans certains cas, il soit indiqué d’examiner ces quatre conditions dans un ordre différent. © Commission européenne

 
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