La Cour de justice a consacré un renversement partiel de la charge de la preuve des conditions d’application de la règle d’épuisement lorsque le défendeur parvient à démontrer que cette charge, pesant a priori sur lui, fait naître un « risque réel de cloisonnement des marchés nationaux » (CJCE, 8 avr. 2003, Van Doren, C-244/00), spécialement, selon nous, un risque de non-application de la règle d’épuisement des droits alors que celle-ci devrait, ou pourrait avoir à, s’appliquer. Bien que consacrée en matière de marques, la solution trouve à s’appliquer aux autres droits de propriété intellectuelle, où le problème se présente de la même manière.
Epuisement des droits
Définition auteur
Premier aperçu
Dégagée, dès le début des années 70, par la Cour de justice en interprétation de l’actuel article 36 TFUE en tant qu’il vise la protection des droits de propriété intellectuelle, la règle d’épuisement des droits a par la suite pris une place considérable en la matière et été consacrée dans tous les textes européens de droit dérivé dès lors qu’ils traitent de la portée de la protection conférée par tel ou tel de ces droits. A l’heure actuelle, cette règle est inscrite, notamment, à l’article 15 de la directive 2015/2436 sur les marques ou l’article 4, § 2, de la directive 2001/29 en droit commun d’auteur, ainsi que, en droit français, dans tous les livres du Code de la propriété intellectuelle.
Cette règle peut se définir comme celle qui interdit au titulaire d’un droit de propriété intellectuelle dans un État membre de l’Espace économique européen (EEE) de se prévaloir des prérogatives que la loi attache à son droit pour s’opposer à l’importation ou à la commercialisation dans cet État de produits, incorporant l’objet de son droit, mis en circulation par lui ou par un tiers autorisé par lui sur le territoire de l’EEE.
La règle tend à concilier la territorialité de la protection attachée aux droits de propriété intellectuelle, qui permet a priori au titulaire d’un tel droit de s’opposer aux importations non autorisées, et l’exigence de libre circulation des marchandises.
Constitutive d’un moyen de défense dans le procès en contrefaçon, la règle d’épuisement des droits s’applique à la double condition que le titulaire du droit, demandeur, ait consenti, d’une part, au premier transfert de propriété des marchandises litigieuses et, d’autre part, à la mise en circulation de celles-ci dans l’EEE – même si le premier transfert de propriété avec son accord est, le cas échéant, intervenu dans un État tiers.
En matière de marques, de « justes motifs », déduits de la préservation de la fonction de garantie d’identité d’origine assurée par la marque, peuvent priver du bénéfice de la règle d’épuisement des droits, dont les conditions d’application sont par hypothèse satisfaites, notamment en cas de modification ou d’altération de l’état des produits après leur mise en circulation par le titulaire du droit ou le tiers lié à lui ou d’atteinte à l’image ou la réputation de la marque, le cas échéant du fait du simple contexte – dévalorisant - de commercialisation de produits de luxe.
Article 15 de la dir. 2015/2436 sur les marques : « Épuisement des droits conférés par une marque : 1. Une marque ne permet pas à son titulaire d’interdire l’usage de celle-ci pour des produits qui ont été mis sur le marché dans l’Union sous cette marque par le titulaire ou avec son consentement. 2. Le paragraphe 1 n’est pas applicable lorsque des motifs légitimes justifient que le titulaire s’oppose à la commercia¬lisation ultérieure des produits, notamment lorsque l’état des produits est modifié ou altéré après leur mise sur le marché. (égal. art. L. 713-4 C. propr. intell.)
Jurisprudences pertinentes
CJUE, 20 déc. 2017, Schweppes, aff. C-291/16
CJUE, 22 janv. 2015, Allposters, aff. C-419/13
CJUE, 23 avr. 2009, Copad c/ Christian Dior Couture, aff. C-59/08
CJCE, 4 nov. 1997, Dior/Evora, C-337/95
CJCE, 31 oct. 1974, Centrafarm, 2 arrêts, 15/74 et 16/74
CJCE, 8 juin 1971, Deutsche Grammophon, 78/70
Bibliographie
G. Bonet, Chron. RTD eur. 1981, p. 97 s. ; « Droit national de marque et application du droit de l’Union européenne »
J.-Cl. Marques, Fasc. 7600 ; « L’épuisement des droits de propriété intellectuelle », in L’avenir de la propriété intellectuelle, Litec, coll. IRPI, 1993, p. 89
J. Passa, Traité de droit de la propriété industrielle, LGDJ, tome 1, 2ème éd., n° 339 s. et tome 2, n° 524 s
Auteur
- Jérôme PassaUniversity Paris-Panthéon-Assas
Citation
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Éditeur Concurrences
Date 1er février 2023
Nombre de pages 842
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Définition institution
Les droits de propriété intellectuelle (DPI), tels que les brevets et les marques déposées, confèrent à l’inventeur ou au concepteur certains droits exclusifs sur l’exploitation de son travail, en matière notamment de production et de commercialisation. Toutefois, au sein de l’UE, ces droits exclusifs ne sauraient être utilisés pour diviser artificiellement le marché commun selon les frontières nationales. Par conséquent, le détenteur d’un DPI dans un État membre ne saurait s’opposer à l’importation d’un produit protégé par ce DPI dans cet État membre, lorsque ce produit a déjà été commercialisé dans un autre État membre par ce détenteur ou avec son autorisation. Son DPI est alors considéré comme épuisé. Ce principe d’épuisement ne s’applique pas à l’égard des produits commercialisés dans des pays tiers. Commission européenne
Voir aussi Droit de propriété intellectuelle et Droit d’auteur